Anna Carlier & Emmanuel Moreira
Il s’agit d’une image. Elle est prise en Ukraine : un jeune couple tout juste marié. On les voit ici adossés à un mur, arme à la main, chacun son arme. Prêts à défendre leur pays. Iconographie de la Passion, de l’amour, de la guerre et de la résistance. Eléments pour un poème. Eléments qui alimentent ici en France et jusque dans des milieux dits révolutionnaires l’idée que prendre les armes équivaut à la révolution. Eléments qui alimentent en Ukraine l’idée que la prise d’armes s’inscrit dans la défense de la révolution.
La politique de Zelensky ne peut pourtant être confondue avec les espoirs révolutionnaires de 2014. Quelle révolution les ukrainiens seraient-ils en train de défendre ? Quels imaginaires de la révolution ici en France sommes nous en train de nourrir à travers cette image ? Quel lyrisme révolutionnaire s’y loge ?
Par ce texte nous voulons défendre un point de vue pessimiste-révolutionnaire inspiré de la lecture du livre de Norman Ajari Noirceur. Pessimisme dans la pensée Africaine-Américaine au XXI° siècle, aux éditions Divergences. Ce point de vue seul, nous permet de ne pas tomber dans les leurres, dans l’or des icônes, et la promesse du langage que charrie le lyrisme révolutionnaire. Les révolutionnaires doivent eux aussi séjourner dans le négatif car il n’y a pas de révolution positive, nous n’en connaissons pas. Nous ne pouvons que vouloir que ce monde aille à sa perte. La fin du monde ou rien.
Il nous faut aller contre la mythologie révolutionnaire et ne pas se laisser séduire par le poème. S’il a été nécessaire de lutter contre le mathème (la révolution programmatique) il est aujourd’hui nécessaire de se battre contre le poème. Il faut refermer le livre.
« Quand il faudra fermer le livre – Ce sera sans regretter rien – J’ai vu tant de gens si mal vivre – Et tant de gens mourir si bien » Aragon cité par Jean-Luc Godard dans le film Je vous salue Sarajevo (1993).
Ce livre qu’il faut refermer c’est le livre qui s’est ouvert doublement, où la métaphysique prend naissance dans le mythe tout en le congédiant. Dans sa lutte contre le mathème, la révolution s’est réfugiée dans le poème. Or le poème-refuge est un après-coup de la naissance de la philosophie, comme une réaction. Le poème s’est retrouvé à la fois expulsé de la métaphysique et inclus en elle. D’une certaine manière, la révolution est arkhè par la métaphysique. On peut dire que c’est la métaphysique qui tend l’arc de la révolution au poème. C’est de cela dont il faut sortir.
Décoloniser la révolution de ses légendes héroïques, homériennes, victorieuses pour situer la révolution dans la fuite, la désertion, le retrait, le refus, la déprojection, la déprise. Soit : refuser l’arme que me tend la métaphysique et séjourner dans le poème non armé.
« Je ne suis pas Hamlet. Je ne joue plus de rôle. Mes mots n’ont plus rien à me dire. Mes pensées aspirent le sang des images. Mon drame n’a plus lieu. Derrière moi plantent le décor des gens que mon drame n’intéresse pas pour des gens qu’il ne concerne pas. Moi non plus, il ne m’intéresse plus. je ne joue plus. » Hamlet-machine, Heiner Müller (1977).
Qui se prend pour Hamlet en ce moment, qui joue un rôle ? Le président ukrainien. Cette solidarité entre le scénario continué de la série Serviteur du peuple et la mise en scène des deux jeunes mariés en armes est totale. Deux images qui capturent l’imaginaire au profit d’un nationalisme guerrier rendu désirable, qui n’est que l’arrière-fond à la mobilisation générale interdisant aux hommes de fuir la guerre.
L’absence d’une pensée de la désertion dans les discours de soutien aux ukrainiens et la valorisation des résistants armés nous interpelle.
Nous revient à la mémoire un autre film de Jean-Luc Godard, où croyant filmer des révolutionnaires, il filmait la mort. Revenu en France, plein d’images parlantes pour la révolution, revoyant ces images, confronté à la mort réelle de tous ceux qu’il avait filmé, Anne-Marie Miéville s’aperçoit alors qu’il avait fabriqué du symbole et du mythe, l’Internationale en fond sonore venue aplanir en une seule et même histoire mythologique le réel. Et on se souviendra que confronté à cette immaturité ils nous livreront une critique inégalée du lyrisme révolutionnaire, préférant renoncer au poème armé qu’ils avaient pourtant le pouvoir de produire.
