A propos du livre Objections. Scènes ordinaires de la justice de Marius Loris Rodionoff publié aux éditions Amsterdam.
Puisque ce livre s’inscrit dans un geste de prélèvement des audiences de comparutions immédiates et qu’il cherche à en donner la substance, on donnera ici à lire un prélèvement du livre qui cherchera lui aussi à en donner la substance.
Ne parle pas Français Sans enfants 1 an de prison
*
Mère souffrante Épileptique 6 mois de prison
*
Pas de famille Boit Surtout la nuit 6 mois de prison
*
Abandonné par ses parents Placé en foyer Aucune famille Vit dans la rue Pas de ressources 6 mois de prison
*
Père suicidé Mère interné 18 mois de prison
*
Vit chez sa mère A été A été Aurait voulut 8 mois de prison
*
Touche le RSA Alcool et crack 10 mois de prison
*
Fait de l’intérim ne peut plus conduire 8 mois de prison
*
Addict à l’alcool Vit dans la rue 18 mois de prison
*
Aide sociale à l’enfance Placé Vit dans un hôtel 6 mois de prison
*
Travail irrégulier Rapporte peu Fume 3 mois de prison
*
Vit chez sa mère Pas de père Placé Mère alcoolique Battu 2 mois de prison
*
A quitté l’école Trop âgé 4 mois de prison
*
Consomme de l’alcool A perdu son travail Puis sa femme Et son titre de séjour 6 mois de prison
*
SDF Sans famille Héroïnomane Pertes de mémoires 12 mois de prison
*
Travail au noir Boit 6 mois de prison
*
Parents morts Amis morts A fui Vie d’esclave 6 mois de prison
*
Voit une assistante sociale Vit dans un foyer 1 an de prison
*
Vit chez des amis Paye une chambre de bonne Est malade 6 mois de prison
*
Parents séparés Ne voit plus son psychiatre 3 mois de prison
*
Sans emploi Vit chez des amis Alcool 10 mois de prison
*
SDF Boit le soir N’a pas de carte d’identité Touche le RSA 6 mois de prison
*
Vit chez sa mère Père parti Déscolarisé 5 mois de prison
*
parents adoptifs Placé en foyer Joue de l’argent Petits boulots 3 mois de prison
*
Mère divorcée Touche le RSA 2 mois de prison
*
A fui 3 mois de prison
*
Sans emploi Sans idée de projet Placé en foyer 1 mois de prison
*
Dort dans la rue 8 mois de prison
*
N’a plus d’argent N’a pas été payé Sans papier Ne peut pas réclamé 5 mois de prison
*
Parents morts Alcool Malade 5 mois de prison
*
Travail au noir Vit dans un foyer 4 mois de prison
*
Sans domicile Vit dans des hôtels Vit dans la rue Pas beaucoup de travail 6 mois de prison
Prélèvements au ciseaux du livre Objections. Scènes ordinaires de la justice de Marius Loris Rodionoff publié aux éditions Amsterdam.
Contrairement à ce qui est écrit dans la préface du livre. Les juges ne sont pas aux fraises. Il s’agit de peines ordinaires qui se redonneront volontiers comme on donne une correction au fait d’être pauvre, alcoolique, drogué, fuyard, SDF, malade, ou sans famille … Car être pauvre, alcoolique, drogué, fuyard, SDF, malade, ou sans famille … représente pour la société bourgeoise une menace, une perversion, un désordre. Menace, perversion, désordre, que la justice s’emploie à juguler. On voit, tout au contraire de ce que peut en dire la préface, que la justice est d’une fidélité sans faille au XIX°s. Qu’en elle le mythe des classes dangereuses persévère. Ce qui frappe à la lecture de ce livre, ce n’est donc pas que la justice aurait pris un tour, au contraire c’est son immuabilité. Les commentaires des juges que l’auteur glisse parfois dans le texte, ne sont là que comme ponctuation, respiration, déglutition, « joke ». C’est la manière par laquelle cette justice reprend son souffle, chasse des mouches. Pour y voir comme le fait la préface de la disproportion des peines il faut encore rapporter la peine aux faits, et ne jamais remonter à l’être. En vérité ce que fait si bien la justice c’est cette remontée des faits à l’être. C’est que la justice justifie l’être par les faits. C’est l’être qu’elle condamne dans ces comparutions immédiates. Et c’est toujours l’être en tant qu’il appartient à une classe. D’où le fait que la justice délibère par grappe de 4 ou 5 à la fois. Rappelons ici que les comparutions immédiates sont entre autre nées en réponse des émeutes de Vaulx en Velin.
