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Si tu te soucies des générations futures, libère les générations passées.

Une émission radiophonique réalisée à partir de l’enregistrement d’une rencontre avec Frédéric Neyrat à la librairie EXC en partenariat avec radio p-node. Un dialogue à l’occasion de la publication de trois livres formant une trilogie.
1. L’ange noir de l’histoire. Cosmos et technique de l’Afrofuturimse, éditions Mf
2. Cosmos expérimental, éditions abrupt
3. Le cosmos de Walter Benjamin, un communisme du lointain, édition Kimé.

Longtemps tu as cru que la Terre était fixe et que le soleil lui tournait autour, comme tu crois que le passé est fixe et que le présent seul est en mouvement. Renverse cette conception du temps. Tu verras alors que rien de ce qui fut l’est pour toujours qu’à la condition que ce qui est cesse de l’être pour toujours.

Entretien et montage : Emmanuel Moreira. Avec les moyens de radio p-node à la librairie EXC.

Ton désir vient de loin, mais tu l’as oublié. Tu en as été exproprié, sans doute. Mais sache que le capitalisme ne l’a pas oublié. C’est ton humiliation à la fin que de laisser ainsi ton désir à la merci de toutes les exploitations du Capital. Ton addiction ne trahi rien d’autre que ton sommeil. Éveil toi au rêve, car le capitalisme s’y est installé. Regarde l’histoire par ce qui n’a pas eu lieu et qui pourtant aura été rêvé.

Depuis toujours tu possède un rêve, il te vient d’un passé immémorial, il te suffirais alors de t’éveiller à lui et de l’accomplir. Ne te laisse pas ainsi prendre par le nouveau. Car, ce que ton désir cherche, c’est l’accomplissement d’un passé empêché. Ce qui vient à toi c’est l’enfant qui n’a pas pu naître. Ce qui vient à toi, c’est une présence qui n’a pas pu, une forme qui voudrais, un amour empêché, une justice a peine venue. Ce sont les décombres du capitalisme qui s’amoncellent. Les ruines du capitalisme, ce sont tes rêves et le rêve de toujours, de tous. Relève-les.

Dans tes objets les plus intimes, un rêve vient jusqu’à toi pétrie dans un cauchemar. Révèle l’ambiguïté de tous ces objets qui t’entourent. Si tu les condamne d’un seul geste, tu n’en sera pas moins éveillé au rêve. Tu sais que ces objets ne tiennent par leurs promesses et c’est-à-ce point visible qu’on peut dire qu’il ne les ont jamais tenu. Vois dans ce qui est maintenant ce qui s’effondrera demain. Alors tu produira cette image négative qui te fera voir le rêve en attente d’être accompli, depuis toujours. Qui te fera voir les décombres de tout ce qui aura été empêché d’être.

Quand tu détruis, détruit ce qui trahi la promesse, mais ne détruit pas la promesse enfoui dans ce qui la trahi, tant ton désir de destruction est grand.

Quand tu ne sais plus imaginer un futur. (Re)souviens toi des rêves qui supportaient la réalité vécue de tous ceux qui ont eu à subir la domination. Chérie ces rêves, écris-les, racontes-les. Racontes les vies qui auraient pu être, et faits les venir jusqu’à toi d’un futur.

Ce que tu as vécu est limité alors que ce que tu te remémore est infini. C’est au moment où tu prends conscience de ce qui a eu lieu, que te reviens ce qui n’a pas été vécu. Alors de l’être-non-arrivé arrive. Pense à l’assèchement du lyrisme et demande toi si il ne vient pas d’un choc si puissant, que tu ne parviens pas à faire venir ce qui n’a pas été vécu. Peut-être que la poésie lyrique aura été le chant de l’être-non-arrivé qui demande à venir. Et tu pense à cette phrase de Rilke « toutes les choses terrifiantes ne sont peut-être que des choses sans secours qui attendent que nous les secourions. ».

Tu as toujours su que le communisme était premier. Qu’il est la promesse universelle à laquelle le capitalisme est lui-même assujetti, que le capitalisme perverti, incapable qu’il est de promettre autre chose.

Souvent tu pense aux défaites, à l’histoire des vaincus. Mais il te faut aussi établir la justice historique pour ce qui n’a pas eu lieu. Ces défaites ne sont pas le récit d’un progrès inévitable contrarié par les contingences de l’histoire, elles témoignent d’une histoire qui n’a pas eu lieu et qui demande réparation. Ce qui t’importe ce n’est pas ce qui a eu lieu, mais ce qui n’a pas eu lieu dans l’instant même de ce qui a eu lieu.

Tu sais maintenant que la catastrophe, c’est l’occasion manquée. Non pas qu’il faille des catastrophes pour qu’il y ait des occasions. Comme on y serait tenté. Mais que les occasions manquées, sont ce que l’ange voit s’élever jusqu’au ciel. L’amoncellement de tout ce que les vainqueurs ont par avance détruit.

Si le futur te manque, et il te manque tu n’en doute pas, c’est ta tristesse la plus profonde. Invente-le dans le passé. Car si tu donnes au passé un autre futur, tu donnes au présent une autre détermination. Si tu te soucies des générations futures, libère les générations passées.

Ceux qui ont déjà connu la fin du monde, n’ont-il pas du inventer un autre futur dans le passé, sans quoi ne serait-ils pas morts eux aussi ? Et il y en a beaucoup pour les accuser de ré-écrire l’histoire, mais ce qu’ils écrivent, c’est la non-histoire. Et cette non-histoire, c’est la leur.

