Que Peau d’Âne, avant qu’elle ne devînt celle de Perrault, courait de bouche à oreille sur les places, filait la nuit de nourrice en nourrice et, véritable histoire commune, se buvait comme du petit lait circulant partout.
Qu’en tant qu’histoire commune Peau d’Âne n’a rien de merveilleux ou de fantastique.
Que les bouches des femmes et leur petit lait sont des éléments charnels ou liquides, certes, mais aussi naturels ordinaires et prosaïques.
Que jeter une bague ou masquer son visage sont avant tout des modes opératoires dont les nécessités domestiques et premières ont été perdues.
Que cette perte fait de Peau d’Âne une trame orale décousue, qu’elle n’a jamais vraiment été une histoire mais plutôt une contre-fiction : la peau d’un récit pleine de trous, ouverte à toutes formes d’appel d’air, et dans laquelle chaque époque souffle comme elle peut.
Que Peau d’Âne s’écrit au moment où écrire opère un retour sur lui-même, se codifie en objet forclos, en Littérature avec un grand L où Peau d’Âne n’est pas la bienvenue.
Qu’on a accusé Peau d’Âne de basse extraction.
Qu’un de Villiers, abbé de son état, à défaut de produire du blé pour sa paroisse, a pondu des « Entretiens sur les contes de fées et sur quelques autres ouvrages du temps, pour servir de préservatif contre le mauvais goût ; dédiés à messieurs de l’Académie française ».
Que Peau d’Âne n’a eu cure de ce préservatif, qu’elle a crû prospéré occupé le terrain social de l’enfance.
Que Peau d’Âne n’est pas peau de chagrin, portion congrue du grand L, mais peau de joie –, pure extension débordant tout préservatif vers un horizon pratique.
Que Peau d’Âne est un objet-bête, ou plutôt une langue dotée d’une élasticité toute animale, qu’elle est une peau tendue, sonore, vibrante, ajointant bout à bout, en un mouvement circulaire, en un même pourtour ou périmètre, le langage et la vie.
Qu’au sein de ce périmètre langue-vie Peau d’Âne recherche toujours de nouveaux accords, et qu’ainsi elle résonne différemment selon les époques les contextes les usages.
Que Peau d’Âne n’est pas une fève unique et introuvable.
Que le Prince n’aime pas réellement Peau d’Âne tant qu’il veut épouser une bague dans un gâteau.
Qu’une robe couleur soleil est une peau factice, et qu’elle habille tout au plus, à la différence d’une peau-bête qui transforme et dénature.
Qu’ainsi la robe trame une poéticité en soi non hybride –, bref un attribut du grand L.
Qu’on ne combat pas l’endogamie la plus crasse et oppressive avec de l’ornemental rhétorique cousu main : la fuite de Peau d’Âne marque l’anémie du grand L.
Que les problèmes de Peau d’Âne sont économiques au sens premier du terme, qu’elle lutte pour tenir un foyer sur la place.
Qu’on manquera Peau d’Âne si on réduit sa beauté à un salaire : elle sait qu’elle vaut mieux que ça, et qu’aucune forme de compromis paternaliste, qu’aucun accommodement à la fin des fins ou d’union passée du bout des doigts ne justifient ses heures perdues en coups de balai ou de torchon.
Que Peau d’Âne exige une autre reconnaissance, non monnayable ni symbolique, et que cette exigence constitue le temps réel de ses tâches lourdes ingrates et définies hors de tout contrat de travail.
Que ce temps réel est peut-être celui de la lecture, en tant que lire Peau d’Âne n’est pas se retirer dans une vacuole de solitude et de silence, ou bien s’abstraire des affaires courantes, non, ce serait plutôt faire une expérience somme toute quelconque : on endosserait avec elle la peau puante et animale des vicissitudes quotidiennes.
Qu’ainsi Peau d’Âne est une expérience commune.
Que Peau d’Âne procède par déplacements : barque sommeil charrette – elle se décentre au ras du sol et cultive des champs d’actions en périphérie.
Qu’il a manqué durant les grèves conflits et occupations du printemps 2016 un comité « Peau d’Âne & formes de vie ».
Que Peau d’Âne aurait pu circuler dans ce printemps et, – sans jamais se départir d’un certain côté naïf – s’articuler de place en place vers de plus lointaines banlieues.
Qu’on aurait pu dire Peau d’Âne en miroir des formes de vie qui s’écrivent là-bas.
Qu’ainsi sa peau refaite à neuf aurait donné une forme poreuse extensive voire animale aux 1000 &1 nuits contre la Loi Travail.
Qu’affirmer cela, c’est encore souffler dans sa peau, faire jouer ses trous, bref la lire d’une façon particulière et commune.
Benjamin Fouché
//////////////////// Autres documents
Atelier du regard #05 – Walid Raad ( Atlas Group) / Jerôme Game
Jérôme Game porte son regard sur une vidéo de l’Atlas Group, fondé par Walid Raad. We can make rain but no one came to ask. (2006)
Le cercle, Sacha Steurer
Devant la mer, le passé, une marche, une chute évitée : tomber, écrire ce qui tombe. Être plongée, se retourner, perdre toute notion d’espace et de temps. Pour revenir, je me rends. À la vitesse des rêves, un ordre des choses : je me déplace sous la Terre, je suis prise dans une tempête de pluie, et je crie, en restant sous l’eau.