« Pauvre idiot de révolutionnaire millionnaire en images de révolutions… » Ici et ailleurs, Jean-Luc Godard & Anne-Marie Miéville (1976)
Contre le poème armé, il nous faut retrouver un poème du renoncement. Poème de la damnation, de la solitude, des riens, des cafards, des pigeons, des rats. (Pour une littérature qui empeste, Michel Surya, 2021). Une littérature qui dira toujours : c’est perdu – et ne comptez pas sur moi pour vous consoler. Jamais la guerre en mon nom. Une littérature inquiète. La seule à faire le récit des déserteurs. Parce que c’est toujours la même chose : que deviennent les fous ? Dans cette guerre en Ukraine, que deviennent les fous ? Les handicapés, les muets, les sans-bras, les suicidés ? Ceux qui n’ont pas la possibilité de l’héroïsme. Qui s’inquiètera d’eux si la littérature ne le fait pas ? Et quelle révolution si elle ne part pas de là ?
Alors, comment et de quoi est-on solidaire dans cette guerre ?
Il ne s’agit pas d’être solidaire d’un peuple. Le peuple c’est du constitué, de la mythologie. Il s’agit d’être solidaire avec l’inconstitué. Des bouts, des moignons. Ce qui ne peut pas se réifier en peuple. Ce qui dans notre histoire n’aura été agrégé que pour sa destruction dans les camps, les asiles. La communauté de ceux qui n‘ont pas de communauté. À part la mort ? La mort n’est pas une communauté. Il n’y a pas de communauté dans la mort.
Et puis, par ailleurs, seuls les États-Nations reconnaissent les peuples. Et nous voyons bien comment ceux-ci viennent en aide au « peuple ukrainien ». Soutenir le « peuple ukrainien » du point de vue révolutionnaire ou du point de vue dominant c’est se faire le larbin des États-Nations. Il faudrait pouvoir en finir avec le mot peuple, particulièrement en ce temps où la guerre n’a de cesse de lui donner le corps et le visage de la nation.
Puisqu’il faut le redire, nous le disons encore : nous appartenons à la communauté de ceux qui n’ont pas de communauté. Les non intégrables. Dans la mobilisation générale les premiers à pâtir sont les sans communauté. Ceux à qui on refuse l’humanité: les Noirs. Puis viennent ceux qui ne comptent pour rien, considérés sans utilité : les fous, les amputés. Et enfin puisqu’il faut toujours des ennemis intérieurs, des suspects : les Rroms.
La mobilisation générale de tous les hommes en Ukraine non seulement est un rappel à l’ordre du patriarcat au sein de l’Europe mais elle condamne à la prison et à la mort tous ceux qui refusent d’être ukrainiens, qui refusent cette subjectivité là. C’est la liquidation de l’énoncé : ukrainien m’est impossible. C’est un possible impossible qui se retrouve liquidé. Cette liquidation du possible impossible est une fermeture, une porte blindée sur le futur, la main coupée de qui voudrait refermer le livre. Songeons ici au slogan de Zemmour « impossible n’est pas français », à quoi nous devons toujours répondre « c’est français qui m’est impossible » (Frédéric Neyrat, Le discours de l’araignée, laviemanifeste.com).
Les jeunes révolutionnaires fascinés par l’iconographie de la résistance ukrainienne ne sont rien d’autre que des Télémaque angoissés par la disparition du Patriarche, sentant cet appel de la relève en eux. Télémaque fait des pompes pour devenir comme papa. Défendre le foyer. Il y a une économie libidinale dans la révolution, qu’il est temps de dépouiller
Que vient dire Athéna à Télémaque ?
« congédie ta mère et prépare-toi à la guerre »
Qui parle par la voix d’Athéna ?
Homère.
Qui est Homère ?
Un poète.
Et que fait-il ?
Il fait entrer la guerre dans le coeur des adolescents et transforme les larmes en armes. Il leur dit « soyez prêts à mourir »
Comment s’y prend-il ?
En éloignant la mère, il endurcit le coeur, il sèche les larmes pour ne garder d’elles que la rage – cette pureté révolutionnaire – et projette Télémaque dans une histoire sans mémoire.
Télémaque, celui qui se bat au loin de sa tristesse
Nous voulons un Télémaque éploré. Nous serons un Télémaque éploré. Celui dont personne ne veut écrire l’histoire. Cette histoire qui n’a jamais été rendue possible, dont il nous faut retrouver la mémoire.
ô tristesse, où te caches-tu dans le corps de ces deux jeunes gens ?
