Pièce chorégraphique de Bernardo Montet
Dans ce titre fait de couture et de dislocation (des)incarnat(s) porte en lui ce mouvement de la chair qui oscille entre le retrait et la venue. Ce mouvement qui porte une forme pour la défaire et la défaisant porte à une autre forme. Le titre dessine ce mouvement, ces passages et ses suspensions. Il vient aussi par son inscription qui n’assure ni le singulier ni le pluriel noter le mouvement de l’un à plusieurs, un mouvement fait de fragmentation et de conglomérat. Un titre articulé comme un corps et comme un corps peut l’être tout aussi désarticulé. Cette disjonction sera accompagné par un danseur passeur et elle se réalisera dans la danse du second qui est ce (des)incarnat(s).
(des)incarnat(s) est aussi ce jeu entre ce qui s’est absenté et ce qui est venu envahir. Ce jeu opère comme l’écart de soi à soi, et aussi comme cet enchevêtrement de mondes qui se meuvent dans un corps.
L’espace est donc organisé afin qu’il devienne le lieu dans lequel tous les mondes se jouxtent. La danse, les gestes, les mots de Jean-Claude Pouliquen mettent tous ses mondes en relation, ils ouvrent, balisent l’espace. Sa danse canalise les forces puis les libère, il œuvre en passeur, il est celui qui est en relation avec tout, puissance cosmique il charge l’autre danseur et lui permet de circuler dans les profondeurs autant sous-marines que célestes. Il fait qu’il n’y ait bientôt plus ni haut ni bas mais un temps contracté à traverser et traversant chaque corps. Il est donc le garde-fou de cette grande désorganisation et celui qui conduit le (des)incarnat(s) dans ce mouvement de décomposition et de recomposition de la chair. Il le souffle, le chante, le poursuit, l’incorpore et l’éructe et chacun de ses gestes constituent le fil d’Ariane qui mène à la bête.
Il y a une lutte terrible qui se joue, un affrontement nécessaire pour ce corps qui cherche à se défaire de ce par quoi il étouffe et ne peux plus danser. Et cette lutte ne se fait pas entre les deux danseurs, le dénivelé entre leur deux présence est l’espace nécessaire à la présence d’un tiers. Ils ne sont déjà jamais deux et le deux dans la pensée du chorégraphe est en relation toujours avec un tiers. La troisième présence est cette structure dans laquelle le vent s’engouffre et dont la jetée des bambous lui donne la forme d’arche. Cette bête qui parfois prend l’aspect du monstre marin parfois celui d’un ossuaire est un sol sur lequel il n’y a plus d’appui plus de prise. Quand ce sol monstrueux prend l’aspect de l’ossuaire il n’est plus de prise ni d’appui possible en cela que c’est un territoire ravagé, pillé, et dévasté à ce point que c’est la mémoire du corps qui faisant défaut ne parvient plus à se mouvoir. Danser est alors danser plus loin que soi, avec les morts et les vivants qui ne sont pas encore. Et quand c’est l’aspect du monstre marin qui domine c’est un sol rendu à sa sauvagerie, un sol échappé de toute domestication et s’y mouvoir c’est se relier à sa force pour que une danse puisse encore avoir lieu.
Ce n’est pas un hasard si cette pièce convoque les figures d’Artaud et d’Hijikata. Ces figures viennent accompagner cette pièce pour exposer l’envoûtement des corps. Comment un corps se trouve à être sous le régime de l’occupation et que celui-ci s’en trouve étouffé et empêché. Il y a dans la danse de Bernardo Montet et dans la danse de ceux qui viennent partager avec lui cet espace ce corps conflictuel, pressé, arraché. Si bien que la danse qu’il recherche est une danse du désenvoûtement. Un danse qui se libère et des fonction du corps et de l’assignation à laquelle se même corps est soumis. Une danse qui se trouverait en chacun et pour la trouver, la faire venir, elle qui est relégué au silence, il faudrait alors chercher ce que le corps du colonisé met en tension et un corps qui démembrerait ce corps fait pour se taire et ne plus bouger. C’est démêler tous les corps de son corps.