D’un fond
par Romain Candusso
A présent que les mouvements se fondent dans la chaleur dans la friction rangée sous un tapis de mots flanqué au tapis par des mots
à présent qu’un soleil acéré découpe des contours me crève ce temps à perte de contours où le temps tourne au vinaigre me dissous sentiments pâteux
Données du réel. Episode 1
Johan Grzelczyk
c’est un récit issu de données réelles. réparties en quinconce. plutôt pour la collecte. entre en compte aussi une part de calcul.
Lire Peau d’Âne
Que Peau d’Âne, avant qu’elle ne devînt celle de Perrault, courait de bouche à oreille sur les places, filait la nuit de nourrice en nourrice et, véritable histoire commune, se buvait comme du petit lait circulant partout.
Qu’en tant qu’histoire commune Peau d’Âne n’a rien de merveilleux ou de fantastique.
Que les bouches des femmes et leur petit lait sont des éléments charnels ou liquides, certes, mais aussi naturels ordinaires et prosaïques.
Que jeter une bague ou masquer son visage sont avant tout des modes opératoires dont les nécessités domestiques et premières ont été perdues.
Que cette perte fait de Peau d’Âne une trame orale décousue, qu’elle n’a jamais vraiment été une histoire mais plutôt une contre-fiction : la peau d’un récit pleine de trous, ouverte à toutes formes d’appel d’air, et dans laquelle chaque époque souffle comme elle peut.
Que Peau d’Âne s’écrit au moment où écrire opère un retour sur lui-même, se codifie en objet forclos, en Littérature avec un grand L où Peau d’Âne n’est pas la bienvenue.
Qu’on a accusé Peau d’Âne de basse extraction.
Qu’un de Villiers, abbé de son état, à défaut de produire du blé pour sa paroisse, a pondu des « Entretiens sur les contes de fées et sur quelques autres ouvrages du temps, pour servir de préservatif contre le mauvais goût ; dédiés à messieurs de l’Académie française ».
Que Peau d’Âne n’a eu cure de ce préservatif, qu’elle a crû prospéré occupé le terrain social de l’enfance.
Que Peau d’Âne n’est pas peau de chagrin, portion congrue du grand L, mais peau de joie –, pure extension débordant tout préservatif vers un horizon pratique.
Que Peau d’Âne est un objet-bête, ou plutôt une langue dotée d’une élasticité toute animale, qu’elle est une peau tendue, sonore, vibrante, ajointant bout à bout, en un mouvement circulaire, en un même pourtour ou périmètre, le langage et la vie.
Qu’au sein de ce périmètre langue-vie Peau d’Âne recherche toujours de nouveaux accords, et qu’ainsi elle résonne différemment selon les époques les contextes les usages.
Que Peau d’Âne n’est pas une fève unique et introuvable.
Que le Prince n’aime pas réellement Peau d’Âne tant qu’il veut épouser une bague dans un gâteau.
Qu’une robe couleur soleil est une peau factice, et qu’elle habille tout au plus, à la différence d’une peau-bête qui transforme et dénature.
Qu’ainsi la robe trame une poéticité en soi non hybride –, bref un attribut du grand L.
Qu’on ne combat pas l’endogamie la plus crasse et oppressive avec de l’ornemental rhétorique cousu main : la fuite de Peau d’Âne marque l’anémie du grand L.
Que les problèmes de Peau d’Âne sont économiques au sens premier du terme, qu’elle lutte pour tenir un foyer sur la place.
Qu’on manquera Peau d’Âne si on réduit sa beauté à un salaire : elle sait qu’elle vaut mieux que ça, et qu’aucune forme de compromis paternaliste, qu’aucun accommodement à la fin des fins ou d’union passée du bout des doigts ne justifient ses heures perdues en coups de balai ou de torchon.
Que Peau d’Âne exige une autre reconnaissance, non monnayable ni symbolique, et que cette exigence constitue le temps réel de ses tâches lourdes ingrates et définies hors de tout contrat de travail.
Que ce temps réel est peut-être celui de la lecture, en tant que lire Peau d’Âne n’est pas se retirer dans une vacuole de solitude et de silence, ou bien s’abstraire des affaires courantes, non, ce serait plutôt faire une expérience somme toute quelconque : on endosserait avec elle la peau puante et animale des vicissitudes quotidiennes.
Qu’ainsi Peau d’Âne est une expérience commune.
Que Peau d’Âne procède par déplacements : barque sommeil charrette – elle se décentre au ras du sol et cultive des champs d’actions en périphérie.
Qu’il a manqué durant les grèves conflits et occupations du printemps 2016 un comité « Peau d’Âne & formes de vie ».
Que Peau d’Âne aurait pu circuler dans ce printemps et, – sans jamais se départir d’un certain côté naïf – s’articuler de place en place vers de plus lointaines banlieues.
Qu’on aurait pu dire Peau d’Âne en miroir des formes de vie qui s’écrivent là-bas.
Qu’ainsi sa peau refaite à neuf aurait donné une forme poreuse extensive voire animale aux 1000 &1 nuits contre la Loi Travail.
Qu’affirmer cela, c’est encore souffler dans sa peau, faire jouer ses trous, bref la lire d’une façon particulière et commune.
Benjamin Fouché
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Jérôme Game porte son regard sur une vidéo de l’Atlas Group, fondé par Walid Raad. We can make rain but no one came to ask. (2006)
Le cercle, Sacha Steurer
Devant la mer, le passé, une marche, une chute évitée : tomber, écrire ce qui tombe. Être plongée, se retourner, perdre toute notion d’espace et de temps. Pour revenir, je me rends. À la vitesse des rêves, un ordre des choses : je me déplace sous la Terre, je suis prise dans une tempête de pluie, et je crie, en restant sous l’eau.
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