© Image Dimitri Tsiapkinis. All rights reserved.

Switch me off

Bernardo Montet et Thomas Ferrand au Théâtre National de  Chaillot
Ecrit à partir d’une présentation du travail en cour de réalisation.

Par quel bout prendre et reprendre la phrase quand celle-ci s’achemine à partir d’une ébauche qui ne serait que la vision secrète d’un mouvement en cours. Je vais tenter de poursuivre ce dans quoi mon regard s’est pris et suivre le dessin de cette archéologie mentale de la mémoire qui s’offre et se retire.Et de cette absence blanc de la feuille et de l’écran préfigurer quelques sillons.
C’est ainsi alors que je viens ouvrir, de cette phrase qui vient du plus lointain, se perde d’abord dans les mots de l’autre et faire ainsi le deuil de ce que la mémoire n’a pas restitué et de ce que les mots altèrent irréversiblement :

« … c’est-à-dire qu’une humanité veille sur celle qui dort, et celle qui dort rêve de celle qui ne dort pas. »
Pierre Guyotat, Comas

Même dans la nuit la plus obscure, ce que le rêve porte encore, cauchemar aussi, c’est la lumière qui découvre au regard mental des corps et des objets que le jour dans sa propre lumière a laissé passer sans que le regard –extérieur jour – s’y attarde vraiment, laissant ces corps et ces objets sans nom et en reste.
La lumière est l’animal vivant qui articule notre présence au sein de ce monde, animal qui nous accouche sur le bord du visible et nous expose à l’ensemble du vivant, nous voilà bordé entre la lumière et le regard.
C’est à partir de cette image que le croisement des traverses s’effectue entre Bernardo Montet et Thomas Ferrand. C’est à partir de cette image que l’accroche s’est décidé, et que les geste vont reconstituer tout en l’inventant l’Histoire de cet homme et de cette lumière. Le geste et les trajectoires sont comme l’élongation de cette image que le danseur lève, couche, tremble. Chacun devient le fantôme de l’autre et l’on ne sait plus qui vient bouleverser la quiétude de l’autre.C’est tout le reste du monde qui s’en trouvera inquiété.

Switch me off, injonction.
« Demandez-vous pourquoi vous avez inventé le nègre ? « 

Une sur-exposition soudaine dans laquelle le corps ne pourrait plus se maintenir sans être brûlé par la lumière et disparaître. Eteints moi c’est trouver une issue, une façon de paraître à partir de ce qui jusqu’à lors était l’invisible du monde.
Le regard est alors projeté dans une nuit profonde dans laquelle il s’abîme, touche ce qui ne voit pas et se voit ne plus voir.
Une possibilité de se maintenir dans ce monde, de retrouver des lignés fabuleuses et à venir. C’est sur un plateau constitué de terre que les pieds chercheront la trace et labourent encore et encore, creusent cavités souterraines.
La trace alors porteuse d’Histoires, de prières, de luttes, des chants de la mère, du souffle effondré du père, du fouet du maître, de la révolte du putain.
C’est donc sur cette terre meuble que les pas entraînent un corps en devenir. Un corps qui s’offre et se refuse entre nuit et lumière pour une danse des sous sols qui irrigue notre champ de perception pour nous conduire vers cette présence de l’homme noir.
Terre meuble dans laquelle nous, vivants, portons les morts. Terre meuble qui est notre surface de partage entre morts et vivants, entre le minéral et le végétal.

Texte : Amandine André