Jacob Rogozinski, Philosophe, professeur de philosophie à l’Université de Strasbourg.
entretien et réalisation : Emmanuel Moreira
Cette proposition de rencontre fait suite à la lecture de deux ouvrages publiés aux éditions du Cerf, deux ouvrages fortement imbriqués l’un avec l’autre, de sorte qu’ils semblent avoir été écrit d’un même mouvement et pourtant cinq années les séparent. Un livre de philosophie, Le moi et la Chair où s’élabore une introduction à l’ego-analyse. Une pensée neuve de l’égo : Un moi vrai, qui ne serait ni illusion, ni originairement aliéné, ni coupable. Un moi-chair qui parviendrait à exister sans le recours d’un Autre transcendant.
Un essai sur Artaud, Guérir la vie. Artaud dont Jacob Rogozinski a rêvé de lui donner une philosophie à partir de ses motifs. Une philosophie qui ne lui ferait plus violence : une philosophie née de ses poèmes, qui ferait passer ses vocables sur le plan du concept. Le Moi et la Chair est directement issue de sa pensée, et pourtant elle lui est étrangère. Parmi les nombreux écrits d’Artaud – que traverse et re-traverse l’ouvrage nous faisant accéder à une motilité chez Artaud qui lui aurait permis de ne pas être fixé dans la folie mais d’en revenir, de guérir sans doute – parmi ses écrits donc, celui-ci :
Moi je suis moi (…),
moi distinct de quoi que ce soit d’autre.
Comment ai-je désiré le restant ?
La chair est de ne pas incuber ni succuber.
Qu’est-ce donc ce restant qu’il nous est possible de désirer et par conséquent son inverse, de haïr ? C’est dans le Moi et la Chair que se mot devient concept. Le restant est l’intouchable de mon toucher, l’invisible de ma vision, l’inaudible de mon écoute. Il se dissimule toujours dans l’expérience qu’il rends possible, il est le fantôme toujours fugitif de quelque chose d’autre. Un phénomène de l’inapparent.
Le Moi et la Chair, livre de philosophie, mais il faut préciser : de phénoménologie. Et c’est un retour à Descartes qu’il nous faudra faire. Partir de la proposition « je suis, j’existe ». Proposition qui résiste à Heidegger et à Lacan et à tous les philosophes égicides. Puis, patiemment, appliquer la méthode d’Husserl, celle qui consistera à mettre en suspend la croyance naïve en l’existence du monde. Ainsi, au terme de cet époché, une fois toute transcendance défaite nous découvrons un événement interne à l’immanence, le trait d’une limite qu’elle se donne à elle-même. Le restant. Et c’est avec Derrida que désormais s’ouvrira un dialogue, car la transcendance advient au moment même ou l’immanence se clôture : De ma chair à ma chair ; une part de moi me revient comme autre. L’impossible contact dirait Derrida. Mais cette expérience d’un écart interne révèle une altérité purement apparente » car c’est encore moi qui m’affecte ainsi. Par le restant, je suis une multitude. Je suis mon fils, mon père, ma mère et moi.
Livre de phénoménologie, mais de philosophie tout autant, et de celle qui tente d’affronter la question politique du vivre ensemble : Si elle n’était pas capable de jeter un nouvel éclairage sur les phénomènes de l’amour et de la haine, du mourir, de la foi, de la folie, de la souveraineté, de la persécution, du sacrifice, l’analyse du restant ne vaudrait pas une heure de peine. Et il aura sans doute fallu une lecture d’Artaud qui admette que ce qu’il écrit est vrai, où la question de la vérité y est plus importante que celle de la cruauté, pour comprendre la lutte que fût la sienne pour échapper à l’emprise de l’autre, pour guérir de la haine. Il aura sans doute fallu le lire tout autrement que Deleuze et Derrida, pour entendre ceci : nul n’a jamais écrit ou peint, sculpté, modelé, construit, inventé, que pour sortir de l’enfer. Pour que l’organisme se refasse, pour que le corps revienne à soi. Il aura fallu ses derniers écrits pour lire ceci : Moi distinct de quoi que ce soit d’autre, trace d’une transfiguration du restant, moment où je le reconnais comme mien ou avec lui je me réconcilie et cesse ma folie : l’instase. Ni amour ni haine. Simplement l’écart comme renoncement à l’utopie d’un dévoilement intégral du restant.
