***

je sais qu’il pleut alors je trouve un refuge sous l’eau
la nuit j’aime vendre le dentier de mon père
sa calvitie ses lèvres ses autres enfants
je vends tout et je m’accroche aux fenêtres
j’ai un pilulier bleu
j’ai internet
j’ai la monnaie exacte pour écrire un récit
dans lequel on pleure devant les voix du matin
je veux connaître mon nom
je voudrais un peu plus de détails
sur le prix des chaises longues
je veux aussi le registre des noms et prénoms
de ceux et celles qui ont de l’argent

une seule ambulance ne sera pas assez
il en faudra au moins six
vous passerez nous chercher demain
je serai accompagné de mes amis
nous aurons besoin de médicaments
et de silence

***

pleurer demande une méthode
une technique comme lune comme jambes
je connais tous les mots
de la luciole juillet au sang
il faut juste fermer la porte
ouvrir la porte
fermer la porte et l’ouvrir et la fermer et l’ouvrir
et entre deux facteurs tu aimes encore
les mêmes lits les mêmes draps les mêmes
blancs où tu peux t’asseoir tranquille
vraiment tranquille
pour te parler
parler au vieux qui n’arrête pas d’échapper
ses doigts en s’excusant
je m’excuse je m’excuse
mais ce n’est pas grave
vraiment pas grave
demain je m’en vais
demain je suis déjà couché
j’ai loué une chambre dans la pièce vide des lumières
une sorte de porte qu’on ouvre par la fenêtre
on peut voir les arbres être des arbres
ça prend un bon courant d’air pour tuer une police
deux lettres d’amour pour conquérir la poubelle
je le dis je suis déjà couché
j’ai acheté une banque avec le cœur de mes couteaux
je ne sortirai plus jamais de ma bouche
je resterai ici comme un arbre avalant
le dernier coup de tonnerre
c’est toute ma vie que je voudrais vendre
en caisses de six
pourquoi ?
car j’ai peur des camions
ceux qui aspirent la lenteur d’avoir peur des camions

***

je m’attache aux autres une dernière force aux poignets
cette connexion rouge de bonnes nouvelles
car j’ai toujours voulu être un bandit réaliste

les pieds spectaculaires que j’ai déposés
devant vos chambres
ont perdu toutes les courses d’organes
je voulais vous les remettre en mains propres
mais la biologie préfère la biologie
et ça ne me concerne plus

je suis sérieux
je suis très sérieux
j’ai déjà volé de l’huile d’olive
un contenant de 4 l
que j’ai fini par vider dans la ruelle
sans aucune raison valable

***

je tiens encore quelque chose
c’est peut-être une valise
c’est peut-être un outil quelconque
c’est peut-être le chien perdu d’une grande personne
c’est peut-être l’oiseau des autres
je ne sais pas mais je tiens la main de quelque chose
je tiens cette main et si je lâche ce que je tiens
je finirai seul dans ce poème
seul dans ce poème
à écrire ce poème
où j’essaie de tenir
ce qui m’empêcherait
de mourir seul
dans ce poème

Frédéric Dumont
Extraits du livre Je suis célèbre dans le noir, Éditions de l’Écrou (2019)

Frédéric Dumont a publié trois livres de poèmes : Événements miteux (2009) aux Éditions de Ta Mère, ainsi que Volière (2012) et Je suis suis célèbre dans le noir (2019) à l’Écrou. Sa suite Il y a des muscles à développer dans la fatigue, parue dans le numéro 162 de la revue Estuaire, lui a valu le prix Félix-Antoine-Savard.

A écouter une lecture commentée, par Vanessa Bell

//////////// AUTRES DOCUMENTS

Preuve de cendre

L’appât vide, sans
membres
viens, viens sans me dénombrer et viens et
conjugue et approuve.
(…)
par Mathieu Brosseau & Lena Da Ros

Le cercle, Sacha Steurer

Devant la mer, le passé, une marche, une chute évitée : tomber, écrire ce qui tombe. Être plongée, se retourner, perdre toute notion d’espace et de temps. Pour revenir, je me rends. À la vitesse des rêves, un ordre des choses : je me déplace sous la Terre, je suis prise dans une tempête de pluie, et je crie, en restant sous l’eau.

Tu vas parler maintenant

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C’est qu’ils nous font chier, les mots
du premier au dernier jour, ils nous emmerdent

Antitrésor

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