Le film Pendaison de Nagisa Oshima, sans doute le meilleur film jamais réalisé sur ce que fait la justice, met parfaitement au jour le travail des juges. A partir de l’appartenance de la classe du sujet qu’elle à sous les yeux, elle imagine des motivations, des émotions, des désirs, des manières d’être, des raisons d’agir, qu’elle projette sur l’être et qui l’enracine intrinsèquement dans le crime, la délinquance. Si le crime a bien été commis par celui qui est condamné, celui-ci ne cesse pas d’être à côté de l’être que la justice voudrait qu’il soit. De sorte qu’il peut dire, que devant l’État il est innocent – il n’est pas cet être que la justice projette – quand bien même il est coupable.
Dans ces scènes ordinaires de la justice des comparutions immédiates, la justice ne vient pas sanctionner, mais inflige un programme de correction à ce qui aura été préalablement dans le maillon de la chaîne sociale naturalisée. Elle est l’avant dernier maillon de la chaîne des corrections ; après les services sociaux et avant le labeur de la prison. La justice ne s’est jamais départie de cette idée d’une nature imparfaite qui lui revient de redresser.
Pour celui qui est abandonné par ses parents, placé en foyer, sans famille, qui vit dans la rue et qui est sans ressources, à la limite nul besoin qu’il ait commis un délit. S’il n’a pas encore commis de délit, de toute façon il en commettra un nécessairement. C’est ce que se dit le juge. Il condamne celui-là mais, il pourrait tout aussi bien en condamner un autre. Pour lui c’est égal, le délit est inévitable, voilà ce que se dit le juge. C’est cela l’absence de rapport qui saute aux yeux dans ce livre. Mais l’absence de rapport n’est pas disproportion entre peine et délit, mais équivalence entre délit et absence de délit. Foucault aura parfaitement décrit cette justice. Le livre de Marius Loris la donne à voir dans son épure. Redisons-le encore pour éviter ces indignations de la disproportion, la justice ne sanctionne pas, elle envoie en correction. Elle sait que la correction est vaine, qu’il lui faudra s’y reprendre encore et encore, mais elle est animée d’un idéal. L’idéal bourgeois humaniste qui veut civiliser la bête.
Aucun juge ne peut accepter cette loi sociale simple qui veut que l’enfant Rrom n’ai pas d’autres alternatives que de mendier, voler ou se prostituer. Aucun juge ne peut l’accepter sans renoncer à juger l’être. Car la justice valide les lois sociales qui produisent délinquants et criminels. Elle est justement appeler à enfermer les êtres produits par ces lois. C’est son rôle. De sorte que les petits commentaires des juges prélevés par l’auteur de ce livre ne sont rien d’autres que des grimaces qui trahissent leur mensonges. Ils se pensent juges, il ne sont rien d’autres que de minables manageurs, de pauvres petits clercs du développement personnel. L’intelligence artificielle se débarrassera bientôt de ces petits hoquet qui assument mal le caractère expéditif de la justice.
Ce livre n’est pas fait pour découvrir ce que l’on ne connaîtrait pas de la justice, il est fait comme on fait un portrait d’une justice que l’on connaît que trop bien, mais dont nous manquons de représentations pour l’appréhender telle qu’elle est.
Samedi 25 mars, en soutien de la manifestation contre la méga-bassine de Ste-Soline, nous avons écrits et chantés deux chansons. Elles sont adressées à toustes celles et ceux qui défendent l’eau comme on défend un.e ami..e.
