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L’Éon de la noirceur est le temps du paradigme de l’esclave qui ne s’est toujours pas refermé.

Émission radiophonique avec Norman Ajari.
A propos de l’ouvrage Noirceur et pessimisme dans la pensée Africaine-Américaine au XXI° siècle, publié aux éditions Divergences.
Avec la voix de James Baldwin et Frédéric Neyrat.

Pessimisme quant à la capacité de la société blanche à dépasser sa négrophobie. En dépit de toutes les vérités inutiles comme – un Africain-Américain deux fois président des Etats-Unis – l’illusion de la liberté demeure alors que les noirs sont massivement incarcérés et victimes d’une violence gratuite. La déshumanisation des noirs n’est pas un processus achevé, le paradigme de l’esclave continue d’usiner dans l’inconscient des non-noirs.

Les non-noirs s’obstinent à se conforter dans leur idée d’humanité. Une humanité qui s’érige en positivité en rejetant dans la négativité la noirceur. Dans cette humanité du bien, libérer les noirs ou les réduire en esclavage c’est toujours, soit se faire du bien par l’intermédiaire d’un noir, soit faire du noir un bien. C’est que les progressistes blancs n’ont aucune idée du mal, jamais ils ne l’ont habité et n’imaginent même pas qu’il ait pu être habitable. Et pourtant c’est au mal, au négatif, qu’ils relèguent les noirs sans jamais se demander une seule fois comment la vie pouvait s’y déployer, quelle connaissance du monde pouvait s’y loger, quels concepts pour la pensée, pour la politique, pour l’art pouvaient y naître. Jamais il ne se sont vraiment demander qu’elle connaissance les noirs pouvaient-il avoir de la société blanche, comment ils ont survécu, quel fin du monde ont-ils connu. Il ne s’agit pas d’écouter sagement et de se taire, mais de chercher à se des-identifier de l’ontologie blanche, non pas en se prenant pour un damné – c’est toute la philosophie deleuzienne des devenirs minoritaires qu’il faudrait pouvoir ré-interroger au prisme de l’accumulation par dépossession dont nous parle les afropessimistes – mais plutôt en désactivant les automatismes du bien. L’éon de la noirceur, ce temps ontologique dans lequel perdure le paradigme de l’esclave, est solidaire du partage entre le bien et le mal, est solidaire d’une humanité animé par la quête du bien. Alors quoi ? Faudrait-il désirer le mal ? Il ne s’agit pas de le désirer, la quête du bien aura produit tout le mal nécessaire à son érection, il s’agit plutôt de ne pas désirer sauver ce monde si c’est pour le sauvegarder sous l’éon de la noirceur. Et à ce titre, le survivalisme des non-noirs n’est rien d’autre qu’une écologie de l’anti-noirceur.
L’exil ontologique, cette vie sans nomos, cette souveraineté qui n’est ni droit sur un territoire, ni propriété sur son corps, dont témoignent les auteur.e.s de l’afropessimisme dessine un autre communisme. Pour sortir de l’anti-noirceur, la société blanche doit avant tout accepter que d’autres mondes ont été habités et que la fin du monde qui vient n’est pas le problème de ceux qui depuis tant d’années vivent sous le paradigme de l’esclave – l’anthropocène s’ajoute aux horreurs – mais le problème de la société blanche. C’est pour elle que désormais le monde va devenir inhabitable. Et il est fort à parier qu’elle envisage de faire face à cette nouvelle condition avec les même ressorts usés du bien qui l’a conduit à produire tant d’injustices et de désastres.



Réalisation : Emmanuel Moreira

L’éon de la noirceur est le temps du paradigme de l’esclave. C’est un temps ontologique qui ne s’est toujours pas refermé.
Dans l’éon de la noirceur, les noir.e.s sont captifs de l’inconscient collectif des non-noir.e.s.
Dans l’éon de la noirceur, l’anti-noirceur humanise les non-noir.e.s.
Dans l’éon de la noirceur, l’anti-noirceur rend les différences soutenable et maintient l’unité.
Dans l’éon de la noirceur, les non-noir.e.s tirent plaisir de l’anti-noirceur.
Dans l’éon de la noirceur, les non-noir.e.s rationalisent à postériori par des concepts racistes une structure inconsciente qui positionne les noir.e.s en sous-humanité et objets de désir.
Dans l’éon de la noirceur, la violence de l’anti-noirceur préserve l’ordre lui même.
Dans l’éon de la noirceur, les non-noir.e.s s’assurent de la certitude qu’ils sont tout.
Dans l’éon de la noirceur, l’homme noir n’est pas un homme.
Dans l’éon de la noirceur, la position noire est un site de désubjectivation.
Dans l’éon de la noirceur, la noirceur n’est pas une identité mais une position relative à la naissance à laquelle il est impossible d’échapper.
Dans l’éon de la noirceur, il n’y a pas de récit de fin de l’anti-noirceur.
Dans l’éon de la noirceur, il n’y a pas pour les noir.e.s de chez soi et de maison dans le monde.
Dans l’éon de la noirceur, la grammaire de la souffrance des noir.e.s ne relève pas de la narration de la perte et de la restauration.
Dans l’éon de la noirceur, il n’y a pas de plénitude absente ou perdue attachée à la noirceur.
Dans l’éon de la noirceur, la noirceur impose de traverser le monde en étranger à cette terre.
Dans l’éon de la noirceur, les noir.e.s déploient des sciences inhumaines et des politiques de l’inhabitabilité.
Dans l’éon de la noirceur, le marxisme n’est d’aucun secours.
Dans l’éon de la noirceur, les non-noir.e.s jouissent à travers les noir.e.s du bien qu’ils prétendent accomplir.
Dans l’éon de la noirceur, les noir.e.s n’ont jamais eu de futurs.
Dans l’éon de la noirceur, l’inconscient non-noir.e.s n’a de cesse de détrousser les conditions de son humanité à même le cadavre du nègre.
Dans l’éon de la noirceur, la conscience noire est conscience d’une conscience.
Dans l’éon de la noirceur, les noir.e.s ne peuvent échapper à la noirceur, ils séjournent auprès du négatif.

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