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Données du réel. Episode 1

c’est un récit issu de données réelles. réparties en quinconce. plutôt pour la collecte. entre en compte aussi une part de calcul. dans la nuit du vendredi au samedi. une nuit de nuit noire. une nuit de saveur sans sommeil. une nuit de cachetons gobés à la volée. à grosses lampées d’alcool blanc. teinté energy drink. une nuit sale pute à g.i. j’suis sur les dents. danse. merci c’était. il dit. il dit c’était très très joli. un sourire rictus au bord des lèvres. insistant sur les très. une nuit à malfaçon. entre le soleil et la boue. une nuit à s’armer pour chasser la musique. mélodie safari. génocide harmonie. une nuit comme à la radio. une émission où l’on chuchote. diffusée dans la voiture échouée. à l’habitacle de plastique compacté. la carcasse émergeant d’un tas de gravas et de poutrelles rouillées disposées en entrelacs. un lot de propos abusant du langage de la survie. morceaux de bravoure dans les décombres. de ces trucs que l’on note pour se délester. pour mieux oublier. à conserver pour un usage ultérieur. au cas où. les mots du garde-parler. sans entête. sans titre. à supposer qu’il n’y ait pas de titre. à supposer qu’il n’y en ait jamais eu. sans nom d’auteur non plus. ni nom ni titre. à quel titre cet anonymat. l’indéfini en guise d’infini. le goût des lointains et des ensembles vides. une certaine prédilection pour la superficialité vaste. étendue d’un jour. louange de la prairie. futilité de la journée sans pousse. sans traite. sans tonte. sans décompte et sans revers. un jour sans la dizaine ni l’unité. sans prouesse et sans repli non plus. un jour pourtant si long. un jour de temps gâché. un jour perdu à chercher comment combler. remblayer cette tranchée d’instants qui perdurent. le jour du point c’est tout. du point c’est tout mais qui s’empâte. qui s’enhardit. qui devient ligne. qui devient ligne et puis se courbe traçant une boucle jusqu’à ceindre. jusqu’à enceindre le grand troupeau des écoulés. et former ainsi la journée qui suit. tu vois elle te poursuit. elle ne te lâche pas. tu la crois devant toi et elle est là. scotchée à tes talons. ses pas dans tes pas. qui te harcèle et t’emprisonne. qui déboule par derrière et qui t’enserre. déployant l’armée des moments évidés qui ne se comptent plus. de la durée qui n’a jamais pesé. et tu t’englues. tu dénombres les points du cercle. tu décomptes les coups par eux portés. par toi encaissés. mais il n’y aura qu’à faut pas. ne t’inquiète pas. tu sauras. il ne faut pas s’arracher la peau. la peau avec les croutes. c’est que les doigts pèsent trop lourd sur l’épiderme. il n’y aurait qu’à ne pas. ne pas sombrer dans le conflit des gestes comminatoires. l’affirmer c’est déjà trancher dedans la chair. à travers notre cuir de porc. de cochon portant chapeau. c’est une évidence. celle de la privation à venir. la privation de contact. leur privatisation aussi. sans touché le peuple n’est plus. il se délite. marche blanc. ignore comment s’employer à. il s’oublie comme agissant. plus de geste d’agir qui ne le touche. c’est à tâtons que le peuple se meut. c’est au jugé qu’il avance. c’est de ne point saisir qu’il abandonne. sans plus toucher à effleurer il change de camps. délaisse l’entraide de misère. vient à peupler le grand troupeau des bêtes de somme et de consomme. champ lexical de l’épopée. le paysage ou la danse. ma discipline c’est l’espace dit-elle. le vibrato dans la voix. exhalant entre ses crocs à l’égal d’un animal de compagnie. la constitution des espaces intérieurs. la contamination des domaines extérieurs. ce glissement-là oui. créer de l’extrinsèque. le faire éclore à l’intérieur de. puis le diffuser. infecter et contagionner en sont synonymes. de la difficulté d’établir un contact dès lors que l’autre est parlé. dès lors qu’il est prononcé du dehors. cheminant bâillonné ou aphone dans le propos d’un tiers. jouer à carte muette. et éventuellement le recracher. l’exclure de la conversation pour de bon. notre hôte aime ça. le bruit de la parole que l’on arrache. dans sa voix aux cordes vrillées il est prêt à conserver le goût. le mauvais goût de ces quelques fractions de silence. mais il faudra veiller à être plus laid. toujours plus ventru et