Clementine Delahaut

Leur cité instituée dans la salive de la baleine

Pierre Chopinaud

Le petit récit épique et religieux qui suit arrive au milieu d’une guerre actuelle réellement racontée dans « Enfant de Perdition » (P.O.L, 3 janvier 2020). Dans cette guerre s’affrontent des races, des religions, par la terre, les rivières, les forêts, les vallées et les monts et par le ciel et la mer arrivent des « cerbères », la gueule pleine de feu, depuis l’Amérique, la France, l’Italie… Au milieu du feu, du fer, du sang, du siècle se tient un petit peuple mystique chargé de la rédemption. Le texte que voici en fait l’histoire et la généalogie à la manière d’un rouleau retrouvé d’ancien testament :

Leur cité instituée dans la salive de la baleine





Du pays conquis par l’armée de l’Atlantique Nord le peuple demeuré était les ministres d’un monastère qui dans le patrimoine charriaient dans les chaumières du père au fils la charge de gardien du sacré et le sentiment du dévot. Ceux-là, avant d’appartenir au roi du palais, avaient, il y a la moitié de mille ans, été chassés de l’au-delà de l’Oural où un empereur avait fait sur les plaines tomber des lois qui les exécraient. Et s’allant loin du massacre tel les hébreux, avec le sceau de Dieu dans le tabernacle itinérant, ils fendirent la plaine immense d’au-delà de l’Oural après que d’en avoir franchi les cimes, tandis que leurs faces étaient fouettées par le vent infernal. Aussi loin que la plaine sans fin allait à l’est, à l’ouest et dans le Méridion, régnait la loi de l’empereur dont la voix et la menace se rappelaient à eux dans le vent. Ainsi aux cultes des villages où ils arrivaient, les ministres trouvaient le su de leur errance qui avait contre eux excité la populace qui les chassait. Si bien qu’ils ne firent que fuir et ne trouvèrent à s’établir que loin des hommes. Ainsi surent-ils naviguer dans le centre de l’allant d’un fleuve, après avoir creusé dans des fûts d’arbres les coques de barques qui les firent aller au-delà du marais immense et infecte par où le fleuve titanesque se donnait à la mer. Le delta était là où l’homme n’avait jamais été, puisqu’il était l’instant d’après le chaos où, expiré de l’amour de Dieu, le créé étreignait ensemble la terre, le ciel et la mer dans l’embrassement de quoi des joncs perçaient les eaux sur quoi glissaient des oiseaux. Il était tout autant l’état de la terre après que le déluge avait englouti la création, qu’il eût pu être l’instant, avant la séparation de la terre et de l’eau qui, les réunissant, faisait la glaise de quoi Dieu dressa l’humain et l’anima de souffle de gloire en ses narines. Le delta était l’au-delà du temps. De l’humain là n’était que les cadavres pris dans les joncs charriés par le fleuve depuis les cités mal dites de la plaine en amont où ils avaient été assassinés. Nul terre sinon le sous de l’eau d’où perçaient les joncs où des îlots dont le mou était habité par des vers, des anguilles et des crapauds. L’étendue était enclose d’un tour de brume dont le nuage terrestre étouffait l’horizon. Comme les barques du peuple en exil glissaient sur le fleuve qui disparaissait comme ses berges s’effaçaient sous l’aspiration de la mer dont le désir abolissait le pourtour des principes et des éléments, du monde humain les bruits, les voix, les gémissements d’animaux soumis cessèrent pour que sur l’absolu silence du chaos achevé l’esprit ne s’exprimât que par les clapotis de la pluie dans l’eau, les hurlements du vent dans l’étendue des joncs et la plainte enrouée jaillie de la gorge d’oiseaux géants ayant vécu au-delà le désastre des chutes d’astéroïdes. Ainsi les prêtres, tâchant de percer à la poupe la ténèbre des brumes les enveloppant, surent qu’ils enfonçaient leur peuple dans le ventre de la baleine dont ils entendaient, au-delà de l’invisible et sous le fracas fait par les roulements de la mer qu’émouvait le désir des astres, le chant fait par la pierre d’être insufflée par Dieu. L’innocence était enveloppée en cette inerte éternité ainsi que la damnation du monde, dont arrivaient, dans les joncs en les cadavres, les signes du péché. Le monde flottait ici, dans l’attente par l’âme enclose en la brume entourant l’horizon, de son sort fait à l’instant de la fin des temps et de la possibilité d’un nouveau commencement. Ainsi en cette orée du chaos, avant que le monde ne se relevât, les prêtres nouèrent à la souche des joncs la corde à quoi tint que leurs barques ne fussent emportées avec eux dans le grand allant de la mer d’où, une aube d’été où le soleil avait avec la nuit fait du pourtour se lever la brume, ils virent venir dans des navires les masques