© image Anna Carlier

Vénus

Vénus est un texte de Pierre Chopinaud, extrait d’un ouvrage inédit, qui ouvre le présent par la reprise de figures et de gestes antiques. Par ouvrir le présent on peut entendre ce qui s’oppose à tout ce qui a produit une sensation, une représentation d’un monde fini, d’un espace clôturé, d’une planète quadrillée. Cette ouverture qui est une relance des possibles se matérialise dans la forme et la langue. La syntaxe française semble découvrir ses propres possibles par des déviations et des déplacements de mots. Si bien que la phrase devient cet espace sans balise, et devient le mouvement de la mer. Ce moment de l’histoire humaine où l’espace n’était pas quadrillé, où les cartes se faisaient par les déplacements humains. Chaque mouvement se faisait vers de l’inconnu, tout était découvertes permanentes, l’horizon n’avait pas encore de nom.

Vénus est le second extrait qu’il nous donne à lire dans La vie manifeste.

Amandine André

 

Enfant, du pays dont le feu brûlait sous la langue qui faisait, ma mère la parlant, des flammes jaillir de ses lèvres et la faisait dans mon effroi sembler un dragon, je sentis le feu tôt chauffer voluptueusement ma peau lorsque je fus, avant que de marcher, dans lui jeté. Or jamais je ne sus les mots qui étaient les noms par quoi se manifestait ce sable qui était à mes flancs et à mon dos aussi heureux que la laine chaude dont l’hiver mon père m’enveloppait avant de m’enlever du lit et me faire traverser la nuit qui finissait pour me déposer de l’autre côté de la rue dans une couche chez la nourrice ; ni non plus je ne saurais le nom du ressac dont la répétition m’était à l’ouïe le fredon d’un doux chant me faisant dans le bonheur m’endormir. Ainsi étais-je au milieu de ce feu qui me célébrait comme son enfant baigné de voluptés muettes qui, me versant ses huiles ses laits et ses miels, se faisaient miennes tout en me demeurant aussi lointaines qu’un au-delà d’horizon dont pourtant je sentais ici-même la chaleur du soleil. Ainsi, bien qu’adorant les délices que le pays m’offrait, parce que, bien qu’étranger, j’étais aussi son fils, je faisais que l’objet de l’amour me serait toujours éloigné, bien qu’au dedans de moi-même à l’état d’aimé, et qu’ainsi l’aimant, ne me seraient jamais assez, pour célébrer l’éclat illimité du paysage anonyme qu’il était, les couleurs, les sons et les parfums d’une langue qui, pour être le nom dans quoi il pût entendre que je l’appelais, devait elle-même devenir à elle-même étrangère. Ainsi sus-je que pour ce faire il me faudrait maintes fois traverser la mer, qui était l’étendue de mon intimité, afin que, depuis le rivage étranger, s’ayant fait, je reçoive Vénus m’arrivant portée par le vent qui souffle dans les vagues. Car Vénus m’était ce paysage en moi vibrant, bien que je n’en susse ni le nom ni la langue, et ne pusse que la voir ne pas me comprendre comme une statue qui me regardait. Elle était le trait qui sépare la lumière aveuglante et l’ombre, ainsi que la gaze dans quoi le soleil de midi estompe les lignes et les surfaces, comme elle était le chant que font de la terre les grillons et dont la puissance fait tous faire le silence comme si pieusement ils entendaient l’annonce de ses noces. Vénus aussi était l’horizon qui s’éloignait à mesure que mon désir me faisait, soufflant dans la voile de ma barque, m’enfoncer plus loin dans la mer, comme je savais qu’elle était sur l’autre rivage, et qu’elle serait dans l’écume rentrée quand j’arriverais. Il me faudrait, pour la saisir à l’instant où sur la plage elle arrive, flottant nue sur l’écume dans son coquillage, et avant que le temps ne la recouvre de son voile pour que de sa nudité ne reste que le sel dans les vagues, éternellement reprendre ma traversée qui me faisait, chaque fois que je revenais, un peu plus étranger et un peu plus proche de la vérité que j’entendais depuis l’enfance vibrer de lumière en moi-même, ainsi que d’elle un peu plus éloigné, puisqu’à nouveau dans moi était