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Individu premier, Alain Jugnon

Cinématographie de Bernard Stiegler…

Individu premier est le titre d’un essai d’Alain Jugnon à propos de la philosophie de Bernard Stiegler, il est aussi le premier livre sur Bernard Stiegler à paraître en France. Ce livre veut enfin mettre à l’honneur le matérialisme de Bernard Stiegler, le seul matérialisme qui vaut pour enfin philosopher et aimer, selon la guerre de nos esprits.

Nous publions ici deux extraits de l’ouvrage, à paraître le 20 Octobre 2012 aux éditions de l’Attente

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L’homme-cinéma (l’homme, le cinéma, la vie)

Au cinéma, je ne suis pas sur mon fauteuil dans la salle, je suis dans l’écran. Ma conscience se passe dans l’objet temporel.

L’homme est cinéma. C’est le moyen que l’homme invente quotidiennement pour être en forme. Aucune autre scène ne l’intéresse : corps et âme sur l’écran mobile de sa vie intérieure et de son vivre social, c’est tout lui. Cinéma car en première instance espace vivant et temps présent. Il se tient au deux, ensemble, quoiqu’en dise Pascal (nous nous perdons hommes par la séparation que nous sommes, défaits des lieux que nous habitons, dépris des temps que nous travaillons), il s’arrime à eux, comme le dit Montaigne (nous nous tenons humains les uns les autres par la langue que nous vivons, selon lignes, plans, cadres et séquences).

Bernard Stiegler est conscient de tout ce cinéma. C’est sa position dans la philosophie : disjonctive par conjonctivité. Marquante et démarquée. Socratique en un mot. Tout ce qui sera dit ici ne devra pas être retenu contre lui, la cité athénienne a fermé ses portes, règnent ici le manque de sérieux en politique, la fin de toute justice sur terre et la grande débandade religieuse : Stiegler, seul, prend la balle philosophique au bond de cette dégringolade, pour dire qu’il est question pour l’homme moderne de se savoir en phase d’ascension, en cours de construction, comme toujours et nécessairement. Les hommes poursuivent et poussent devant eux leur humanité, et il ne peut être question de ne pas poursuivre ou de ne pas pousser. Socrate ici fait l’affaire : seul, homme, en prison, pour mourir vite, mais homme jusqu’au bout de l’âme. Ce n’est pas l’âme de Socrate qui est immortelle, c’est lui, en Socrate et en homme. Socrate pour Bernard Stiegler est l’homme, en totalité.

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Stiegler critique et clinicien :
pour révolutionner les âmes

Bernard Stiegler, au cours d’un travail d’écriture à la respiration longue et au souffle ample, qui le mène du tome 1 de La technique et le temps en 1994 jusqu’à Prendre soin, paru en 2008, s’en prend précisément et radicalement aux penseurs (dans l’histoire de la philosophie) et aux acteurs (dans le vie politique). Il décide de pouvoir aimer le monde, accompagnant le monde de la vie, considérant la vie des autres et ne se satisfaisant jamais des états du lieu ou d’un état des choses.

Or la situation, en 2012, est grave : la machine humaine est en phase d’asservissement, selon les moyens de la machine et pour le gain de la seule machine. La télévision, comme le travail, en est à machiner l’homme-machine que nous sommes, en devenir et en actes. Dans les deux cas, il y a perte d’individuation puisqu’il y a synchronisation entre le flux d’une conscience désubjectivée et une industrie aliénante et asubjective. Le monstre que nous avons inventé nous mange le cerveau, à l’écran, dans nos objets, au cœur de nos échanges. Pourtant nous avons à devenir cette machine que nous sommes, sachant que nous ne sommes rien de particulier, étant tout par défaut. Le temps est nécessairement notre avenir, ou plutôt notre à venir est nécessairement dans le temps que nous produisons, produisant un monde à vivre ensemble. La position de l’humain est toujours et encore celle d’un « au bord du temps » : chaque livre écrit par notre philosophe nous dépose sur ce bord-là, il est avec sur ce bord, il est de notre bord.

Alain Jugnon

Philosophe et dramaturge, Alain Jugnon enseigne la philosophie dans un lycée public. Il dirige la revue Contre-attaques. Vient de paraître aux éditions Le Limon, dans la collection VEILLE : Pour en finir avec la mort des poètes de Alain Jugnon. Il a publié deux pièces de théâtre : Nietzsche se marie (Editions A Contrario, 2004) et En Ordre de Bataille (Editions A Contrario, 2005). Dans le domaine des essais et de la philosophie, il a publié : Michel Onfray, la force majeure de l’athéisme  (Editions Pleins Feux, 2006), Le Contredieu et autres guerres dans les lettres humaines (Editions Le Grand Souffle, 2006), Avril-22 ceux qui préfèrent ne pas (coordination de l’ouvrage – Editions Le Grand Souffle, 2007), Encyclique anale (Editions Parangon/vs, 2008), Pourquoi nous ne sommes pas chrétiens (coordination de l’ouvrage – Editions Max Milo, avril 2009), La révolution nécessaire, laquelle ? (coordination de l’ouvrage – Editions Golias, mai 2009), « Dans la transmission des valeurs, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé » ou A l’école des instituteurs immoraux (Editions Pleins Feux, 2009), Nietzsche et Simondon, le théâtre du vivant (Editions Dittmar, mars 2010), Artaudieu (Nouvelles Editions Lignes, 2010), Contre-attaques [perspective 1 : Michel Surya avec Pascal, Kafka, Beckett], collectif (coord. – Editions Al Dante, 2010), A corps défendant (Editions Nous, 2010), L’écriture matérielle (Editions Le Limon, 2010), Contre-attaques [perspective 2 : Jean-Marc Rouillan avec Lefebvre, Goldman, Bensaïd], collectif (coord. – Editions Al Dante, 2011), Révolutions nous ! (Editions D’ores et déjà, 2011), Le devenir Debord (Nouvelles Editions Lignes, 2011).

Il fera paraître en 2012 :

Antichrists et philosophes (Editions Obsidiane), Les chiens de garde de la Sarkozie (Editions Golias), Individu premier (« Cinématographie de Bernard Stiegler… », Essai sur Bernard Stiegler, éditions de l’Attente), Contre-attaques [perspective 3 : Bernard Stiegler avec Simondon, Deleuze, Derrida].