© Image François Santerre

Tu vas parler maintenant

texte : Johan Grzelczyk
musique : Romain Bonnet
lecture : Mathilde Courcelle

C’est qu’ils nous font chier, les mots
du premier au dernier jour, ils nous emmerdent
pour babiller c’est les premiers et c’est pareil pour compter
mais quand il s’agit de bastonner les vieux clichés
de déjouer un mot croisé, de cracher une vérité
y a plus personne, c’est des planqués qu’il faut aller chercher

Mettre de la chair dans les mots
de la chair à canon scier les mots
les ratiboiser, les acculer ces rats
leur faire cracher quelque chose, leur faire avouer les mots
ne leur laisser aucun répit
une claque, une tarte, une beigne
des allers-retours bien serrés
ne pas les autoriser à respirer
à reprendre leur foutu esprit et leurs grands airs
ne jamais les laisser nous empapaoéter
dans ta gueule les mots
fini de la ramener, fini de se faire prier
maintenant on vide son sac à bile
on dégobille ce qu’on a dans le ventre
on se met à table, on s’attable et on cause
c’est qu’il faut que ça cause les mots
à cause que c’est fait pour ça, faudrait peut-être pas l’oublier les mots

Mais y a toujours un ailleurs, y a toujours un autrui
pour nous fourrer ses mots dans la bouche
les mots de monsieur et madame tout le monde
des mots désossés, des mots dévitalisés
des mots qui font le tour du monde
pour ne rien dire, pour ne rien vivre
des mots-clef sans serrure ni porte
de simples mots qui se survivent, qui poussent au vice
des pousse au crime
au voleur, à l’assassin, on m’amenuise, on me claquemure
des mots entre quatre murs
des mots trop murs, des mots blettes, des mots bêtes
qui nous salissent la bouche, nous la bourrent de boue
des mots à califourchon sur nos tronches
qui nous privent d’air, nous coupent l’herbe sous le pied
des mots divers six pieds sous terre

Comme s’ils n’avaient plus rien à dire les mots
comme s’ils n’avaient jamais rien eu à dire
tout juste bon à se la péter à la radio, à la ramener à la tévé
faire un bon mot, faire la promo, le gigolo à la tribune
pour jouer ou pour rimer sont toujours là les mots
s’exposer en rangs serrés, les marioles au défilé
façon alexandrins et baragouins, ça ne mange pas de pain
ça marche à petits pas à pas feutrés, au pas cadencés
ça papote à volonté sur tous les tons, sur tous les fronts
mais c’est la fronde, ça ne dit rien au fond
c’est qu’ils sont fiables comme pas un les mots
à force de les manier sans y songer, ils te pètent entre les dents tout disloqués
et tu te retrouves à hoqueter façon dément
à glossolaler comme un dératé
à courir derrière ta pensée et rêver d’enfin les choper
les faire sortir de leur terrier, les mots
les serrer bien près, les étrangler et leur faire cracher leur foutu rot
bons mots morts mots traîtres mots
désaper les mots couverts, les enfumer et les choper
les violer les violenter les pervertir les disloquer
les aligner les investir les travestir les dérouiller
les dénuder les accoupler les introduire les altérer
ces bâtards, les faire muter

Languide anguille langue de pute
faut leur dire aux mots, faut leur dire
mais pas avec des mots
leur dire aux mots qu’on en a rien à foutre de leurs états d’âme
qu’ils manquent d’éclat et de braises
d’étincelles de pulsion de crécelles de baston
qu’on va cesser de se payer de mots
qu’on va couper le flot, mutin mutique
et qu’on aura le fin mot

mot à mot bouche à bouche

 

Johan GRZELCZYK

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iench

iench est un livre de Béatrice Mauri aux éditions Moires, en librairie à partir du 26 février. Il est accompagné d’une préface d’Edith Azam. La vie manifeste s’associe au livre en y publiant quelques pages.

IL (extrait)

IL est un texte de Philippe Jaffeux et Carole Carcillo Mesrobian.
IL est un long texte de théâtre radical. Cette pièce se limite à un dialogue entre deux personnages. L’intrigue consiste en l’évocation d’une troisième figure qui est toujours absente. IL ne s’inscrit dans aucune unité de temps ni d’action.