© Image Nathalie Blanchard

tous les animaux à deux temps

Tu sais c’est pas de la pensée tout ça
pas du sentiment non non
je constate juste la mort en toi elle est sans objet
au toucher c’est assez froid.

 

Amie, vous êtes là et pensez que vous n’êtes que là, à cause de ça vous allez penser que j’ai trop lu (pourtant pas), à cause de ça c’est une aiguille que je plante dans ma peau, ça saigne un peu, c’est juste une façon de vous montrer que je suis bien là, j’espère que vous percevrez que mon propos n’est pas littéraire, surtout pas, nous nous étions mis d’accord sur une-idée-une-seule : le corps porte sa fin en lui, une fin en germe, vous devez vous souvenir de l’homo erectus, le dispositif, le feu d’artifice, la fin des espèces, les cadres ne sont que des territoires que l’on trace autour de nous pour mourir en nous-même.

Mais il y a autre chose et cette autre chose est un animal, sans fin, une sortie hors cadre, in-vue. Comme il y a une chose, sa fin et une autre chose, il y a du cuit et du cru, du trivial et du sacré, du mot et du chose, du baise et du amour, du gras et du propre, du suintement et du neutralisé. À cause de ça le discours est hyper-humain sapiens sapiens, vous avez mon amitié ma chère, c’est à cause de vous qu’il parle, il parle cuit, il parle cru.
Auriez-vous quelque chose contre le déploiement chère amie ? voulais-je vous dire. Le déploiement de la pensée. À l’orée du mouvement (faut le dire), il y a l’anarchique pensée concentréedéployée, une boule hyper dense concentrée dans une boule-tête, libre dans un cadre-boule. Il convient de resserrer. Pourquoi le feriez-vous ? Auriez-vous quelque chose contre de repliement ? Un cœur bat ce muscle. Ça va ça, vient, c’est mou, ça se balance dans la marche. Il est quand on le pense, c’est dire qu’il est terminé. Faut pas rêver, à l’orée, tout commence, c’est le terminé qui commence, le terminé qui commence sa marche, c’est le corps qui sort du corps, vous avez eu des enfants ma chère amie ? Il se termine ce corps parce que lorsqu’il commence : il est vu.

Bref, bref, bref. Être vu, c’est finir. Il y a un truc là-dedans-derrière. L’in-vu est source, l’in-vu est le tout début du mouvement caché (omis, devrais-je dire) puisque pas de temps, on n’a pas la clé de son temps au fond, on ne l’a pas cette clé puisque fichtre ça n’existe pas plus que les miroirs, le temps. Certainement parce qu’il y en a un autre qui le contredit (on verra ça plus tard). Eh bien l’Initiale – qui ne veut encore rien dire aux yeux des autres – est pure entame, le film commence, il n’a qu’une image, ce n’était pourtant pas une photo, je n’ai rien vu, il est question ici du principal, en avez-vous conscience ? Si non, c’est que vous avez oublié votre présent et votre présence n’est pas, alors (voulez-vous bien me regarder ?) personne d’autre que vous ne vous voit, je préfère dire et penser l’in-vu initial.

Vous penserez sans doute que je suis bien peu conséquent ma chère amie. Il n’en demeure pas moins que ma ligne de vie est tout le temps vue par mon Initiale et d’un peu partout pour dire vrai. Pas vue-pas-prise. Certains la diront animale chez moi. En moi, c’est animal. Le premier du mot baigne dans une source, cette source a pour contexte le vide, le vide a pour fenêtre l’amour sapiens, le premier du nom est un animal. Pour dire plus vaste, il est animal. Le déterminant n’a lieu qu’en la personne, pareille à un corps. Là, je ne parle pas de la méduse, juste de son mouvement, le mouvement importe davantage que la chose.

Imaginez, chère amie, un félin – ou plutôt son cri – dont le mouvement serait celui de la méduse. C’est à peu près ce à quoi je ressemble, un cri alternativement replié, déplié, un cri de bête aussi visible – pour moi – que la chair de la méduse. Alors on dit que ça transforme les choses en pierre, tout ça. C’est pas faux mais très franchement il ne faut pas le craindre puisque le temps (début-fin de l’histoire) n’est que là-hyper-sapiens. Et le souvenir n’est que trace vue, là, tout de suite avec vos yeux, les vôtres ma chère amie.

