© Image Saadi My Mhamed. All rights reserved

Vu, Hafiz Dhaou et Aïcha M’Barek

Nous sommes encore à l’entrée du théâtre, nous attendons que les portes s’ouvrent pour aller à la recherche d’un siège lorsque les cuivres soufflent à tout rompre accompagnés de tambour. La fanfare nous sort de la torpeur de l’attente, les yeux s’ouvrent, nous voilà attroupé autour d’elle. Elle nous appelle, elle nous enchante et maintenant nous la suivons, nous nous laissons porter par elle sans savoir où nous conduira cette trajectoire, peut-être sommes-nous les enfants du joueur de flûte qui allons quitter ce monde pour un autre, encore inconnu. Les portes s’ouvrent et nous suivons encore, nous voici dans l’antre du théâtre, nous prenons place, fanfare et danseurs poursuivent sur scène. Puis le salut se fait, tour à tour, la fin est un commencement, nous entrons par le milieu de la danse, nous poursuivons un mouvement qui se passe de mains en mains. Le début de la pièce est une passe entre la danse partagée par tous et les artistes danseurs.

Avec des casques sur la tête la piste de danse se transforme en piste d’automobilistes sans automobile, en conquête spatiale sans fusée, et suite à de nombreux croque-en-jambes en vainqueurs sans victoire.

Dans cette course folle
je te porte
je te laisse
chuter
je t’écrase
tu me et je te
groupe
et te fonds,
je te et tu me,
isole cache obscurément,
je te et tu me
je t’agrippe tu m’étouffes
on se pousse pousse toi de là
et je préfère mon miroir à tes yeux.

Les danseurs épousent tantôt le même rythme, tantôt cultive une dissymétrie, tantôt danse collective tantôt solo. La pièce montre avec joie les malheurs d’une multitude de Narcisse qui partagent un même espace et un même désir.

« Rien n’était si beau, si leste, si brillant, si bien ordonné que les deux armées. Les trompettes, les fifres, les hautbois, les tambours, les canons, formaient une harmonie telle qu’il n’y en eut jamais en enfer. » *
Entre les courbes lumineuses du cuivre et les courbettes, entre la fête et le rire, Vu nous invite à nous glisser et à nous fondre dans la mascarade afin d’en traverser le vernis. Les chorégraphes jouent sur la fascination qu’exercent sur nos sens la lumière dorée, la résonance de la musique, le charme des tissus colorés pour tour à tour nous prendre jusqu’à ce que méprise se fasse. Si bien que nous passons d’un fou rire à un rire jaune lorsque le corps des danseurs s’en va-t-en guerre miroton mirontaine et ne sait quand reviendra mironton mirontaine, et ne reviendra pas mironton mirontaine. La lumière agit sur nous comme le tissu volant du torero, et cette invitation à la fête se transforme en en champs de bataille, le vêtement devient l’armure du combattant et ne laisse au corps que sa fonction de porte manteau, de porte étendard.
Ce jeu de marionnettiste est le fil conducteur d’un mouvement et d’une parole soufflée. La marionnette devient le siège critique par lequel passent les tabous. La marionnette occupe cette position privilégiée, c’est un objet par lequel le sujet se dédouble, elle porte des mouvements et des mots qui ne peuvent plus avoir d’origine, si bien que le marionnettiste se défait de sa personne comme sujet juridique et moral et laisse l’objet à la joie carnavalesque.
Le cuivre comme métal ductile et conducteur trouve un alliage avec le corps du danseur, ils prêtent leurs matériaux à différentes formes, épousent des trajectoires et des désirs et sont soumis à l’érosion du temps qui leur donne une nouvelle couleur. Le cuivre conduit l’électricité et le corps est conducteur du monde, c’est par le corps et la peau que le monde passe, forme et déforme pour en retour recevoir une nouvelle figure. C’est un effet de résonance entre l’être et le monde qui ne cesse de se métamorphoser, un reflet qui ne cesse de fuir et de se disperser dans le regard de chacun.

Entretien avec Hafiz Dahou et Aïcha M’Bareck à propos de la pièce Vu

Hafiz Dahou, Aicha M_Bareck, Vu.mp3

*Voltaire, Candide.
Texte : Amandine André