Dessin de kenny ozier-lafontaine & soul miranda miranda

Cinq lettres de Kaspar Hauser



Avant je parlais cheval, et des rubans rouges à accrocher au mot. Il y avait aussi l’eau-et-pain à côté, et là était ce que je faisais en premier, de tremper le museau du mot cheval, de lui donner du pain. Et combien de temps je jouais à parler cheval je ne peux pas le dire, car je ne savais pas alors ce qu’est une heure, ou un jour, ou une semaine.
En haut au plafond c’était comme une cave, mais moins pire que maintenant : je disais Kaspar il, et vous n’étiez rien. J’ai très bien vu comment vous matez les plus petits qui revendiquent. Vous les mettez à genoux et ils baissent la tête mains derrière la nuque. En haut des nuages gris passent.
Le voilà votre Nuremberg. On y étouffe dans le bitume des arrière-cours, la tête contre le carrelage des chiottes ou la tôle des fourgons.
Vous dites Kaspar tu dois toujours regarder le sol. Kaspar serre la ceinture et marche droit. A quoi bon ? Vous piétinez les gosses et les pâquerettes, vous gazez les abeilles, les pucerons, les gens qui dansent au bord de l’eau. Vous trucidez même les vers de terre. Tout va s’éteindre sur votre sol. J’en ai les pieds qui brûlent, ça vous fait rire comme des hyènes et vous dites Kaspar ne pleure pas sinon tu n’auras pas de cheval.
Gardez-le votre cheval. Je suis pour les pissenlits. Je préfère encore bouffer des véroniques par la racine, mais vous devoir quelque chose, ça non. Je ne veux plus pleurer seul sous vos dettes. Rendez-moi les bronches et puis aussi les yeux, bande d’assassins.
Que ça respire là où je regarde : j’écarte les mains, de l’air passe et des images se creusent entre mes doigts, elles flottent un peu dans le nez, les oreilles, quelque part à cheval entre mes fesses, votre peau et ailleurs : des images presque parties et pas encore tout à fait là.
C’est comme la neige : je l’ai vue une fois et je n’ai pas pu dire.
Et comment vont les images, à la fois loin de moi et tout au fond des yeux, et comment elles bougent au bord de la cave où j’ai dormi l’enfance, et comment le bord recule dans ma tête, combien ça l’élargit à vous dehors, je ne peux pas le dire.
Comment c’est l’image qui vous fait, comment je cours vers elle qui ne dit rien avec vous dedans, ça non plus je ne peux pas comme la neige.
Les mots sont toujours pris dans vos nasses. Et combien vous les mastiquez pour les réduire en bouillie, combien vous les mâchez à sens unique, combien ça fait grouiller vos gencives, tous ces mots réduits en signes, combien ça pullule entre les dents et ça étouffe, voilà qui est fait.
J’aurais voulu des mots qui ne veulent rien dire. Il me reste encore dans les trous des images qui ne parlent pas, un peu comme dans la cave le mot-cheval, mais ici dans la bouche, le nez ou ailleurs. Avec le pain-et-eau, avec les rubans, là j’aurais pu dire à nouveau Kaspar il, et là est ce que j’aurais fait en premier, d’écraser vos gueules d’assassins à coup de sabots.
Alors c’est fini. Je ne parle plus. Je retourne l’image contre vous.
Cheval partout justice nulle part.


Kaspar Hauser



On m’a dit tu aimes les petits choristes en uniforme. Ça ne m’étonne pas de toi. Crâne d’œuf, face de peine à jouir. Tu m’as toujours paru louche.
Tu ignores tout de l’enfance.
Quand je me triture l’anus, ça creuse, ça vient et je te vois. Tu dis c’est sale ? Mais je préfère encore mon anus à ton école ou à ta confiance. Je te le dis tout net : mon trou de balle c’est Kaspar comme les bras les pieds la voix ou l’oreille. Toi, tu ne vois dans le trou qu’un sens : faire caca. Mais très franchement si c’était vrai, la bouche ne servirait donc qu’à manger ?


