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Psyché est étendue, n’en sait rien

Le travail de Thomas Ferrand consiste à explorer la scène comme émergence d’un monde présent dans notre monde mais que nos perceptions ne parviennent pas à atteindre. La scène est donc un laboratoire qui va permettre d’entrer en relation avec cet espace. Il s’agit alors de modifier les perceptions et cela est produit par la création musicale et spatiale, les trajectoires des corps, la présence d’un objet.

Ces mondes jaillissent et se consument en même temps que leur venue. La pièce Mon amour est le langage d’un Don Juan qui brûle plus vite que le désir, la parole s’accélère, elle devient plus rapide que les corps et les désirs qui la suivent, il faut rattraper les mots dont la vitesse est telle qu’ils finissent par ne plus être audible. Ils se développent dans l’espace qui semble soumis à leur pression et leur énergie, ils n’ont plus de corps propre et faisant cela ils inversent rôles, genres et statuts. Ce qui s’altère du texte de Molière dans la répétition n’est que le fait qu’une autre logique est à l’œuvre. Le texte n’est plus porté, il devient sujet autonome et régit l’espace scénique en débauché. L’art de la perte, l’objet d’amour s’altère et cette altération n’offre plus de quoi capitaliser les corps. Don Juan n’est plus alors le chasseur collectionneur mais se trouvant emporté par la mécanique folle du langage qui n’est plus au service, le langage devient souverain et dans cette vitesse Don Juan devient nomade. L’autre se défait ainsi de l’objet qu’il devait incarner pour devenir ce qui capte cette énergie, la relance. Qu’importe il ou elle, « l’aimé » d’un jour, tant que le corps s’éprouve dans la trajectoire plus que dans la posture.

Une excellente pièce de danse poursuit la création plastique d’une scène monde. Cette fois, l’espace semble projeter la psyché, étendu face à nous, travaillant ses images, sa musique et ses figures. Ses figures arrivent dans cet espace comme par hasard montrant que psyché est une juxtaposition de mondes, espace troué dans lequel tombent ces figures. Il s’agit alors de faire percevoir son activité secrète sans en rendre la logique. Gestes, objets, scène inclinée, sont des éléments chimiques réagissant les uns aux autres. Cette pièce jongle avec Alice au pays des merveilles et l’œuvre du cinéaste Frans Zwartjes.

Amandine André

Entretien avec Thomas Ferrand et Raphaël Dupin, à propos de Une excellente pièce de danse

Une excellente pièce de danse, c’est de la peinture et de la durée. Le temps y est suspendu, les signes y sont perturbés. Du feu, du sexe et quelques théories : c’est un paysage. Bribes de fictions, tintements de cloches, figures incongrues : c’est une création contemplative, climatique et grinçante, dont la seule logique est celle du rêve.

Réalisation : Emmanuel Moreira
Production : Radio Grenouille

Il y a au moins deux manières de lire un spectacle, une performance. S’attacher au récit, au sujet de la pièce, à ce qu’elle raconte. Dans cet optique, l’œil justement est secondaire, le corps ne sert à rien, la forme est sans importance, seul l’intellect travaille, cherchant l’homogène, la cohérence d’une histoire. Cette manière de lire est tout orientée vers l’objectif de la communication. Elle est censée répondre à la question : De quoi ça parle ? L’obsession du message.
L’autre manière consiste à se détourner du récit pour aller vers l’expérience. Il s’agirait alors de considérer la scène comme un cadre, à l’intérieur duquel se succède une série d’images. Là, on porterait son attention aux matières qui composent les images, on éprouverait l’espace et les durées.
Mais alors, dit Alice au pays de Lewis Caroll, si le monde n’a absolument aucun sens, qui nous empêche d’en inventer un ?
Oui, qui ? Surtout pas Thomas Ferrand. Sa dernière création, Une excellente pièce de danse, présentée au Festival ActOral.14, se situe en-deçà du sens. Elle fonctionne comme notre psyché. Surgissement d’images instables, distorsion du temps et de l’espace.
Cette pièce est l’expérience d’une psyché ouverte. L’espace semble projeter la psyché, étendue face à nous, travaillant ses images, sa musique et ses figures. Nous assistons au mécanisme même de l’usine productive qu’est l’inconscient, à la fabrique de l’imaginaire.

 

//////////////////// AUTRES DOCUMENTS

© Image Dimitri Tsiapkinis, Switch me OffSwitch me off
Bernardo Montet et Thomas Ferrand.
Écrit à partir d’une présentation du travail en cour de réalisation.
Par quel bout prendre et reprendre la phrase quand celle-ci s’achemine à partir d’une ébauche qui ne serait que la vision secrète d’un mouvement en cours. Je vais tenter de poursuivre ce dans quoi mon regard s’est pris et suivre le dessin de cette archéologie mentale de la mémoire qui s’offre et se retire.Et de cette absence blanc de la feuille et de l’écran préfigurer quelques sillons.

 

95164c41c5fe552ca9793a42ec616979Idiot cherche village, Thomas Ferrand
Entretien avec Thomas Ferrand, à propos de la pièce Idiot cherche village.
Une œuvre stridente, tendue et troublante. A la base de cette pièce, un livre (Le Réel, traité de l’idiotie, de Clément Rosset) et une série d’entretiens menés avec le philosophe Bernard Stiegler.

 

© Nathalie BlanchardLe désoeuvrement chorégraphique, Frédéric Pouillaude
Entretien avec Frédéric Pouillaude.
A l’origine de cet ouvrage – « Le désoeuvrement chorégraphique. Etude sur la notion d’oeuvre en danse » – il y avait pour le philosophe Frédéric Pouillaude, la tentative d’un discours philosophique sur la danse contemporaine. Très vite un constat s’est imposé : « l’incapacité de la philosophie et de l’esthétique à penser les pratiques chorégraphiques selon le régime commun de l’oeuvre ». Si la danse n’est pas absente des discours philosophiques, surtout depuis le XX° siècle, (Paul Valéry, Erwin Straus, Alain Badiou …) elle n’y est jamais présente au titre d’oeuvre.
Entretien radiophonique et réalisation : Emmanuel Moreira