Les larmes de Télémaque le maintiennent au plus près des horreurs de la guerre, de l’injustice, des charognards. C’est dans le Goya des désastres de la guerre que se trouvent enfouies les larmes. Et c’est avec lui qu’il nous faut regarder aujourd’hui l’Ukraine.
La guerre c’est toujours l’éducation sentimentale du patriarcat. Dans l’envolée lyrique révolutionnaire couve toujours une guerre. C’est parce qu’on lui conte les forfaits héroïques d’Ulysse que Télémaque se sent pousser les ailes d’un destin. Et puisqu’il s’agit d’épopée, nous préfèrerons toujours Guyotat à Homère, car chez Guyotat l’héroïsme n’est renvoyé à aucun désir, aucune volonté, aucune souveraineté. L’héroïsme n’est que la reproduction machinale du monde, d’où aucune passion ne peut naître. Il est le forfait des criminels. La vie y demeure en infraction. Qu’est-ce qu’une vie qui demeure en infraction ? Une vie interdite, refoulée, bannie, non intégrable au récit. Une vie qui n’est d’aucun secours. Notre pessimisme-révolutionnaire a l’imaginaire de Guyotat.
Télémaque, à quoi te servent tes larmes ?
À rien. A demeurer à distance des meurtriers.
Tes larmes lavent tes yeux du mythe de tous les pères, de toutes les nations.
Tes larmes Télémaque convoquent un autre monde, d’autres lois.
Plutôt la fuite, l’errance, la folie, que la guerre.
Ne te bat pas au loin.
Referme le livre et déleste toi des ivresses du poème.
Et ainsi notre Télémaque éploré n’a plus rien.
Que la nuit,
que le jour et leur succession.
La nuit où nul ne se blottit.
Télémaque regarde le palais et ne voit que des murs.
Il se sait enfermé
Il se sait condamné
en lui surgit le poème du suicidé, du damné, du rat.
//////////////// Autres documents
Un flux radiophonique. Réalisation : Emmanuel Moreira.
Textes & Voix : Amandine André / Anna Carlier / Angela Davis / Michel Foucault / Jean Genet / Jean-Luc Godard / Pierre Guyotat / Angélique Humbert / Claire Longuet / Martin Luther King / Emmanuel Moreira / Frédéric Neyrat / Sun Ra / Michel Surya / Tiqqun « Une métaphysique critique pourrait naître comme science des dispositifs… » / Malcom X
Le fantôme de Kiev ou Celui qui se bat au loin
Anna Carlier & Emmanuel Moreira
Il s’agit d’une image. Elle est prise en Ukraine : un jeune couple tout juste marié. On les voit ici adossés à un mur, arme à la main, chacun son arme. Prêts à défendre leur pays. Iconographie de la Passion, de l’amour, de la guerre et de la résistance. Eléments pour un poème. Eléments qui alimentent ici en France et jusque dans des milieux dits révolutionnaires l’idée que prendre les armes équivaut à la révolution. Eléments qui alimentent en Ukraine l’idée que la prise d’armes s’inscrit dans la défense de la révolution.
La politique de Zelensky ne peut pourtant être confondue avec les espoirs révolutionnaires de 2014. Quelle révolution les ukrainiens seraient-ils en train de défendre ? Quels imaginaires de la révolution ici en France sommes nous en train de nourrir à travers cette image ? Quel lyrisme révolutionnaire s’y loge ?
Par ce texte nous voulons défendre un point de vue pessimiste-révolutionnaire inspiré de la lecture du livre de Norman Ajari Noirceur. Pessimisme dans la pensée Africaine-Américaine au XXI° siècle, aux éditions Divergences. Ce point de vue seul, nous permet de ne pas tomber dans les leurres, dans l’or des icônes, et la promesse du langage que charrie le lyrisme révolutionnaire. Les révolutionnaires doivent eux aussi séjourner dans le négatif car il n’y a pas de révolution positive, nous n’en connaissons pas. Nous ne pouvons que vouloir que ce monde aille à sa perte. La fin du monde ou rien.
Il nous faut aller contre la mythologie révolutionnaire et ne pas se laisser séduire par le poème. S’il a été nécessaire de lutter contre le mathème (la révolution programmatique) il est aujourd’hui nécessaire de se battre contre le poème. Il faut refermer le livre.
« Quand il faudra fermer le livre – Ce sera sans regretter rien – J’ai vu tant de gens si mal vivre – Et tant de gens mourir si bien » Aragon cité par Jean-Luc Godard dans le film Je vous salue Sarajevo (1993).