je TRI-TU-RE mon A-NU-S

Tu vois je sais creuser, et même en méthode syllabique. Bien creuser pour que tombe l’image avec toi dessus : tu es entouré de nains de jardins qui reviennent du boulot, oui, une bande de nains bavarois, consciencieux, et qui s’appliquent à frotter la peau de leur scrotum sur ton crâne d’œuf. Ils rigolent dans leur grosse barbe carrée, et ils frottent en bons nains méthodiques, ils frottent leur scrotum tout rose et fripé sur ta sale face de peine à jouir.
Te voilà prévenu crâne d’œuf. Va parler aux arbres si ça te chante mais fous la paix aux gosses.
Ne t’avise plus de les astiquer derrière tes drapeaux aux murs. Tu as compris le gros pervers tout chauve ? Ne t’avise plus, toi et tes copains neuroscientifiques, de tripoter leur cervelle. Touche-toi tout seul, triture-toi. Tu n’as qu’à fermer l’œil et sentir l’uniforme dans ton slip. Mais lâche les gosses, car si tu t’obstines vieux crocodile poussif et dépravé, je te le jure :


JE LA-CHE L’I-MA-GE SU-R T-OI.


Kaspar Hauser



Tu dis qu’on est tous des racines. Vieille souche. Tu as les mains moites.
Tu dis tout le temps Kaspar ce qui compte c’est l’identité, même malheureuse Kaspar, c’est l’identité. Là dans ta bouche, sent le cadavre et siffle la voix aigüe. Et tout ce qui est là-dedans, ta bouche, vient auprès de moi.
Tu couines au complot et c’est peut-être la faute aux femmes, aux pas chrétiens, la mauvaise haleine que tu as là ?
De la censure tu te plains partout, et partout on t’applaudit, alors tu déblatères tout le temps. On dirait du crémeux ta salive au coin des lèvres. Tu baves Péguy-Barrès-Mauriac, tu jacasses et tu cries au délit de solidarité.
Tu dis aussi Kaspar je te connais, Kaspar tu seras cavalier comme ton père. Je ne veux plus t’entendre. Garde ta salive. A cause de toi ma cave me manque. Garde ta salive, je te dis, ou je lâche ça sur toi :
Tu caquètes sur l’image et puis on te crache à la figure. Un bukkake énorme efface ta gueule de vautour, l’image se délave, te balayant toi et ta bouche-aigüe-cadavre. Sais-tu au moins ce qu’est un bukkake vieille momie, oui le sais-tu, assassin petit aux épaules étroites, toi la mâchoire torve 


SAIS-TU CE QU’EST UN BUKKAKE ?


Kaspar Hauser



Tu portes un joli costume dans une classe. Ça fait un peu maquereau avec ton accent du sud. Tu expliques aux enfants où ont le droit de taper ceux que tu payes pour être dans ton camp.
Au tableau il y un petit bonhomme dessiné, et toi tu entoures en rouge les zones où c’est possible qu’on tape. Et là est ce que tu fais en premier, d’entourer les bras, les pieds, les jambes, et puis aussi le ventre, la poitrine. Et combien tu fais de cercles, je ne peux pas le dire : à la fin on ne devine plus le corps dessiné là-dessous.
C’est devenu un gros tas rouge.
Les enfants ne disent rien. Tu as beau faire le mariole dans ton joli costume, ça ne marche pas : que tu entoures de violet, de jaune ou de bleu, c’est vrai les enfants ça aime les couleurs, mais là ils baissent la tête.
Dans la bouche j’ai un assez bon cheval pour dire le vrai, et ça va te sidérer : tu es tout nu et puis des cercles rouges remontent comme une gale ou un eczéma sur ta peau. Tout autour de toi il y a des ânes au gland monstrueux. Des enfants les chevauchent et applaudissent.
Combien je la vois, ta face de maquereau bientôt condamnée aux ânes, aux glands et aux cercles, comment ça effleure tes prunelles de merlan frit, les bourrelets de ta jolie cravate ou ton bide cintré, comment les ânes absents pointent déjà leur gland sous tes fesses molles, comment ça bande sec dans l’économie interne de ton corps, les ânes et le rouge pas encore là, comment c’est de la dette et du crédit, du temps volé dans tes veines cette image, je ne peux pas le dire et je ne veux pas le voir.
Alors je louche et j’écoute les enfants pousser des cris de joie.