la mer qui s’étendait et l’horizon que je fixais sachant que là-bas de m’avoir fait naître mon désir m’emmenait. Vénus était la joie qui me soulevait lorsque mon père me faisait de la voiture lever pour voir, après que nous ayons des nuits et jours d’ennui fendu le sillon de le terre plate, comme, dessous nous, s’ouvrait la baie sur quoi soudain la route chutait comme l’eau d’un fleuve dans une cascade et que, à l’infini de ce que nos yeux pouvaient voir, s’étendait l’incendie que faisait le soleil, en brûlant, de l’immense lame de l’eau, l’étendue du rivage d’où la vapeur d’un nuage dans le ciel montait, à travers quoi le miroir couché de la mer scintillait sous l’horizon comme si nous arrivions dans l’instant où le souffle de l’esprit saint souffle pour faire le monde. Ainsi Vénus serait l’esprit qui depuis l’au-delà de l’horizon souffle sur l’étendue de la mer pour que la poussière d’écume, telle d’une dent-de-lion, s’envole de la crête des vagues dans le vent pour venir sur la terre des choses déposer le nom. Et là où, ma vie durant, je chercherais l’instant où, nue dans son coquillage, elle affleure au rivage avant que de mettre le pied dans la sable, couverte du vêtement fait pour elle par le temps, se tient la vérité qui est la chose vue sous le nom et aimée. Mille fois ce voyage je ferais pour frémir de l’instant où j’arrive au rivage après que Vénus dans l’écume se soit retournée d’avoir nommer le soleil, le vent, les pinèdes, les fruits et les étoiles et que je voie dans des vapeurs son mirage monter dans le ciel depuis les scintillements que fait le soleil sous l’horizon. Ainsi, à chaque fois que je revenais je montais à la tour qu’un général avait bâtie pour voir l’horizon fendre les navires de guerre qui arrivaient, et prévenir dans les terres l’empereur pour qu’ils fermât le rivage de ses canons et de ses soldats. Depuis l’Afrique les soldats d’Amérique avaient débarqué les derniers et, puisque la moitié de l’armée avait déjà péri, l’empereur fit les troupes qui restaient tenir les forts dans le pays au milieu de quoi il pensait pouvoir encore garder intact le cœur de son empire depuis quoi il commandait, avant que d’avoir repoussé ces ennemis, et fait ses propres troupes reprendre les terres qu’il avait traversées depuis son arrivée par la mer. Ainsi la tour ainsi que le village où bout de quoi elle était, étaient restés la ruine que l’armée ennemie avaient alors laissée puisqu’elle avait été jusqu’à planter une flèche dans le cœur de l’empire et fait l’empereur se vider de son sang après que la foule l’eût pendu par les pieds après que de l’avoir égorgé. Ainsi de la tour rien ne restait des créneaux par quoi les hommes de l’empereur avaient de leur vue garder l’horizon, et son tiers était fendu en biais depuis qu’arrivant l’armée dernière y fit tomber une bombe : ni non plus rien ne restait de l’escalier par quoi les sentinelles allaient dans le ventre et sous le ciel où ils voyaient la nuit un incendie d’étoiles tandis que dans les rochers se fracassait l’eau noire, si bien que seuls dans ce désert de bord de mer encore s’aventuraient des africains solitaires qui avaient fait la traversée et qui le jour et la nuit dormaient pour se protéger des chiens, des blancs, et du soleil dans le ventre frais de la tour et avaient pour y accéder creusé dans la pierre des trous par quoi ils l’escaladaient. Ainsi y fus-je, allant guetter, comme j’arrivais, le mirage de Vénus au ciel monter sous l’horizon, trouvant dans la pénombre trois hommes étendus en plein jour au milieu des bibelots que dans le pays ils vendaient. L’un se leva de son séant sortant de sous sa paille une lame que je vis briller dans le biais de soleil lorsqu’il vit ma tête dans le trou par où ils entraient. Manquant de tomber de l’éclat que me fit dans l’œil le brillant d’arme, je me tins à une racine qui sortait de la pierre à l’endroit de la fin du chemin d’ascension, et d’un doux de voix lui fit savoir que j’étais un enfant. Si bien que bien que j’eus