Akira Kurosawa

Adolorée

Adolorée est un texte de Pierre Chopinaud, extrait d’un ouvrage inédit à paraître en janvier 2018, qui ouvre le présent par la reprise de figures et de gestes antiques. Par ouvrir le présent on peut entendre ce qui s’oppose à tout ce qui a produit une sensation, une représentation d’un monde fini, d’un espace clôturé, d’une planète quadrillée. Cette ouverture qui est une relance des possibles se matérialise dans la forme et la langue. La syntaxe française semble découvrir ses propres possibles par des déviations et des déplacements de mots. Si bien que la phrase devient cet espace sans balise, et devient le mouvement de la mer. Ce moment de l’histoire humaine où l’espace n’était pas quadrillé, où les cartes se faisaient par les déplacements humains. Chaque mouvement se faisait vers de l’inconnu, tout était découvertes permanentes, l’horizon n’avait pas encore de nom.

Amandine André

 —–

      Adolorée fût de son pays arrachée par son époux comme il avait été ruiné par le feu. Car pointe de péninsule lancée loin au milieu de la mer quand celle-ci se détourna des Dieux qui avaient été ses pères, ceux-ci firent ses bords sécher comme sèchent des lèvres au fond du désert quand le voyageur exténué lève sa face devant le soleil n’ayant plus d’espoir que gagner sa pitié ! La mer se détourna des Dieux comme elle cessa d’être le site des récits de leurs gestes ; quand des falaises s’effaça le souvenir que sous elles, ici fuyant la ruine ensanglantée de Troie, Énée échoué atteignait l’Hespérie, où il ferait, faisant à Rome de la Grèce migrer les Dieux qui l’aimaient ou lui voulaient de jalousie sa mort voler, telle la déesse à l’amour de qui il s’était refusé et qui de l’enfer comme il allait y voir son père qu’il, de Troie, sur son dos avait porté, sur lui jeta la menace de prochaines guerres où tel de ses compagnons sur le sable dormant serait du rouleau d’une lame enroulé et emporté au large qui le rapporterait échoué sur la plage, le souffle de lui retiré et le cadavre percé de flèches ! Et Ulysse ennemi d’Énée car en Troie faisant entrer le cheval il fit entrer la ruine, ici égaré et jamais du regard ne quittant les côtes trouvant périls ou plaisirs comme il accostait et ne devant jamais son départ qu’à sa ruse ou à l’amour qui l’arrachait aux charmes et cruautés des habitants de ces contrées : sirènes, nymphes, cyclopes et magiciennes ! Toujours derrière les rochers entre quoi les navires étrangers entraient dans les terres, ont été ici des dangers portés par les sauvages qui les peuplaient. Et même à mesure que lucaniens, étrusques, grecs, phéniciens, normands, arabes et d’autres navigateurs armés dans la terre s’enfonçaient, soumettant les sauvages, ce n’est pas ceux-ci qui se civilisaient mais ceux-là qui au bout d’un temps se mettaient à vénérer des démons! Ainsi Saint-Paul qui la dernière alliance scella de la mer avec les dieux, comme si d’elle en chaque île, en chaque port, en chaque temple, il portait le message, passait ici captif comme à Rome il était emporté et de son passage laissa sous les tambours des sauvages une adresse à son Dieu comme il serait persécuté !