Kaspar Hauser



Avant j’ai dormi mon enfance au fond d’une cave. Et là est ce qu’on m’a fait en premier, de me voler la tête et puis aussi les jambes. Là était la paille où j’étais couché et assis, les deux chevaux, les rubans, et mes trous par où respire ce que je vois : anus, oreilles, nez.
Des images de toi j’en ai plein les trous, petite frappe. On te voit marin, joueur de foot, pompier ou dieu foudre. Et là est ta pensée complexe, dis-tu, que de sourire très fier comme un épagneul picard, de remuer une queue toute martiale et de faire des clins d’œil. Et tous ces tirages de toi, comment je les creuse dans mon corps avec la main, de quoi ça a l’air au-dedans tout près de moi, je le décris ici :

CAVE CANEM PARTOUT

J’ai les ongles noirs de cave. Je creuse jusqu’au fond de l’air, ça gratte les couilles, et là est ce qui remonte sous la peau du dehors : une foule élastique de boules fluides, ramassées, velues et qui ballotent à quatre pattes. Et comment elles bouclent, frisotent, coupent court, je ne peux pas le dire : ça fait des fentes et ça halète au bord des trous, ça jaillit, ça coule en travers l’image, ça te court la pellicule, ça te gondole, face d’épagneul, ça ira te faire la peau.
Comment tout un corps poilu et social te maudit derrière chacune de tes images, ça non plus je ne peux pas le dire : il y a trop d’invectives, de poings tendus, de ragots et de sorts qu’on te lance du bout des lèvres. On dit que tu passes des contrats plutôt louches avec de vieilles dames. On décapite des mannequins qui te ressemblent et puis on les brûle en dansant.
Pour le moment ta petite bouche fait la moue en cul de poule. Elle dit : même pas peur, venez me chercher bande de feignasses. Mais on sait tous que ça t’empêche de dormir.
Ta mort d’image parle au moins pour toi : tu pètes en crevant dans les flammes.


Kaspar Hauser



Vous m’aviez trouvé avec quelques lambeaux de tissu à fleurs, une clé allemande, et puis aussi des consolations spirituelles dans les poches : L’Art de rattraper le temps perdu et les années mal passées. Je n’ai rien rattrapé du tout. Vous m’avez seulement appris vos paroles. Et là est ce qui me fatigue, de regarder vos plantes et vos arbres taillés à travers du verre rouge pour que je les supporte.

Je vous écris maintenant avec mes pieds, par quoi je m’éloigne peu à peu de vous. Vous dites encore pour me retenir : Kaspar tu es victime d’un meurtre de l’âme. Gardez vos Kaspar tu, votre âme et vos décrets. J’ai des sabots plein les yeux, et qui savent que l’âme c’est comme l’art ou les consolations spirituelles, ça n’existe nulle part, dans une cave ou ailleurs.

Dehors il neige. Un homme est venu, et a dit que nous irions bientôt voir un puit artésien. C’est un trou que vous n’avez pas encore étouffé, avec de l’eau qui remonte toute seule en faisant de grosses bulles. Et là est ce que j’ai fait dans mes lettres, de remonter vos mots puants au dehors et qu’ils aillent crever en petites bulles sous votre peau.

Il est trop tard pour être calme. Bien trop tard. Comment j’ai rendu les coups avec votre langue, c’était nécessaire, parce que là est difficile de sortir d’entre vos dents, même avec un bon cheval dans la bouche, même à coups d’images qui ne parlent pas.

Maintenant Kaspar il respire au-dehors vos bouches, il peut suivre sans vos phrases l’autre bout de sa vie à demi volée. Maintenant Kaspar il dit nous ne paierons plus. Nous ne sommes pas illégitimes. Nous sommes des fils de, et nous refusons votre pouvoir. Nous ingouvernables.

Nous sommes faits pour marcher sur la tête des rois. Nous n’avons pas inventé la violence, c’est les riches qui ont commencé. Nous abolirons. Nous nous lècherons les un-e-s les autres.

Nous refusons de traverser vos rues pour chercher du boulot. Nous voulons des bourgeons et pas des bourgeois. Nous sommes une classe multiple, brutale, illégale.

Nous parlerons bientôt dans la colère.





Benjamin Fouché
dessin de kenny ozier-lafontaine & soul miranda miranda





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