craint que venant vers moi il ne me fisse choir, il me hissa dans le frais de son ombre, tandis que de part et d’autre de sa paille ses comparses, au milieu de leurs bibelots brillants, dormaient. Du trou par quoi du bleu du ciel entrait la lumière, je vis la pinède qui dans le sable fermait la baie, et voyant l’escalier tournant qui ne pouvait que sous le ciel aller, comme un chat après que d’avoir fixé l’homme qui venait de rentrer sous lui sa lame, j’y allais. Jamais l’été la pierre ne cessait de chauffer puisque la nuit elle gardait la chaleur du soleil qui tout le jour l’avait frappée, et là, puisqu’il était midi, la lumière tombait tant sur la terrasse de la tour qu’y étant j’y étais comme sous la chute d’un fleuve dont le vrombissement de l’eau m’aurait tout autant rendu sourd et aveugle ; sauf qu’autour de mon corps qui était tant frappé par la chaleur que pour ne pas chuter je dus me coucher au sol, tout n’était que silence. La pierre brûlant ma peau je me traînai jusque dans le peu d’ombre que faisait l’unique merlon que n’avaient pas abattu les bombes et, retrouvant mon regard que je détournai du soleil, je vis traverser le sol de la terrasse les ombres de trois oiseaux. De derrière le merlon me venait le chant doux de la mer et des vagues brisées dans les rochers ainsi que du ressac languissant sur la terre. Comme je me retournai, m’appuyant sur le parapet, j’eus les yeux soudain percés autant de fois que le soleil faisait d’étoiles vibrantes sur le drap de la mer que faisait onduler le souffle de Vénus ensommeillée dont je cherchais, dans les vapeurs qui noyaient l’horizon, le visage avant que le feu du paysage ne me brûlât les yeux. Ayant dans l’ombre retrouvé mon regard je vis dans le bord de la tour qui regardait vers le pays une inscription dont je sus, la déchiffrant, qu’elle fût tracée par Vénus dans le merlon effondré puisqu’elle y avait écrit du bout coupant d’un éclat de pierre« ho bevuto il succo dell’amore ». Le mot était la trace laissée par son envolée comme le langage est dans les choses l’esprit de celle qui les a créées. Ainsi sus-je que jamais au terme de mon voyage infiniment recommencé je ne trouverais autre chose que l’écrit de la nudité donnée de Vénus avant que je ne la voie. Pourtant je revenais à chaque fois depuis que la première fois, avant même de parler, je me levais sur le rivage et, de cette station dressée, vis aussi loin que l’homme peut voir son mirage embuer l’horizon. C’est ainsi qu’aussi loin que j’étais toujours de Vénus j’entendis l’appel à venir voir la buée de son évanescence. Il était en moi le chant des choses qui dessous le langage parvenait après que je sus traverser dans lui le rideau qui devant moi tombait et qui par les motifs de terreur brodés sur lui me tenait à l’écart de l’étranger que j’étais. Or ces motifs n’étaient rien d’autres que l’effet du silence dont les choses sont pleines avant que Vénus ne vienne les aimer. Le silence était des choses la langue de la virginité comme il était le bord d’au-delà de quoi me venait un effroi puisqu’il me semblait que là-bas se tenait ma propre mort. Or j’appris à percer le silence pour fixer depuis le bord Vénus qui vers l’infini allait comme de lui venait la mort. C’est là qu’ayant traversé l’effroi en moi-même je me trouvais ouvert devant le silence de la baie.

 

 

Pierre Chopinaud

 

//////////// Autres documents

Adolorée

par Pierre Chopinaud
Je marchais la nuit pour des soldats ne pas être pris et certains parfois le jour me voyant me faisait une place dans leur paille pour me reposer. Puis mon genou a commencé de me faire souffrir et j’ai du boiter jusqu’à la mer des jours durant en oubliant la souffrance. J’ai longtemps dormi au bord de l’eau comme j’avais atteint la mer jusqu’à trouver d’inconnus le bateau qui fuyait les massacres. Mais ils m’ont laissé là loin du pays où étaient les miens et vers eux encore longtemps sans rien il me faudra marcher ! 

 


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