      Adolorée était l’une de ces sauvages dont la race avait absorbé le sang des navigateurs venus par le rivage et qu’elle avait fait se soumettre tous à son Dieu qui était un scorpion ! Ainsi telle calypso la nymphe, son époux elle avait enveloppé de ses charmes comme la mer le lui avait livré, blessé qu’il était, revenant de la guerre, et comme elle l’avait soigné au combat il repartirait. Tandis qu’aux plans de tabac, de blanc voilée, des femmes travaillant elle était celle qui la cadence chantait, de peu du rivage débarqué elle vit un matin un jeune homme auprès du champ venir en lambeaux comme il était proche de s’effondrer de nuits, de jours de mer à n’avoir ni dormi ni manger, le genou bandé d’un toile sanglante et s’appuyant sur une canne en bois d’olivier, et comme d’une cruche dans les paumes l’eau elle versait, elle l’invita chez son père à se reposer. « Je m’appelle Othello et des grecs je me suis enfui comme ils m’avaient pris et voulaient me tuer. J’ai marché dans les terres de l’autre côté de la mer et traversé seul des pays dont j’ignorais tout et où pourtant des braves gens m’ont nourri de maïs comme ils me voyaient seuls le matin par leurs chemins avancer. Je marchais la nuit pour des soldats ne pas être pris et certains parfois le jour me voyant me faisaient une place dans leur paille pour me reposer. Puis mon genou a commencé de me faire souffrir et j’ai dû boiter jusqu’à la mer des jours durant en oubliant la souffrance. J’ai longtemps dormi au bord de l’eau comme j’avais atteint la mer jusqu’à trouver d’inconnus le bateau qui fuyait les massacres. Mais ils m’ont laissé là, loin du pays où étaient les miens et vers eux encore longtemps sans rien il me faudra marcher ! Ton chant vers toi m’a attiré comme il me rappelle la voix de ma mère. Comment t’appelles tu ? »… « Adolorée »…. « Ma mère comme toi est une chanteuse, Adolorée, et de la rue chez nous sa voix faisait venir les hommes boire du vin, la voir et entendre les airs qu’elle chantait. Othello, c’est le nom qu’elle m’a donné, et t’entendant de la mer chanter j’ai cru l’entendre »… « Tu es maigre et blessé, Othello, chez mon père tu vas dormir ». Retrouvant la vie comme les jours passaient des figues, des poissons et du vin qu’Adolorée lui donnait, Othello fit depuis son lit de paille dans l’ombre des oliviers le récit de la guerre d’Abyssinie. Puis il fallut repartir se battre comme la guerre n’était pas finie et Othello repris la mer comme Ulysse quand un jour Adolorée appris qu’il avait été tué. Avec son départ la vie avait commencé de la quitter, elle avait cessé au champ de chanter et s’était du travail retirée comme elle s’était mise à ressembler à un fantôme, qu’elle avait cessé ses cheveux d’attacher, son visage de peindre, comme la couleur l’avait tout à fait quittée et que ses yeux étaient devenus plus noirs encore et son visage plus blanc. Elle ne quittait plus la maison de son père que pour le matin se rendre au rivage dans l’habit blanc de vierge qu’elle n’enlèverait jamais et regarder la mer avec l’espoir de voir fendre l’horizon le navire par quoi il reviendrait. Et comme celui là chaque jour ne jamais revenait on eût cru la voir vouloir de la mer être emportée par le rouleau. Puis son père lui apprit comme l’armée encore avait été au- delà des eaux matée, la flotte avait été détruite dans un port et les hommes avaient brûlé, que l’empire allait s’effondrer et qu’Othello était mort ! Alors avec la perte de l’objet de son rêve prononcée de la bouche de son père de vierge elle devint veuve et revêtit un voile noir qu’elle se jura de ne plus enlever. Les soldats venus de la mer incendiaient les tours qui bordaient le rivage et remontaient vers le Nord en traversant les villages derrière leurs machines armées. Depuis la fenêtre de la pièce au fond des oliviers où dans sa folie elle s’était recluse, comme elle entendait des tirs et des cris dans une langue inconnue qu’elle imaginait être de ceux qui avaient pris celui qu’elle avait voulu être son époux, elle s’imaginait par eux être