à bec des vénitiens voulant tenir l’infâme marais de la mer noire. Ils firent s’enfoncer dans le sol, autour des joncs, après s’être opposés à l’allant du fleuve en le monde où étaient les forêts, des pieux sur quoi furent établis les sols de bois des abris qu’ils lièrent par des ponts posés sur des pilotis et qui firent les voies où ils purent poser le pas de leur cité instituée dans la salive de la baleine. Ils vécurent ici 36 générations à psalmodier les mots de Dieu tels qu’emportés par eux il y avait 6 siècles, tant et si bien que, quand leur trou de temps entre l’histoire et le chaos fut ravagé par l’empire temporel de Venise, ceux qui vécurent après les flammes et les égorgements qui avaient fait de l’embouchure de la mer un marais de sang, fuirent par la plaine et apparurent aux gens comme s’ils venaient de la bouche de Dieu pour en témoigner du martyr. Ils étaient par les sentes vus, à l’arrivée aux cités fumantes, tels que contenant en le tabernacle le sceau itinérant. Et parvenant au palais de l’ascendant du roi des chiens ils furent aux tombeaux des ascendants d’icelui pour dire des bénédictions. En la cité rutilante la venue du fond des temps des exilés de Dieu fit les venir voir la foule qui vit ces faces émaciées exprimer le martyr de la vérité, puisqu’en leur bouche était les noms de l’antériorité de l’histoire qu’avait vu leurs yeux. En leur épuisement et leur souffrance étaient accomplies la damnation du monde et la possibilité d’un nouveau commencement. Le roi les sanctifia de son pouvoir temporel comme il sortit en son costume coiffé d’une mitre d’évêque dans la hauteur de l’immense stèle faite aux mânes des antécédents ensevelis. Il fendait l’aspect de sa façade dont les représentations ornementales manifestaient la gloire vive de ses aïeux. En bas étaient pressés, presque agonisant, les exilés tels des mendiants dont il fit dans la façade monter le dernier né qu’il exposa à la foule immense sur le parvis qui l’acclama. Au-dessus d’elle dans le soleil il l’avait levé tel que martyr de la vérité en sa chair ici arrivée. Par la décision du roi du temps mortel survivant, il était la vie sacrée dans quoi le peuple amoureux de la gloire du couronnement fondait en Dieu son éternité. L’armée du roi avait, du temps de son père, repoussé les musulmans et les païens de la forêt dans le méridion, abattant autant d’arbres que d’hommes dont il faisait des ponts, des meubles, du papier dans le Septentrion et des esclaves et des bûchers, sur quoi sur place il brûlait les cadavres de ceux des races conquises qui ne pouvaient pas travailler. Après avoir essarté le sol des bois et des races maudites, le roi, comme le ferait après lui son fils, établit des colonies qui firent du sol conquis pousser des grains pour nourrir les cochons. Aux milieux des affamés du nord dont le roi avait fait dans le sud des fermiers, son fils ferait s’établir le peuple des exilés qui feraient à la fixité du temps d’avant le péché, dont ils étaient les martyrs, des temples qu’à travers les temps ils garderaient. Ainsi furent-ils durant 18 générations les ministres d’un culte à la fixité de l’instant qui fondait le pouvoir du roi en le martyr de la vérité et appelait à lui toutes les forces armées de la race lorsqu’il était par le réveil de la cendre sous les feuilles de la forêt des musulmans et des païens menacé.
C’était la progéniture de cette race sacrée que vit Stéphane depuis la meurtrière qui charriait les cadavres de quatre enfants assassinés. L’armée de l’Atlantique Nord avait fait autour d’elle un enclos afin qu’y butât la volonté de vengeance des musulmans. L’enclos était un trou dans le temps où demeurait le possible recommencement qu’avait été la cité érigée dans la bouche du fleuve. Au lieu des brumes faites par l’effacement des berges que faisait le désir de la mer aspirant l’horizon, était la férocité des musulmans jetés à la butée du croc à croc. Au-delà de l’enclos était, dans la gelée d’hiver, le croc de la bête sous la lèvre retroussée et son grognement comme les soldats de l’Atlantique la repoussait. Quand les cerbères avaient enflammé la plaine de leurs feux, les exilés qui ne pouvaient fuir de le pas de l’armée nationaliste vers le Septentrion, avaient appelés sur eux la mort du ciel ou de la terre puisque le vol des chars et le sifflement des boules de fer étaient le présage de l’accomplissement de la vérité telle qu’en faisaient la prophétie les dessins faits sur les murs de l’église par leurs aïeuls.

A paraître le 3 janvier aux éditions POL « Enfant de perdition »

Image > Clémentine Delahaut

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