« Etre joui, être empêché, être suicidé : ces trois opérations définissent ce qu’Artaud nomme un envoûtement. Un envoûtement, c’est « une influence ténébreuse magique portée par des corps, lancée par des corps, transmise et transférée par des série inépuisables de corps, non pas psychiques mais organiques, pondérables, parfaitement délimités et dessinés » » *
A cette magie civique il faudra alors opposer une autre magie, temporaire, qui viendrait conjurer ce pompage. Une magie qui défonctionnalise le corps.
Dans la danse de Montet un geste revient souvent, ce geste est fait de ses mains qui passent sur son visage, qui semble au premier abord le débarbouiller. Ce motif trace dans la danse et le corps du chorégraphe la face plutôt que le visage. Le visage est dans cette danse ce qui disparaît ce qui ne supporte pas le mouvement du corps. Ce geste de défiguration que le retrouve aussi bien chez Bacon, Fautrier, ou encore dans la littérature chez Beckett et Michaux vient marquer une pression tantôt de l’extérieur ou de l’intérieur, une énergie, dont le déploiement mène à éclater tout contour, tout ce qui enserre. Prendre la face plutôt que le visage c’est aussi montrer ce qu’une danse fait. La face est ce qui n’a plus d’identité, ce qui ne peut plus être assigné, elle est seulement l’expression du mouvement et devient aussi mobile que le pieds. La face est ce qui s’est libéré du visage, c’est un corps échappant à sa propre domestication.
**
Sur le bord de la marche, assis, le chorégraphe raconte. Il aura fallu ce danseur venant de l’oubli, ce Steve Burnett dansant dans les ruelles sombres de Brooklyn une danse aussi vaste que minuscule, une danse pour toute les danses, une danse qui rende possible toute la danse, il fallait alors cette rencontre avec ce danseur oeuvrant pour la nuit seule pour que danser puisse encore avoir lieu. Ce Steve Burnett est l’étrange et l’éternel passeur, celui qui accomplit le geste par lequel l’espace se déchire comme un drap et m’invite à danser ma propre nuit.
Amandine André
* Frédéric Neyrat, Instruction pour une prise d’âmes, Artaud et l’envoûtement occidental, ed. La Phocide, 2009.
(Des)incarnat(s) /// Chorégraphie : Bernardo Montet /// Interprètes : Jean-Claude Pouliquen & Bernardo Montet /// Collaboration artistique : Madeleine Louarn /// Création Musicale : Pascal Le Gall
(Des)incarnat(s)
Pièce chorégraphique de Bernardo Montet
Dans ce titre fait de couture et de dislocation (des)incarnat(s) porte en lui ce mouvement de la chair qui oscille entre le retrait et la venue. Ce mouvement qui porte une forme pour la défaire et la défaisant porte à une autre forme. Le titre dessine ce mouvement, ces passages et ses suspensions. Il vient aussi par son inscription qui n’assure ni le singulier ni le pluriel noter le mouvement de l’un à plusieurs, un mouvement fait de fragmentation et de conglomérat. Un titre articulé comme un corps et comme un corps peut l’être tout aussi désarticulé. Cette disjonction sera accompagné par un danseur passeur et elle se réalisera dans la danse du second qui est ce (des)incarnat(s).
(des)incarnat(s) est aussi ce jeu entre ce qui s’est absenté et ce qui est venu envahir. Ce jeu opère comme l’écart de soi à soi, et aussi comme cet enchevêtrement de mondes qui se meuvent dans un corps.
L’espace est donc organisé afin qu’il devienne le lieu dans lequel tous les mondes se jouxtent. La danse, les gestes, les mots de Jean-Claude Pouliquen mettent tous ses mondes en relation, ils ouvrent, balisent l’espace. Sa danse canalise les forces puis les libère, il œuvre en passeur, il est celui qui est en relation avec tout, puissance cosmique il charge l’autre danseur et lui permet de circuler dans les profondeurs autant sous-marines que célestes. Il fait qu’il n’y ait bientôt plus ni haut ni bas mais un temps contracté à traverser et traversant chaque corps. Il est donc le garde-fou de cette grande désorganisation et celui qui conduit le (des)incarnat(s) dans ce mouvement de décomposition et de recomposition de la chair. Il le souffle, le chante, le poursuit, l’incorpore et l’éructe et chacun de ses gestes constituent le fil d’Ariane qui mène à la bête.