comme lui tuée. Comme le calme était revenu, d’autres hommes avaient disparu, des femmes avaient été violées et longtemps le village tout entier porta le deuil de ses morts et de son honneur, comme l’armée ennemie était passée, en drapant sa tristesse et sa honte sous le voile et tâchant de les étouffer sous le silence des maisons et des rues. A Rome l’empereur avait été lynché et des champs restaient absents les ouvriers comme ils avaient par l’ennemi été brûlés ! Le pays redoutait de nouveaux désordres  et tous avaient rejoint la prostration d’ Adolorée affolée comme si tous soudain avaient de même été privés de leur amour ! Quand de la mer un matin de printemps comme les brumes avec le jour d’au-dessus de l’eau se dégageaient, une barque avait affleuré sur le sable et Othello était monté le long des champs au milieu de quoi le fleurissement des coquelicots était aux villageois une offense comme encore ils étaient enveloppés dans leur souffrance pour du silence tâcher de l’apaiser. Et comme au seuil de la maison de pierre parmi les oliviers il appelait « Adolorée… » il la sortait du sommeil conquis par elle avec peine sur l’insomnie comme le jour commençait et comme sa voix venait de son rêve la surprendre, sa vue comme elle venait à lui aviva sa souffrance qui jamais ne s’était endormie et renversant dans son esprit fragile l’ordre du réel et du rêve aggrava sa folie ! Elle  hurla comme un revenant elle vit comme sortir de son rêve et se sachant ne pas dormir ! Son père arriva comme elle se jetait dans son lit le drap tiré sur son visage suant ! Il prit Othello aux épaules et l’éloigna disant : « tu vis  ? »… « Je vis d’avoir survécu souvent et encore cette nuit à la mer, et même ce matin aux scorpions qui dans le soleil levant couraient entre mes pieds ….Adolorée ? » Dit-il haletant comme il craignait maintenant de la perdre après que voyageant dans l’enfer il n’en revint que pour la trouver. « Adolorée a perdu l’esprit après que tu sois parti et plus encore comme nous t’avons cru mort…j’espère que ton retour n’achèvera pas de la tuer…Où étais tu ?  »…. « De sous les cadavres je me suis levé et de leur pourriture mon corps est teint, vois tu ces tâches bleues ? De la mort je suis atteint comme d’autres du soleil après avoir dans le désert trop longtemps voyagé ».
      Pour la guérir des prêtres vinrent, à l’appel du père, du venin de veuve noire tiré hors du sang d’Adolorée sans la saigner mais en du vin la faisant boire pour de l’esprit du Dieu des mers la faire posséder ! Ces prêtres secrets des villes étaient cachés comme de l’Eglise ils eurent été chassés, et rien à leur aspect ne laissait deviner qu’ils étaient des mages. Ils avaient les mains meulées par les manches d’outil qu’ils empoignaient aux vergers pour tailler les arbres et où ils s’étaient faits familiers des animaux mortels. De leur voix tannée par la fumée de tabac, l’alcool et les années, ils savaient du sang des jeunes filles faire le venin qui les tuait refluer et sortir de leur corps en les faisant suer. Ainsi vêtue du tissu blanc de vierge la jeune folle fût étendue à la souche d’un olivier autour de quoi des feuilles sèches en cercle placées et enflammées montait une fumée blanche qui, comme le soleil la fendait, faisait voir le fond de l’air et craindre de le traverser. Et de la voix des hommes le chant faisait le venin dans le sang s’émouvoir et la folle au sol rouler d’un bord à l’autre du cercle de flamme puis se lever, et suant déjà au cou, au front, aux cuisses, courir en rond et faire de petits bonds de biche comme tentant de faire le chant cesser. C’est dans son sang le poison qui se rebellait contre la voix qui le tirait dehors comme l’araignée voulait près de son cœur garder sa menace. Ainsi dansa Adolorée aussi longtemps qu’il fallût à la sueur de son corps s’épuiser jusqu’à ce que sentant les vapeurs du venin se mêler dehors aux fumées des feuilles sèches, les hommes firent leur voix cesser et la folle guérie s’évanouir. A son réveil rendue elle pût enfin Othello reconnaître et aimer.