Les juges ne sont pas aux fraises.
A propos du livre Objections. Scènes ordinaires de la justice de Marius Loris Rodionoff publié aux éditions Amsterdam.
Puisque ce livre s’inscrit dans un geste de prélèvement des audiences de comparutions immédiates et qu’il cherche à en donner la substance, on donnera ici à lire un prélèvement du livre qui cherchera lui aussi à en donner la substance.
Ne parle pas Français
Sans enfants
1 an de prison
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Mère souffrante
Épileptique
6 mois de prison
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Pas de famille
Boit
Surtout la nuit
6 mois de prison
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Abandonné par ses parents
Placé en foyer
Aucune famille
Vit dans la rue
Pas de ressources
6 mois de prison
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Père suicidé
Mère interné
18 mois de prison
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Vit chez sa mère
A été
A été
Aurait voulut
8 mois de prison
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Touche le RSA
Alcool et crack
10 mois de prison
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Fait de l’intérim
ne peut plus conduire
8 mois de prison
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Addict à l’alcool
Vit dans la rue
18 mois de prison
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Aide sociale à l’enfance
Placé
Vit dans un hôtel
6 mois de prison
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Travail irrégulier
Rapporte peu
Fume
3 mois de prison
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Vit chez sa mère
Pas de père
Placé
Mère alcoolique
Battu
2 mois de prison
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A quitté l’école
Trop âgé
4 mois de prison
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Consomme de l’alcool
A perdu son travail
Puis sa femme
Et son titre de séjour
6 mois de prison
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SDF
Sans famille
Héroïnomane
Pertes de mémoires
12 mois de prison
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Travail au noir
Boit
6 mois de prison
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Parents morts
Amis morts
A fui
Vie d’esclave
6 mois de prison
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Voit une assistante sociale
Vit dans un foyer
1 an de prison
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Vit chez des amis
Paye une chambre de bonne
Est malade
6 mois de prison
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Parents séparés
Ne voit plus son psychiatre
3 mois de prison
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Sans emploi
Vit chez des amis
Alcool
10 mois de prison
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SDF
Boit le soir
N’a pas de carte d’identité
Touche le RSA
6 mois de prison
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Vit chez sa mère
Père parti
Déscolarisé
5 mois de prison
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parents adoptifs
Placé en foyer
Joue de l’argent
Petits boulots
3 mois de prison
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Mère divorcée
Touche le RSA
2 mois de prison
*
A fui
3 mois de prison
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Sans emploi
Sans idée de projet
Placé en foyer
1 mois de prison
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Dort dans la rue
8 mois de prison
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N’a plus d’argent
N’a pas été payé
Sans papier
Ne peut pas réclamé
5 mois de prison
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Parents morts
Alcool
Malade
5 mois de prison
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Travail au noir
Vit dans un foyer
4 mois de prison
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Sans domicile
Vit dans des hôtels
Vit dans la rue
Pas beaucoup de travail
6 mois de prison
Prélèvements au ciseaux du livre Objections. Scènes ordinaires de la justice de Marius Loris Rodionoff publié aux éditions Amsterdam.
Contrairement à ce qui est écrit dans la préface du livre. Les juges ne sont pas aux fraises. Il s’agit de peines ordinaires qui se redonneront volontiers comme on donne une correction au fait d’être pauvre, alcoolique, drogué, fuyard, SDF, malade, ou sans famille …
Car être pauvre, alcoolique, drogué, fuyard, SDF, malade, ou sans famille … représente pour la société bourgeoise une menace, une perversion, un désordre. Menace, perversion, désordre, que la justice s’emploie à juguler. On voit, tout au contraire de ce que peut en dire la préface, que la justice est d’une fidélité sans faille au XIX°s. Qu’en elle le mythe des classes dangereuses persévère. Ce qui frappe à la lecture de ce livre, ce n’est donc pas que la justice aurait pris un tour, au contraire c’est son immuabilité. Les commentaires des juges que l’auteur glisse parfois dans le texte, ne sont là que comme ponctuation, respiration, déglutition, « joke ». C’est la manière par laquelle cette justice reprend son souffle, chasse des mouches. Pour y voir comme le fait la préface de la disproportion des peines il faut encore rapporter la peine aux faits, et ne jamais remonter à l’être. En vérité ce que fait si bien la justice c’est cette remontée des faits à l’être. C’est que la justice justifie l’être par les faits. C’est l’être qu’elle condamne dans ces comparutions immédiates. Et c’est toujours l’être en tant qu’il appartient à une classe. D’où le fait que la justice délibère par grappe de 4 ou 5 à la fois. Rappelons ici que les comparutions immédiates sont entre autre nées en réponse des émeutes de Vaulx en Velin.