Ce livre qu’il faut refermer c’est le livre qui s’est ouvert doublement, où la métaphysique prend naissance dans le mythe tout en le congédiant. Dans sa lutte contre le mathème, la révolution s’est réfugiée dans le poème. Or le poème-refuge est un après-coup de la naissance de la philosophie, comme une réaction. Le poème s’est retrouvé à la fois expulsé de la métaphysique et inclus en elle. D’une certaine manière, la révolution est arkhè par la métaphysique. On peut dire que c’est la métaphysique qui tend l’arc de la révolution au poème. C’est de cela dont il faut sortir.
Décoloniser la révolution de ses légendes héroïques, homériennes, victorieuses pour situer la révolution dans la fuite, la désertion, le retrait, le refus, la déprojection, la déprise. Soit : refuser l’arme que me tend la métaphysique et séjourner dans le poème non armé.
« Je ne suis pas Hamlet. Je ne joue plus de rôle. Mes mots n’ont plus rien à me dire. Mes pensées aspirent le sang des images. Mon drame n’a plus lieu. Derrière moi plantent le décor des gens que mon drame n’intéresse pas pour des gens qu’il ne concerne pas. Moi non plus, il ne m’intéresse plus. je ne joue plus. » Hamlet-machine, Heiner Müller (1977).
Qui se prend pour Hamlet en ce moment, qui joue un rôle ? Le président ukrainien. Cette solidarité entre le scénario continué de la série Serviteur du peuple et la mise en scène des deux jeunes mariés en armes est totale. Deux images qui capturent l’imaginaire au profit d’un nationalisme guerrier rendu désirable, qui n’est que l’arrière-fond à la mobilisation générale interdisant aux hommes de fuir la guerre.
L’absence d’une pensée de la désertion dans les discours de soutien aux ukrainiens et la valorisation des résistants armés nous interpelle.
Nous revient à la mémoire un autre film de Jean-Luc Godard, où croyant filmer des révolutionnaires, il filmait la mort. Revenu en France, plein d’images parlantes pour la révolution, revoyant ces images, confronté à la mort réelle de tous ceux qu’il avait filmé, Anne-Marie Miéville s’aperçoit alors qu’il avait fabriqué du symbole et du mythe, l’Internationale en fond sonore venue aplanir en une seule et même histoire mythologique le réel. Et on se souviendra que confronté à cette immaturité ils nous livreront une critique inégalée du lyrisme révolutionnaire, préférant renoncer au poème armé qu’ils avaient pourtant le pouvoir de produire.
« Pauvre idiot de révolutionnaire millionnaire en images de révolutions… » Ici et ailleurs, Jean-Luc Godard & Anne-Marie Miéville (1976)
Contre le poème armé, il nous faut retrouver un poème du renoncement. Poème de la damnation, de la solitude, des riens, des cafards, des pigeons, des rats. (Pour une littérature qui empeste, Michel Surya, 2021). Une littérature qui dira toujours : c’est perdu – et ne comptez pas sur moi pour vous consoler. Jamais la guerre en mon nom. Une littérature inquiète. La seule à faire le récit des déserteurs. Parce que c’est toujours la même chose : que deviennent les fous ? Dans cette guerre en Ukraine, que deviennent les fous ? Les handicapés, les muets, les sans-bras, les suicidés ? Ceux qui n’ont pas la possibilité de l’héroïsme. Qui s’inquiètera d’eux si la littérature ne le fait pas ? Et quelle révolution si elle ne part pas de là ?
Alors, comment et de quoi est-on solidaire dans cette guerre ?
Il ne s’agit pas d’être solidaire d’un peuple. Le peuple c’est du constitué, de la mythologie. Il s’agit d’être solidaire avec l’inconstitué. Des bouts, des moignons. Ce qui ne peut pas se réifier en peuple. Ce qui dans notre histoire n’aura été agrégé que pour sa destruction dans les camps, les asiles. La communauté de ceux qui n‘ont pas de communauté. À part la mort ? La mort n’est pas une communauté. Il n’y a pas de communauté dans la mort.
Et puis, par ailleurs, seuls les États-Nations reconnaissent les peuples. Et nous voyons bien comment ceux-ci viennent en aide au « peuple ukrainien ». Soutenir le « peuple ukrainien » du point de vue révolutionnaire ou du point de vue dominant c’est se faire le larbin des États-Nations. Il faudrait pouvoir en finir avec le mot peuple, particulièrement en ce temps où la guerre n’a de cesse de lui donner le corps et le visage de la nation.
Puisqu’il faut le redire, nous le disons encore : nous appartenons à la communauté de ceux qui n’ont pas de communauté. Les non intégrables. Dans la mobilisation générale les premiers à pâtir sont les sans communauté. Ceux à qui on refuse l’humanité: les Noirs. Puis viennent ceux qui ne comptent pour rien, considérés sans utilité : les fous, les amputés. Et enfin puisqu’il faut toujours des ennemis intérieurs, des suspects : les Rroms.