Pourtant alors le temps était de cette terre des dieux au retrait comme la guerre avait de la grande mer le pourtour incendié, les hommes fait des rivages et des eaux s’éloigner et les eaux le commerce délaisser. Les peuples s’étaient retournés vers les terres et des routes avaient tracées pour y lancer leur volonté et leur richesse. En outre les puissants comme durant la guerre avaient tracé des chemins dans le ciel pour sur les armées le feu y lancer, le ciel dans la paix était devenu une route et aux confins du monde en Chine et au Sud de l’Afrique par le ciel les vainqueurs allaient. L’espace était passé sous les étoiles. Un temps Othello et Adolorée avaient erré dans la péninsule désolée. De sa mère morte il avait avec ses frères et sœurs partagé l’argent que le chant et la vente de vin à son père avaient rapporté. Le père d’Adolorée avec sa fille avait donné la maison de pierre dans les oliviers, mais comme avec les champs l’armée ennemie avait brûlé les maitres du pays, nul n’avait plus d’argent pour payer les ouvriers et des jardins avaient pris possession les scorpions, les vipères et les araignées, et quand le père fût mort elle partit après qu’elle l’eût enterré. Mais sur la route étaient des ruines et des arbres brûlés et vers les faubourgs les survivants avaient cheminé, pour certains à même le sol sans toit ni toile dormir avec tous leurs enfants qui le jour aux marchés mendiaient. Et Othello avec l’argent avait dans la ville ouvert une boutique où Adolorée vendait les cuillères et les couteaux qu’il fabriquait. Mais la misère était si grande que trop peu pouvaient payer et le plus gros qu’Othello fabriquait adolorée le donnait, et quand ils eurent six enfants, la faim qui avait des années durant rempli de pleurs d’enfant et de plaintes de mère la rue était dans leur foyer. La mer non plus ne suffisait plus de son poisson à faire manger un peuple dont la terre ne donnait plus rien, et des poissons le plus grand nombre mangeait les têtes et les viscères pour quoi il se battait encore après que le soleil les eût pourris. Le faubourg entier était peuplé maintenant du peuple paysan au pays assassiné par le retrait des dieux et ce peuple habitait le pavé et la terre qu’il brûlait de ses feux et l’où s’écoulaient ses excréments. Othello eût cru voir la ville d’Harar où la guerre l’ayant porté il avait cru voir de l’homme l’extrémité. Et comme il sentait que la misère de toute part pressant il pourrait lui falloir bientôt avec ses enfants rentrer dans le peuple des mendiants et parmi eux errer et leur odeur et leur saleté voir sa peau recouvrir, il décida de quitter le pays. Déjà l’aîné des fils emmenait ses sœurs traîner en bas des murs et sous les fenêtres des palais où de riches artistes et marchands qui de l’empire effondré avaient su à eux attirer les richesses venaient sous la garde d’hommes armés se repaître de ce que le feu du soleil faisait la mer bleue. Leurs tours étaient de triangles cannelées qui faisaient à leur tête ronde une frise imitant les motifs de Byzance qui leur faisait face. De là au-delà du bleu profond qui auprès de l’horizon s’affadissait étaient les rivages d’où avait été sur la mer jeté le sort du monde : Tyr, Carthage, Ithaque, Athènes, Akko, Alexandrie et de toutes les villes l’une était la puissance qui sut scinder Rome : Constantinople, dont le joug encore ici fascinait ceux qui par-delà la mer la regardaient avec le désir mélancolique de la jeune fille qu’un riche prétendant a de ses assauts délaissée comme il a renoncé à elle quand elle est toute encore conquise de sa puissance. Ainsi celui-là eût elle voulu