Le film Pendaison de Nagisa Oshima, sans doute le meilleur film jamais réalisé sur ce que fait la justice, met parfaitement au jour le travail des juges. A partir de l’appartenance de la classe du sujet qu’elle à sous les yeux, elle imagine des motivations, des émotions, des désirs, des manières d’être, des raisons d’agir, qu’elle projette sur l’être et qui l’enracine intrinsèquement dans le crime, la délinquance. Si le crime a bien été commis par celui qui est condamné, celui-ci ne cesse pas d’être à côté de l’être que la justice voudrait qu’il soit. De sorte qu’il peut dire, que devant l’État il est innocent – il n’est pas cet être que la justice projette – quand bien même il est coupable.
Dans ces scènes ordinaires de la justice des comparutions immédiates, la justice ne vient pas sanctionner, mais inflige un programme de correction à ce qui aura été préalablement dans le maillon de la chaîne sociale naturalisée. Elle est l’avant dernier maillon de la chaîne des corrections ; après les services sociaux et avant le labeur de la prison. La justice ne s’est jamais départie de cette idée d’une nature imparfaite qui lui revient de redresser.
Pour celui qui est abandonné par ses parents, placé en foyer, sans famille, qui vit dans la rue et qui est sans ressources, à la limite nul besoin qu’il ait commis un délit. S’il n’a pas encore commis de délit, de toute façon il en commettra un nécessairement. C’est ce que se dit le juge. Il condamne celui-là mais, il pourrait tout aussi bien en condamner un autre. Pour lui c’est égal, le délit est inévitable, voilà ce que se dit le juge. C’est cela l’absence de rapport qui saute aux yeux dans ce livre. Mais l’absence de rapport n’est pas disproportion entre peine et délit, mais équivalence entre délit et absence de délit. Foucault aura parfaitement décrit cette justice. Le livre de Marius Loris la donne à voir dans son épure. Redisons-le encore pour éviter ces indignations de la disproportion, la justice ne sanctionne pas, elle envoie en correction. Elle sait que la correction est vaine, qu’il lui faudra s’y reprendre encore et encore, mais elle est animée d’un idéal. L’idéal bourgeois humaniste qui veut civiliser la bête.
Aucun juge ne peut accepter cette loi sociale simple qui veut que l’enfant Rrom n’ai pas d’autres alternatives que de mendier, voler ou se prostituer. Aucun juge ne peut l’accepter sans renoncer à juger l’être. Car la justice valide les lois sociales qui produisent délinquants et criminels. Elle est justement appeler à enfermer les êtres produits par ces lois. C’est son rôle. De sorte que les petits commentaires des juges prélevés par l’auteur de ce livre ne sont rien d’autres que des grimaces qui trahissent leur mensonges. Ils se pensent juges, il ne sont rien d’autres que de minables manageurs, de pauvres petits clercs du développement personnel. L’intelligence artificielle se débarrassera bientôt de ces petits hoquet qui assument mal le caractère expéditif de la justice.
Ce livre n’est pas fait pour découvrir ce que l’on ne connaîtrait pas de la justice, il est fait comme on fait un portrait d’une justice que l’on connaît que trop bien, mais dont nous manquons de représentations pour l’appréhender telle qu’elle est.
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