Et c’est à Bataille qu’il faudrait ici retourner. Notamment à l’article – publié depuis en petit livre aux éditions lignes La structure psychologique du fascisme. Dans ce texte s’énonce avec les outils de la sociologie, de la phénoménologie et de la psychanalyse, l’exclusion des éléments hétérogènes hors du domaine homogène, a savoir tout ce que la société homogène rejette soit comme déchet, soit comme valeur supérieure transcendante. Le reste et qui n’a plus que le nom de reste. Rapport au restant.
/////// Autres documents
Réalisation : Emmanuel Moreira sur une commande de Sans Canal Fixe.
(sous titre Bobby) – pièce sonore
La pièce doit son sujet au choix du lieu dans lequel a été diffusée la création sonore : le jardin botanique de Tours. Bobby n’est autre que le fameux phoque, ancien habitant des jardins. La pièce tourne donc autour de l’histoire muette de l’animal qui se mêle au fur et à mesure au tout autre, à toute les histoires. Une histoire qui pousse à travers ce phoque et charrie toute sorte de voix. Bobby n’est que la forme passagère de ce que nous n’entendons pas.
Antonin Artaud
Atelier De Création Radiophonique – 1947
«Le monde de la terre actuelle est mené par des séries d’envoûtements concertés et calculés» nous dit Artaud. Quelle signification autre que délirante accorder à une telle déclaration ? La folie d’Artaud serait entrée en conjonction – en résonance – avec le déni occidental. Elle s’exprime là où l’«Occident» a toujours refusé de s’exprimer sur lui-même – à moins qu’il n’en ait jamais été capable.
Entretien et réalisation : Nicolas Zurstrassen
Le restant, la part maudite, le rebut. Rencontre avec Jacob Rogozinski
Jacob Rogozinski, Philosophe, professeur de philosophie à l’Université de Strasbourg.
entretien et réalisation : Emmanuel Moreira
Cette proposition de rencontre fait suite à la lecture de deux ouvrages publiés aux éditions du Cerf, deux ouvrages fortement imbriqués l’un avec l’autre, de sorte qu’ils semblent avoir été écrit d’un même mouvement et pourtant cinq années les séparent. Un livre de philosophie, Le moi et la Chair où s’élabore une introduction à l’ego-analyse. Une pensée neuve de l’égo : Un moi vrai, qui ne serait ni illusion, ni originairement aliéné, ni coupable. Un moi-chair qui parviendrait à exister sans le recours d’un Autre transcendant.
Un essai sur Artaud, Guérir la vie. Artaud dont Jacob Rogozinski a rêvé de lui donner une philosophie à partir de ses motifs. Une philosophie qui ne lui ferait plus violence : une philosophie née de ses poèmes, qui ferait passer ses vocables sur le plan du concept. Le Moi et la Chair est directement issue de sa pensée, et pourtant elle lui est étrangère. Parmi les nombreux écrits d’Artaud – que traverse et re-traverse l’ouvrage nous faisant accéder à une motilité chez Artaud qui lui aurait permis de ne pas être fixé dans la folie mais d’en revenir, de guérir sans doute – parmi ses écrits donc, celui-ci :
Qu’est-ce donc ce restant qu’il nous est possible de désirer et par conséquent son inverse, de haïr ? C’est dans le Moi et la Chair que se mot devient concept. Le restant est l’intouchable de mon toucher, l’invisible de ma vision, l’inaudible de mon écoute. Il se dissimule toujours dans l’expérience qu’il rends possible, il est le fantôme toujours fugitif de quelque chose d’autre. Un phénomène de l’inapparent.