encore, par le chant de son architecture aux tours de ses palais, séduire, depuis derrière son rocher, et sur elle faire son navire venir sachant que même il tuerait de sa famille tous les hommes. Car à lui s’étant donnée, lui appartenant elle le ferait à sa ressemblance prier les scorpions. Car même les turcs eurent autrefois ici coupé des têtes d’hommes dont les fils donnent à leurs fils les crânes comme le souvenir de ce qu’ils furent martyrisés. La terre sur elle encore les appelait ne sachant pas que de l’autre côté de la mer leurs phares étaient éteints comme leurs marins étaient morts. Les riches familles venaient aux tours montrer leurs filles parées des plus beaux bijoux qu’elles avaient tirés de Rome afin que les voyant depuis l’horizon scintiller au milieu de motifs qui leur sont familiers les marins ennemis arrivent et croyant les épouser tel l’époux de la veuve noire par l’araignée, par la terre ils se fassent occire ! C’est là les scintillements que les filles et leur frère venaient voir avec l’espoir que des tours un bijou tombât ou qu’en dépit des cris des gardes elles sussent surprendre une de ces reines comme elles sortaient et d’elle une pièce recevoir. C’est comme ses enfants se mettaient à mendier qu’Othello sût que pour que cesse sa chute il fallait risquer le départ  ! Et d’abord il quitta la ville, remit la famille près de la tombe du père d’Adolorée, dans la maison de pierre, où Adolorée trouva à s’employer à repriser les filets des pécheurs qui la payaient du poisson et des pieuvres qu’à l’aube ils rapportaient, quant Othello était parti seul. Étant des morts revenu comme il avait traversé le feu qui avait fait les dieux de la mer se retirer et sa terre périr, il saurait seul aller dans des pays en paix quand bien ils lui seraient hostiles ! Alors il tourna le dos à la mer que pour la première fois il ne prenait pas comme il s’en allait. Comme sur la terre vers le nord il progressait il voyait le pays verdir et les villes les fleuves larges fendre, et dans les plaines l’eau abonder des montagnes qui approchaient comme il allait les franchir et voir la cime par la neige blanchie. Et dans le froid descendant de l’autre côté il ne connût dans la vallée que la langue de ses maîtres comme deux ans durant il dormit dans le chantier où il ne connût outre les maîtres que les autres qui comme lui là étaient arrivés. Ainsi longtemps il resta là dans l’ombre de la vallée, comme craignant de plus loin encore aller de la montagne, derrière quoi il s’avait qu’étaient Adolorée et le retour. Ce jusqu’à ce qu’un fasse plus loin l’aller au-delà où de la plaine la lumière était plus tendre comme les fruits étaient tout d’eau gonflés. Là chez un maître-fruitier il alla se loger à l’étage de la grange que quand ayant assez d’argent d’avoir tant chez lui travaillé il renforça de paille et de boue le dedans des murs et fit aux fenêtres les fissures fermer afin que la saison froide il fasse pas la chaleur sortir comme il voulait que les enfants avec Adolorée là le rejoigne ! Il l’alla chercher, faisant le voyage et la prit de la misère, ainsi que les enfants qu’il était temps de là sortir tant du peu qu’ils mangeaient, ils ne faisaient pas leur viande, qu’ils étaient blancs, que leurs joues étaient creusées. Elle vint et dedans se mit qu’elle ne sortirait plus quand pourtant les enfants dehors allèrent s’habituer à la lumière et à la marre, à l’oie, aux herbes et aux rochers, comme aussi du villages les petits de là leur jetaient des cailloux de dessus la butte comme ils venaient de là les voir et ne savaient pas savoir ce qu’ils étaient sinon qu’atroces !