Tu le sais, ce n’est pas qu’un possible n’a pas eu lieu, ce n’est pas qu’une bifurcation entre deux possibilités aura été prise, c’est qu’un pouvoir aura construit l’espace et le temps de telle sorte que les autres possibles ont été dissous. Le problème qui se pose alors ce n’est pas quel possible, mais quel impossible nous faut-il nous remémorer, faire advenir, quand tout semble à ce point se diriger à nouveau vers le pire ?

« Tu as pénétré dans le magasin du temps et tu contemples des piles de jours inutilisés que la Terre il y a des siècles à mis au frais ».

/////// AUTRES DOCUMENTS

Désir, Blackness, Clameur

Frédéric Neyrat
Positif ou négatif / Le même, vraiment ? / Le désir contre l’identité. / Le secret du programme identitaire. / L’Afropessimisme et le programme identitaire de la modernité / Clameurs (le don originaire de négativité).

Le discours de l’araignée

Un flux radiophonique. Réalisation : Emmanuel Moreira.
Textes & Voix : Amandine André / Anna Carlier / Angela Davis / Michel Foucault / Jean Genet / Jean-Luc Godard / Pierre Guyotat / Angélique Humbert / Claire Longuet / Martin Luther King / Emmanuel Moreira / Frédéric Neyrat / Sun Ra / Michel Surya / Tiqqun « Une métaphysique critique pourrait naître comme science des dispositifs… » / Malcom X

Mirage comme errata

Will Alexander
Traduit de l’anglais (USA) par Frédéric Neyrat
La projection cognitive enflamme le double par incertitude, par équation indéchiffrable. Le plan indigène reste dans son état respiratoire, fantôme vibratoire accéléré, corrompu jusqu’au point de basculement ésotérique par un esprit altéré, enfiévré par une linéarité compulsive qui s’attarde en verbatim.

Météore Inclément

Rendre le monde alien pour faire en sorte que la Terre révèle toute sa dimension étrangère réprimée : dans la poésie d’Alexander, l’image ne réunifie pas, mais acère l’aventure du passage. Passage freiné à mort, obstrué par la « surveillance d’État » et « l’engloutissement des Fédérations alien ».

( )TOO

Chère Amandine,
Tu m’as demandé si j’accepterais d’écrire quelque chose au sujet d’une performance de Yoko Ono, Cut Piece, qui a eu lieu pour la première fois en 1964. Tu m’as envoyé un lien permettant d’assister à plus de neuf minutes de cette performance : on peut voir l’artiste presqu’immobile, impassible, tandis que les membres du public, un par un, sont autorisés à couper et emporter une partie de ses vêtements. Pour le coup, j’accepte volontiers d’essayer d’écrire quelque chose à propos de cette performance, car je me demande bien ce qu’il s’agit de couper et d’emporter, de prendre – ou de donner. (…) par Frédéric Neyrat

Le conflit politique : logiques et pratiques

Enregistrement du colloque qui s’est tenu les 6,7 & 8 avril 2017
Premièrement, la politique se laisse aborder sous l’angle du conflit spécifique qu’elle met en œuvre. Deuxièmement, il y a une logique de ce conflit, ce qui veut dire plus précisément qu’il y en a une intelligibilité, entendons par là une saisie conceptuelle et discursive. Troisièmement, cette intelligibilité, comme dirait Lacan, est « pas-toute » ; le concept de « pratiques » peut alors être mobilisé pour indiquer les éléments (les gestes, les postures, les dispositions) qui se transmettent par d’autres voies que celle du discours ou de la saisie conceptuelle.

Frédéric Neyrat, Pour une écologie de la séparation

Entretien avec Frédéric Neyrat Philosophe, auteur d’une écologie de la séparation dans son ouvrage La part inconstructible de la Terre aux éditions du seuil.

(forme-de-)vie, déviation continuée

Entretien, avec Frédéric Neyrat autour de Clinamen, par Emmanuel Moreira
Déviation continuée d’une correspondance radiophonique, réalisée par Nicolas Zurstrassen, précédemment publiée en février 2012.

Révolution transfigurée

par Frédéric Neyrat – pièce sonore

L’ image intense

Entretien avec Boyan Manchev autour de L’Altération du monde. Pour une esthétique radicale (Lignes, avril 2009)

Cet été, Frédéric Neyrat nous a fait part d’un échange qu’il avait eu en mai 2009 avec Boyan Manchev à propos de son ouvrage L’altération du monde. C’est le contenu de cet entretien que nous publions ici et cela aussi pour prolonger un autre entretien – audio – que nous avions eu avec Boyan Manchev, toujours autours de cet ouvrage publié aux éditions Lignes.

UltimAtum (10 projectiles pour une revue improbable)

Frédéric Neyrat est philosophe, il est membre du comité de rédaction de la revue Multitudes.
Derniers ouvrages parus : Biopolitique des catastrophes (MF, 2008) ; Le Terrorisme (Larousse, 2009) ; Instructions pour une prise d’âmes. Artaud et l’envoûtement occidental (La Phocide, 2009).

Instructions pour une prise d’âmes, Frédéric Neyrat

«Le monde de la terre actuelle est mené par des séries d’envoûtements concertés et calculés» nous dit Artaud. Quelle signification autre que délirante accorder à une telle déclaration ? La folie d’Artaud serait entrée en conjonction – en résonance – avec le déni occidental. Elle s’exprime là où l’«Occident» a toujours refusé de s’exprimer sur lui-même – à moins qu’il n’en ait jamais été capable.
Entretien et réalisation : Nicolas Zurstrassen