Le Moi et la Chair, livre de philosophie, mais il faut préciser : de phénoménologie. Et c’est un retour à Descartes qu’il nous faudra faire. Partir de la proposition « je suis, j’existe ». Proposition qui résiste à Heidegger et à Lacan et à tous les philosophes égicides. Puis, patiemment, appliquer la méthode d’Husserl, celle qui consistera à mettre en suspend la croyance naïve en l’existence du monde. Ainsi, au terme de cet époché, une fois toute transcendance défaite nous découvrons un événement interne à l’immanence, le trait d’une limite qu’elle se donne à elle-même. Le restant. Et c’est avec Derrida que désormais s’ouvrira un dialogue, car la transcendance advient au moment même ou l’immanence se clôture : De ma chair à ma chair ; une part de moi me revient comme autre. L’impossible contact dirait Derrida. Mais cette expérience d’un écart interne révèle une altérité purement apparente » car c’est encore moi qui m’affecte ainsi. Par le restant, je suis une multitude. Je suis mon fils, mon père, ma mère et moi.
Livre de phénoménologie, mais de philosophie tout autant, et de celle qui tente d’affronter la question politique du vivre ensemble : Si elle n’était pas capable de jeter un nouvel éclairage sur les phénomènes de l’amour et de la haine, du mourir, de la foi, de la folie, de la souveraineté, de la persécution, du sacrifice, l’analyse du restant ne vaudrait pas une heure de peine. Et il aura sans doute fallu une lecture d’Artaud qui admette que ce qu’il écrit est vrai, où la question de la vérité y est plus importante que celle de la cruauté, pour comprendre la lutte que fût la sienne pour échapper à l’emprise de l’autre, pour guérir de la haine. Il aura sans doute fallu le lire tout autrement que Deleuze et Derrida, pour entendre ceci : nul n’a jamais écrit ou peint, sculpté, modelé, construit, inventé, que pour sortir de l’enfer. Pour que l’organisme se refasse, pour que le corps revienne à soi. Il aura fallu ses derniers écrits pour lire ceci : Moi distinct de quoi que ce soit d’autre, trace d’une transfiguration du restant, moment où je le reconnais comme mien ou avec lui je me réconcilie et cesse ma folie : l’instase. Ni amour ni haine. Simplement l’écart comme renoncement à l’utopie d’un dévoilement intégral du restant.
Et c’est à Bataille qu’il faudrait ici retourner. Notamment à l’article – publié depuis en petit livre aux éditions lignes La structure psychologique du fascisme. Dans ce texte s’énonce avec les outils de la sociologie, de la phénoménologie et de la psychanalyse, l’exclusion des éléments hétérogènes hors du domaine homogène, a savoir tout ce que la société homogène rejette soit comme déchet, soit comme valeur supérieure transcendante. Le reste et qui n’a plus que le nom de reste. Rapport au restant.
/////// Autres documents
Tiergarten
Réalisation : Emmanuel Moreira sur une commande de Sans Canal Fixe.
(sous titre Bobby) – pièce sonore
La pièce doit son sujet au choix du lieu dans lequel a été diffusée la création sonore : le jardin botanique de Tours. Bobby n’est autre que le fameux phoque, ancien habitant des jardins. La pièce tourne donc autour de l’histoire muette de l’animal qui se mêle au fur et à mesure au tout autre, à toute les histoires. Une histoire qui pousse à travers ce phoque et charrie toute sorte de voix. Bobby n’est que la forme passagère de ce que nous n’entendons pas.
Pour en finir avec le jugement de Dieu
Antonin Artaud
Atelier De Création Radiophonique – 1947
Instructions pour une prise d’âmes, Frédéric Neyrat
«Le monde de la terre actuelle est mené par des séries d’envoûtements concertés et calculés» nous dit Artaud. Quelle signification autre que délirante accorder à une telle déclaration ? La folie d’Artaud serait entrée en conjonction – en résonance – avec le déni occidental. Elle s’exprime là où l’«Occident» a toujours refusé de s’exprimer sur lui-même – à moins qu’il n’en ait jamais été capable.
Entretien et réalisation : Nicolas Zurstrassen
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