Je disais donc, à l’orée du cœur au mouvement méduse, il y avait un animal caché, un animal central, un animal replié. Pensez-vous qu’il aurait peur comme l’araignée qui feint la mort ? J’écris il et pourtant je sais qu’il n’est pas sexué. Il cherche dedans, dehors, l’ange. J’écris cherche et pourtant je sais qu’il ne cherche pas. Il existe simplement une bête, vous disais-je. Elle est, s’ouvre, se ferme, se rouvre, se referme. Dedans (on peut aisément voir ce qu’il y a en elle, cette bête), on voit une source de lumière. Une veilleuse. C’est un joli mot veilleuse. Quelque chose comme un éclat de ver luisant dans un trou de nuit. Le hic dans cette histoire, celle que je vous raconte, c’est que ce ver luisant, cette petite lumière, cette source à l’orée de la ligne de l’histoire, cette veilleuse – je recommence – le hic, disais-je, c’est que cet in-vu luisant, cette minuscule petite bête a la puissance du lion en rage. Pour moi, c’est un avis, une comparaison tout à fait relative à la taille et au poids de mon corps mais ça vous donne une idée.

Chère amie, pour concevoir l’animal central, il vous faut donc fermer les yeux, arrêter de penser votre pouls qui vous dépasse, merci docteur, il vous faut penser à une lumière in-vue qui aurait la fragilité de la flamme de l’allumette et la puissance d’un félin colossal, en conquête, qui va dehors, va dedans, et c’est exactement pour cette raison-là que la méduse avance. Vous m’avez dit un jour que je pensais trop. J’ai cru comprendre, quand vous me l’avez dit, que c’est parce que je fantasmais, que mes idées étaient des vœux, je ne veux pas vous contrarier car je vous aime beaucoup mais je dois vous annoncer que nous avons deux temps, un temps mort et un temps vivant, un temps dedans, un temps dehors et pour impensable que ça puisse paraître, c’est toujours le dehors qui vient s’inscrire dedans, c’est toujours le vivant qui vient se mettre dans du mort.

C’est pourquoi mon amie le fantasme n’a pas d’autre qualité que celle d’entretenir la bougie, qu’il soit rêve ou cauchemar. Là où les gens ont raison, c’est que le contenu, les histoires colportées par les rêves et les cauchemars ne sont pas si intéressantes que ça, elles ne sont que prétextes or les prétextes ne sont que les habits du ver luisant (des cache-sexe, on veut contraindre l’hermaphrodite à la réclusion). Pour avancer, le ver se plie puis se déplie.
Auriez-vous quelque chose contre le déploiement, chère amie ? J’espère que vous m’excuserez, j’ai un peu digressé alors que le centre de mon propos était l’Initiale, c’est-à-dire le nom-lettre de l’animal central. Il a un nom, oui, il a un nom et c’est d’ailleurs pourquoi nous ne sommes pas des bêtes. Il est tous les animaux à deux temps. Il y a un peu de vent au plus profond de la caverne. Nous nous demandons d’où il peut venir ce vent, nous sommes au plus loin dans le fermé de l’initial commencement. Nous nous rendons compte que le vent commence ici aussi. Un autre vent. Pas celui que nous connaissons, dehors, toutes fenêtres ouvertes. Un vent initial. Je comprends. Dans l’Initiale, deux temps, deux mondes, deux, deux, deux, commencent, commencent. Surtout ne pas les confondre l’un avec l’autre.

Je vous parle beaucoup mon amie, c’est discours tout ça, tout ça.

Vous êtes assise sur un fauteuil à bascule, vous allez en avant, en arrière, je pose ma main sur votre main, la vôtre est ridée, elle est froide, je m’étonne, elle est très froide, je regarde vos yeux, ils sont ouverts et fixes, vides comme on dit, je m’aperçois que vous êtes morte, que vous venez de mourir, votre cœur s’est arrêté, depuis tout à l’heure je parle dans le vide comme on dit, mais vous vous balancez toujours dans votre fauteuil à bascule, ou c’est votre siège qui vous balance, vous mimez le mouvement des poids de l’horloge, je m’aperçois que votre chaise mimait votre vie, y a plus rien là-dedans on dirait et je me dis que votre mort, intervenue alors que je vous parlais, montre bien qu’il y a deux temps dont un en retard et ces deux temps sont les deux qualités de la flamme de l’allumette.

Colossal & Fragile sont deux chausse-flammes.

 

Mathieu Brosseau
Ce texte fera partie d’un ensemble à paraître intitulé
« L’Animal Central »

 

///////////////////////// Autres documents

photoLe visage-rien
fallait la sortir du cadre, trop de visages incomplets dedans son visage, fallait sortir son rien pour que le vide parle, le mal par le mal, faire de l’art, c’est ce qu’on dit, tirer du rien par de la bavardise inventée
par Mathieu Brosseau

 

Symposium Backstage gaetaneNon, rien (premier extrait)
Pas un homme. Pas un saint. Pas un monstre. MAIS un homme, MAIS un saint, MAIS un monstre. Et la lubricité du songe. Intacte.
Agnès Rouzier.

 

W A T E RL’ allant dit l’avant
Dieu est un fragment nécessaire
Extraits de Ici dans ça de Mathieu Brosseau à paraître aux éditions Le Castor Astral en juin 2013