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Transhumance, Hassania Himmi

Sur fond noir carré blanc de trois mètre sur trois. Voici l’espace dans lequel le corps de la danseuse sera contenu. Les mains et les pieds appuyés sur le sol, les coudes et les genoux pliés, le dos droit à l’horizontal et la tête recouverte d’un collant noir, il revêtit tout le corps. C’est dans cette tenue, dans cette position avec ce carré blanc sur fond noir que le corps délimité par un espace cherche à conquérir et à franchir d’autres limites. La limite musculaire, dans cette position les muscle bandés des bras ne peuvent tenir la durée, la durée est la première résistance à laquelle les muscles se confrontent. C’est pourquoi le corps tremble, ce micromouvement comme signe d’une lutte interne à peine perceptible. La durée est ce qui vient inquiéter le corps et le faire entrer en zone de turbulance. Les premiers pas d’Hassania Himmi, le ton est donné il s’agit d’endurance, non comme le fait sportif mais plutôt comme maintenir sa présence dans l’espace chorégraphique, maintenir et endurer ce que peut être la danse. C’est aussi l’endurance nécessaire de la transhumance, ce départ nécessaire que rythme les saisons.

Le carré blanc sur fond noir devient alors le désert et le désir de ce geste chorégraphique, la surface à traverser, la surface sur laquelle se réfléchit le désir et surface qui accueille le mouvement impulsé par le désir. Après avoir maintenu son horizontalité, son corps se redresse et consacre l’espace, ainsi comme au temps des augures chez les romains, la danseuse sort de son corps de la poudre noir qu’elle jette sur le carré blanc, l’espace devient son sol. La poudre dessine le lieu de fondation du temple, fondation sur laquelle elle peut se tenir sa verticalité.

Le désert d’Hassania est cette surface vierge et plane, l’étendu de son intériorité, échangeant intérieur et extérieur pour faire de chaque mouvement l’extension matérielle de son articulation mentale. Tout se passe dans les jointures et les appuis, les jointures effectuent une passation d’un membre vers un autre membre, ainsi le bras devient jambe et la main pied, la face le derrière et inversement. Les appuis effectuent un transfert de poids qui modifie la logique d’un corps fonctionnel et qui le désorganise sous la poussé du désir, du rêve, du monde. Ces passations et inversions organisent une anatomie secrète du désir. Ce bouleversement du corps dont  Hans Bellmer parlait dans «Petite anatomie de l’image». Bellmer prend l’exemple d’une rage de dent et du réflexe qu’elle provoque : la main se crispe de douleur. Pour Hans Bellmer cette main est le double de la dent, elle devient un foyer virtuel qui permet de déprécier l’existence de cette douleur.

«Faut-il en conclure que la plus violente comme la plus imperceptible modification réflexive du corps, de la figure, d’un membre, de la langue d’un muscle, serait ainsi l’explicable comme tendance à désorienter, à dédoubler une douleur, à créer un centre virtuel d’excitation? Cela est certain et engage à concevoir la continuité désirable de notre vie expressive sous la forme d’une suite de transport délibérant qui mène du malaise à son image.» Hans Bellmer.

Le carré blanc comme surface est une première image qui coexiste avec celle du corps revêtu d’un collant. Le collant recouvrant l’intégralité du corps, il efface le visage comme projection psychologique et culturelle. Si bien que nous voyons seulement les contours, les reliefs qui procurent l’image d’une ombre en mouvement. Ces deux images noir et blanc sont la matière réfléchissante et la matière absorbante, le geste du jeté de poudre interrompt le contraste et donne une circularité et une réversibilité aux antagonistes. L’identité devient dynamique dans ce dédoublement. Ces deux images se joignent et sont mises en crise par une suite de mouvements qui se termine sur une saturation de cette coexistence, cette saturation c’est un tremblement dont le corps est traversé et qui manifeste le premier signe d’une transe. La transe signe la venue d’une troisième image qui va ré-articuler le corps suite au bouleversement qu’il vient de traverser.

Texte : Amandine André