moustachu. et à lui faire porter de la dentelle noire. du satin écru aussi. c’est une recette éprouvée. un homme très laid. et une fille bien rose. jeune et jolie. son stupre sera sordide ou ne sera pas. de l’adultère ou non. il le sera. à vingt-deux heures la piscine ferme ses portes. la piscine si bleue de l’eau à mosaïque. le grand bassin se remplit de flammes. dehors il fait nuit. il ne pleut pas. de l’eau ni de javel. il fait feu ici. soudain elle surgit. en maillot une pièce dans la lumière des phares. peignoir de bain et paire de mules aux pieds. merci c’était. elle dit cet incendie. la chaleur le bruit. quelques victimes. la fabrique de la guerre puis de sa nostalgie. par le récit comme en images. avec un traitement par filtres. un simple filtre de couleurs passées apposé sur le blanc piqué d’antan. voilà le truchement. la postérité est chromatique. ravi de vous revoir. heureux de vous accueillir. bien que selon des modalités toutes autres. le vernissage aura lieu dans l’open-space. en présence de l’artiste. non nous ne recrutons pas. au contraire nous dégraissons. nous exposons un lot de mains coupées. comme des poissons mais morts. le coût de la main d’œuvre est une variable d’ajustement. c’est tout un jeu d’éclairages. c’est la loi du marché vous comprenez. nous coupons court dans les dépenses de personnel. elles ne repousseront pas. les mutilés le savent. nous ajustons nous varions. bien entendu c’est plutôt pour la collecte. votre profit est à ce prix. telles sont nos valeurs. tels sont les bruits. le bruit l’intraveineuse violence. le bruit la parade de la vive esquive. le bruit le vide vacarme de nos déveines. le bruit leurs lenteurs aphones. le bruit de l’acide acier c’en est assez. cela étant la tête de l’auteure. le bruit sa tête. sa migraine rouge. rouge carmin et ses visions. autant d’étincelles affûtées se manifestant d’abord avec désinvolture. de pointes lumineuses s’insinuant discrètement à la conscience. de clous incandescents se positionnant avant que de se fixer tout à fait. à mesure que leur énergie s’accroît. là au dedans de la tête. de la tête de l’auteure. la céphalée s’ancre profond dans ce territoire. y étend son emprise en accumulant les forces qu’elle soutire à. elle vrille et creuse. vrille à l’arrière de l’œil. vrille au dedans de la mâchoire. vrille le tympan. vrille le cerveau en son noyaux. une théorie de points de fixation de la douleur. de la douleur stridente. de la douleur fixe qui ne se fige pas. qui paralyse la face et arrache les larmes. les larmes comme à la tenaille et les mots de l’auteure. qui aurait tant aimé pouvoir se séparer d’une partie d’elle-même. cette partie dont les mots s’écoulent et qui témoignent. et cependant. à quelques pas du front de mer. à la lisière des dunes. là où la plage. là où elle cesse. où le sable se recouvre de lui-même. ce n’est pas encore une ruine. déjà plus une maison. cela reste une demeure. on dit à l’abandon. la vie dut être douce ici. parmi les tapis et les bibelots exotiques. meubles anciens et linges délicats. confortablement installée à l’abris du vent soufflant derrière les carreaux sertis de plomb du bow-window. jouissant d’une reposante vue sur la mer à l’abris des embruns. bien au sec et au chaud. baignant dans l’odeur profonde et corsée des boiseries. comme torréfiées sous l’assaut des vagues de chaleur émanant d’imposants radiateurs en fonte. irradiant une atmosphère savoureuse. la vie dut être douce oui. mais elle s’en est allée. chassée par la poussière le sable la crasse. l’humidité aussi s’est installée. décollant tout d’abord les papiers peints par large lés. puis souillant les murs d’auréoles jaunes. tournant verdâtres à mesure qu’elles envahissaient impunément les surfaces consenties. et puis il y eu les visiteurs du soir. le bris. la casse. celle des planchers des miroirs de la plomberie. celle aussi d’une montée d’escalier désormais à se rompre le cou. menant à l’étage de la villa. à son bureau. véritable clou du spectacle offert aux jeunes explorateurs que nous étions. portant méduses aux pieds. le bureau et ses papiers jaunis. ses factures et bons de commande anachroniquement noircis à la main. à la plume. d’une écriture élégante et datée. mais le bureau surtout. et ses centaines de tubes