Il y a une lutte terrible qui se joue, un affrontement nécessaire pour ce corps qui cherche à se défaire de ce par quoi il étouffe et ne peux plus danser. Et cette lutte ne se fait pas entre les deux danseurs, le dénivelé entre leur deux présence est l’espace nécessaire à la présence d’un tiers. Ils ne sont déjà jamais deux et le deux dans la pensée du chorégraphe est en relation toujours avec un tiers. La troisième présence est cette structure dans laquelle le vent s’engouffre et dont la jetée des bambous lui donne la forme d’arche. Cette bête qui parfois prend l’aspect du monstre marin parfois celui d’un ossuaire est un sol sur lequel il n’y a plus d’appui plus de prise. Quand ce sol monstrueux prend l’aspect de l’ossuaire il n’est plus de prise ni d’appui possible en cela que c’est un territoire ravagé, pillé, et dévasté à ce point que c’est la mémoire du corps qui faisant défaut ne parvient plus à se mouvoir. Danser est alors danser plus loin que soi, avec les morts et les vivants qui ne sont pas encore. Et quand c’est l’aspect du monstre marin qui domine c’est un sol rendu à sa sauvagerie, un sol échappé de toute domestication et s’y mouvoir c’est se relier à sa force pour que une danse puisse encore avoir lieu.
Ce n’est pas un hasard si cette pièce convoque les figures d’Artaud et d’Hijikata. Ces figures viennent accompagner cette pièce pour exposer l’envoûtement des corps. Comment un corps se trouve à être sous le régime de l’occupation et que celui-ci s’en trouve étouffé et empêché. Il y a dans la danse de Bernardo Montet et dans la danse de ceux qui viennent partager avec lui cet espace ce corps conflictuel, pressé, arraché. Si bien que la danse qu’il recherche est une danse du désenvoûtement. Un danse qui se libère et des fonction du corps et de l’assignation à laquelle se même corps est soumis. Une danse qui se trouverait en chacun et pour la trouver, la faire venir, elle qui est relégué au silence, il faudrait alors chercher ce que le corps du colonisé met en tension et un corps qui démembrerait ce corps fait pour se taire et ne plus bouger. C’est démêler tous les corps de son corps.
« Etre joui, être empêché, être suicidé : ces trois opérations définissent ce qu’Artaud nomme un envoûtement. Un envoûtement, c’est « une influence ténébreuse magique portée par des corps, lancée par des corps, transmise et transférée par des série inépuisables de corps, non pas psychiques mais organiques, pondérables, parfaitement délimités et dessinés » » *
A cette magie civique il faudra alors opposer une autre magie, temporaire, qui viendrait conjurer ce pompage. Une magie qui défonctionnalise le corps.
Dans la danse de Montet un geste revient souvent, ce geste est fait de ses mains qui passent sur son visage, qui semble au premier abord le débarbouiller. Ce motif trace dans la danse et le corps du chorégraphe la face plutôt que le visage. Le visage est dans cette danse ce qui disparaît ce qui ne supporte pas le mouvement du corps. Ce geste de défiguration que le retrouve aussi bien chez Bacon, Fautrier, ou encore dans la littérature chez Beckett et Michaux vient marquer une pression tantôt de l’extérieur ou de l’intérieur, une énergie, dont le déploiement mène à éclater tout contour, tout ce qui enserre. Prendre la face plutôt que le visage c’est aussi montrer ce qu’une danse fait. La face est ce qui n’a plus d’identité, ce qui ne peut plus être assigné, elle est seulement l’expression du mouvement et devient aussi mobile que le pieds. La face est ce qui s’est libéré du visage, c’est un corps échappant à sa propre domestication.
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Sur le bord de la marche, assis, le chorégraphe raconte. Il aura fallu ce danseur venant de l’oubli, ce Steve Burnett dansant dans les ruelles sombres de Brooklyn une danse aussi vaste que minuscule, une danse pour toute les danses, une danse qui rende possible toute la danse, il fallait alors cette rencontre avec ce danseur oeuvrant pour la nuit seule pour que danser puisse encore avoir lieu. Ce Steve Burnett est l’étrange et l’éternel passeur, celui qui accomplit le geste par lequel l’espace se déchire comme un drap et m’invite à danser ma propre nuit.
Amandine André
* Frédéric Neyrat, Instruction pour une prise d’âmes, Artaud et l’envoûtement occidental, ed. La Phocide, 2009.
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