*

Jamais jusque sa mort Adolorée ne sut de la plaine à lumière tendre la langue parler. Seul Othello sut, comme il alla si vieux qu’il pût aux vergers aux vignes et aux chantiers trouver l’argent, parler la langue, mais non pas celle qui claire comme l’eau vive et mélodieuse comme elle ruisselle de la bouche du maître-fruitier qui la parlait comme étaient placés ses rangs de fruits, avec un juste partage des pleins et vides qui en faisait le rythme et la mesure, et un nombre dans l’espace qui la faisait droit de la cause aller à l’effet, de l’eau au fruit et du fruit au froid d’où il était emporté. Non il parlait la langue de ceux qui avec lui étaient tel et tel comme lui arrivés de ce que les dieux de la mer s’étaient retirés et des montagnes. Alors c’était autre chose que pas forcément le maître fruitier savait bien qu’entre tous les mots de ce parler étaient ceux de ses vergers et des outils qu’ils se passaient ! Mais de l’un à l’autre tant de détours, de faux-fonds, d’erreurs et de pertes, de retours, d’obscurité et de pourriture, de tromperies et de mensonges !

*

La seule compagnie qu’Adolorée trouva là où Othello l’avait amenée était celle de ceux qui vivaient derrière la porte d’en face. Comme un matin Othello sortait il trouva une femme toute à la ressemblance de celles qu’il avait dans son pays laissées. Et elle le voyant s’arrêta de ce que de lui elle vit cette ressemblance de ses hommes : « tu étais lui-là qui dans la ville après que le rivage eût brûlé vendait les cuillères ? ». Qu’ils l’aient là trouvée suffit à leur faire un pays secret formé dans leur exil car comme Othello son époux hors du péril de la terre natale les avaient emmenés. Et comme lui il avait été de ceux qui s’étaient fixés dés le bas du coté frais de la montagne comme l’eau des fruits débordant la chair avait suffit à abreuver leurs lèvres par la vengeance du soleil asséchées. Ici le ciel faisait ses rayons leur être tendre. Ainsi ceux-là comme leur seuil ils passaient participaient aux feux où tous faisaient éclater le bois de leur langue et contre les maîtres du pays conspiraient. D’eux une fille jamais ne sortait de la pénombre, se gardant loin des fenêtres et de l’entrée et ne passant le pallier que comme sa mère savait que dehors nul n’était. De ne jamais voir le jour et à nul sauf les siens parler et peu, elle était aussi blanche que la faïence des tasses retournées. Il eût semblé que trop vive la lumière eût pu suffire à sa tête fendre. Elle avait pourtant là été avec tous aussi longtemps qu’eux et jamais n’avait été laissée dehors avec les enfants du pays aller tant que des choses elle ne savait rien. Elle ne savait que ce que dans sa langue les siens nommaient et qui se rapportait à la poursuite de la race menacée par un monde qui n’était pas le leur. Elle-même était cette race gardée hors de la convoitise du monde. Son corps sur quoi les siens ne laissaient pas même se poser du ciel d’ici le soleil pourtant tendre était la terre qu’ils avaient retirée de là-bas où elle avait été brûlée et sur quoi ils avaient l’espoir de voir repousser les plantes, les forêts et les fruits qui blessent avant que d’en jouir, la terre dont ils eussent voulu voir la mer revenir lécher les bords et faire un étranger venir encore croyant y poser sa croyance et se mettre pour finir à prier les scorpions. Mais comme nulle eau sur la fille n’abondait ni étranger n’apportait, son corps était pareil à cette terre si sèche qu’à peine touchée elle devient sable. Ainsi le péril était qu’à vouloir là la garder loin des regards du paysage qu’elle jamais ne saurait nommer, elle disparaisse comme elle n’avait non plus le souvenir du pays laissé ni n’avait pu levé des choses le nom et que le monde sauvé de la race n’était que la caverne où la tribu exilée s’assemblait pour du feu faire sur la paroi bouger les ombres des dieux de son ascendance.

 

 

Pierre Chopinaud


Soutenez La vie manifeste, soutenez Hector.

La Vie Manifeste est une revue en ligne, née fin 2008, qui publie régulièrement des textes de facture littéraire et des podcasts. Et depuis peu un journal papier, Hector, qui donne à lire le présent par la littérature. Avec 12 années d’existence, La vie manifeste fait partie des plus anciennes revues en ligne dans le paysage littéraire. Elle a donnée à lire de nombreux auteur-e-s qui participent aujourd’hui activement à la fabrication de l’espace littéraire et elle continue d’accueillir des écritures inédites. Elle est une des premières revues à avoir proposé des podcasts. Podcasts composés d’entretiens sur l’actualité des livres et des idées, d’entretiens avec les artistes de la scène contemporaine. Des reportages et des documentaires sur les luttes sociales & écologiques ainsi que des pièces sonores. Des podcasts, régulièrement diffusés dans le tissu des radios associatives. L’ensemble des contenus ont toujours été en accès libre, et le resteront. Mais, parce qu’il devient de plus en plus difficile de dérober du temps au temps du travail, parce que la société n’a jamais été autant obsédée par la rentabilité de ce qu’elle produit et que nous ne produiront jamais rien de rentable par volonté, parce que nous ne seront jamais des courtisans, d’aucun monde, d’aucune classe, d’aucun prestige, nous avons besoin de votre soutien – si minime soit-il, pour poursuivre ce travail de fabrication et de publication.

Alors on a ouvert une cagnotte.