de rouge à lèvre jonchant le sol. tous rigoureusement identiques. certains toujours emballés dans leur étui de carton. la plupart à nu. de simples tubes de rouge à lèvres coulissants. en matière plastique. incongrus. par centaines. attirants. peut-être même par milliers. magiques. si nombreux que chaque pas à l’intérieur de la pièce s’accompagnait d’un craquement. d’une résistance qui soudain abdique. d’un coquillage brisé. la vie dut être douce pute. entre tes lèvres incarnats. à force de reluquer par dessus. par dessus l’épaule de ma voisine. dans son décolleté. entre ses seins. dans sa gorge. de pénétrer profond la loupe dans sa cavité. de regarder se dessiner les propos que l’on se parle. de scruter gros plan l’élocution par dedans. jusqu’à l’entendre dans. pas de de mais dans. dans sa bouche grande ouverte à la voisine. entre ses dents cassées. sur sa langue mouille. les ondes moites émises par ses cordes. là-bas tout profond sa salive. vraiment très profond la salive sa source. les vibrations en moi dans sa bouche. jusqu’à trembler mon corps à l’unisson. à force de mater ses ovaires notre vocable. il fallait bien que ça arrive. de chuter vas-y. de sombrer dans les profondeurs. et en même temps c’est pas comme si. pas comme si elle m’attaquait sans les dents non plus. mademoiselle mord. t’es la plus belle des moudjahidines bébé. tu me ronges comme à présent. je te pourchasse d’hier avec ma langue. te poursuis jusque dans ta zone d’inconfort. avec tes dents mâchant mes lèvres. avec ma langue lapant ta nuque. à japper comme des clebs. à s’aimer comme des bègues. ta phrase et ma queue en suspend. jusqu’au plus profond de. qu’est-ce que t’avales là ma fille. mais ma parole t’es monstrueuse. c’est ma mélancolie que cette mie molle là. sais-tu. voici la lutte qui nous incombe. de haut en arrière. on joue à la bouscule. de bas en avant. on se donne au pugilat ah. à tâtons dans la masse. clef de bras et croc-en-jambe. la manchette à glotte. c’est mon coude dans ton œil. le crochet au menton. c’est ta main dans ma gueule. et voilà hon. comment ici on s’approprie. se donne on prend. ma chair dans ta chair. et les os à l’arrière. pioche j’y suis. halte. enfin je m’instaure en quelque part. une part de toi merci. maintenant viens sucrer ma bouche s’il te plaît. viens ourdir des caresses en mon flanc. calmement me viser au ventre avec le doigt et humecter l’intérieur de mes yeux. d’une main. d’une seule main me maintenir. tout entier me sentir calé. mon corps en ta main. m’y reposer enfin. y reposer. dans la moiteur de ta paume. merci c’était. il dit passons. passons au chapitre de la ballade introspective par voie auditive. le testeur est seul. accoudé à la rambarde du viaduc. observation de la voie rapide. sa configuration générale. formes et matériaux. formats poids et trajectoires. distance et vitesse de déplacement. une activité s’y déploie. en un mot commençant l’allure. toute l’activité qui s’y déploie. l’environnement sonore de. contemplation d’un fragment du monde. un fragment complet. exhaustif. incandescent. notre homme s’y enlise comme la botte dans la boue. une chute molle et écœurante. puis une succion qui ne l’est pas moins. à croire que l’on dénude des gencives. à la poursuite de l’instant prélevé. le timbre de la voie rapide. la vibration du garde-fou dans la rengaine de la circulation. le testeur choit à sa suite. il n’y aurait pourtant qu’à ne pas.

Johan Grzelczyk

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par Johan Grzelczyk
C’est qu’ils nous font chier, les mots
du premier au dernier jour, ils nous emmerdent

Mustapha Benfodil
« J’ai allumé mon corps pour le regarder vivre »

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Entretien avec Mustapha Benfodil, poète et journaliste algérien. Discussion suivie de la lecture d’un extrait, par l’auteur, du texte Le point de vue de la mort.
Sommaire : Assassinat du poète Tahar Djaout – poète & journaliste – J’ai allumé mon corps pour le regarder vivre – La censure – Rêve, révolte, révolution – Qui a peur de la représentation ? – La liberté par l’absurde – L’ironie répare la violence – Lecture d’un extrait Le point de vue de la mort – L’antiLivre où comment on conditionne la mort de la littérature dans les sociétés modernes.