La mobilisation générale de tous les hommes en Ukraine non seulement est un rappel à l’ordre du patriarcat au sein de l’Europe mais elle condamne à la prison et à la mort tous ceux qui refusent d’être ukrainiens, qui refusent cette subjectivité là. C’est la liquidation de l’énoncé : ukrainien m’est impossible. C’est un possible impossible qui se retrouve liquidé. Cette liquidation du possible impossible est une fermeture, une porte blindée sur le futur, la main coupée de qui voudrait refermer le livre. Songeons ici au slogan de Zemmour « impossible n’est pas français », à quoi nous devons toujours répondre « c’est français qui m’est impossible » (Frédéric Neyrat, Le discours de l’araignée, laviemanifeste.com).
Les jeunes révolutionnaires fascinés par l’iconographie de la résistance ukrainienne ne sont rien d’autre que des Télémaque angoissés par la disparition du Patriarche, sentant cet appel de la relève en eux. Télémaque fait des pompes pour devenir comme papa. Défendre le foyer. Il y a une économie libidinale dans la révolution, qu’il est temps de dépouiller
Que vient dire Athéna à Télémaque ?
« congédie ta mère et prépare-toi à la guerre »
Qui parle par la voix d’Athéna ?
Homère.
Qui est Homère ?
Un poète.
Et que fait-il ?
Il fait entrer la guerre dans le coeur des adolescents et transforme les larmes en armes. Il leur dit « soyez prêts à mourir »
Comment s’y prend-il ?
En éloignant la mère, il endurcit le coeur, il sèche les larmes pour ne garder d’elles que la rage – cette pureté révolutionnaire – et projette Télémaque dans une histoire sans mémoire.
Télémaque, celui qui se bat au loin de sa tristesse
Nous voulons un Télémaque éploré. Nous serons un Télémaque éploré. Celui dont personne ne veut écrire l’histoire. Cette histoire qui n’a jamais été rendue possible, dont il nous faut retrouver la mémoire.
ô tristesse, où te caches-tu dans le corps de ces deux jeunes gens ?
Les larmes de Télémaque le maintiennent au plus près des horreurs de la guerre, de l’injustice, des charognards. C’est dans le Goya des désastres de la guerre que se trouvent enfouies les larmes. Et c’est avec lui qu’il nous faut regarder aujourd’hui l’Ukraine.
La guerre c’est toujours l’éducation sentimentale du patriarcat. Dans l’envolée lyrique révolutionnaire couve toujours une guerre. C’est parce qu’on lui conte les forfaits héroïques d’Ulysse que Télémaque se sent pousser les ailes d’un destin. Et puisqu’il s’agit d’épopée, nous préfèrerons toujours Guyotat à Homère, car chez Guyotat l’héroïsme n’est renvoyé à aucun désir, aucune volonté, aucune souveraineté. L’héroïsme n’est que la reproduction machinale du monde, d’où aucune passion ne peut naître. Il est le forfait des criminels. La vie y demeure en infraction. Qu’est-ce qu’une vie qui demeure en infraction ? Une vie interdite, refoulée, bannie, non intégrable au récit. Une vie qui n’est d’aucun secours. Notre pessimisme-révolutionnaire a l’imaginaire de Guyotat.
Télémaque, à quoi te servent tes larmes ?
À rien. A demeurer à distance des meurtriers.
Tes larmes lavent tes yeux du mythe de tous les pères, de toutes les nations.
Tes larmes Télémaque convoquent un autre monde, d’autres lois.
Plutôt la fuite, l’errance, la folie, que la guerre.
Ne te bat pas au loin.
Referme le livre et déleste toi des ivresses du poème.
Et ainsi notre Télémaque éploré n’a plus rien.
Que la nuit,
que le jour et leur succession.
La nuit où nul ne se blottit.
Télémaque regarde le palais et ne voit que des murs.
Il se sait enfermé
Il se sait condamné
en lui surgit le poème du suicidé, du damné, du rat.
//////////////// Autres documents
Le discours de l’araignée
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Textes & Voix : Amandine André / Anna Carlier / Angela Davis / Michel Foucault / Jean Genet / Jean-Luc Godard / Pierre Guyotat / Angélique Humbert / Claire Longuet / Martin Luther King / Emmanuel Moreira / Frédéric Neyrat / Sun Ra / Michel Surya / Tiqqun « Une métaphysique critique pourrait naître comme science des dispositifs… » / Malcom X
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