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Para-récit d’une lecture publique que j’ai faite suivi de Para-récit d’une lecture publique que j’ai vue



Je me réveille.

Mon réveil a sonné, et ça me réveille, je repousse mes couettes (j’en ai 2) je monte sur mes pieds (j’en ai 2), je me lève, je rentre dans mes vêtements je remonte ma braguette de jean, avant j’ai mis le bouton, après j’enfile une veste des baskets en cuir, mais j’oublie mon écharpe, mais je prends mon bonnet par contre, il écrase mes oreilles, leurs lobes dépassent et je tire dessus mon bonnet pour qu’il les recouvre mieux, j’ai pris un sac, il est sur mon épaule, il est en bandoulière, j’aime bien mon bonnet et mon sac, je les ai choisis, et j’aime ça, je monte dans un train pour Lille.

J’arrive.

Je monte dans une voiture, on va à Villeneuve d’Ascq, et j’y suis conduit, avant j’ai mangé un sandwich mou, après on a bu un café, après le sandwich mais avant la voiture le café, après le sandwich le café la voiture je fais une lecture, il y en a deux autres, il et elle en font une aussi, chacune et chacun une, de lecture, je passe en dernier.

Je tremble.

Je pense que je n’ai pas assez dormi.

Je pense que je ne suis pas préparé pour ça, lire en live à midi.

Me lever à 8h.

C’est trop tôt pour mon corps il n’est pas au point.

Après on reprend la voiture, on retourne à Lille, on y est conduits, après les deux autres prennent leurs trains, chacune et chacun le leur, l’un pour Lyon pour l’une et l’autre pour Paris pour l’un, moi je reste sur place, je vais à l’hôtel et je prends un bain, il n’y a pas de mini-bar dans ma chambre, c’est bizarre de dire ma chambre dans un contexte hôtelier, il n’y a pas de mini- bar dans cette chambre, c’est mieux, il n’y a pas de mini-bar dans ma chambre d’hôtel, ça relativise la propriété, dans cette chambre d’hôtel, c’est plus distancié, je fais chuter ma cigarette électronique par terre, après quoi elle ne fonctionne plus, donc, je fume des cigarettes véritables.

Je me réveille.

Je m’étais endormi dans mon bain, je n’ai pas rêvé.

Je m’habille, avant je sors de mon bain je ne suis pas fou, je m’habille.

Je mets mes chaussures, des baskets en cuir et je sors de ma, la, cette chambre d’hôtel, je descends les marches, à moins que je prends l’ascenseur, il y a un ascenseur qui est tout petit, étroitesse, une vieillerie mais qui fonctionne bien, je ne suis pas haut, je descends les marches ou en ascenseur, je sors dans la rue j’ai un sac sur l’épaule qui pend, qui tape contre le bas de mon dos, en bandoulière et je suis le chemin, celui que m’indique mon smartphone, je vais voir, écouter une lecture, c’est un festival.

Après la lecture je ne reste pas, je suis fatigué, j’hésite à passer aux toilettes mais non je m’en vais, je sors, mais je dis au revoir avant.

J’ai mangé une soupe elle était très bonne.

Sur le chemin du retour je ne regarde pas mon smartphone, j’ai intégré l’itinéraire à ma tête c’est bon, par contre je me dis que j’aurais quand même dû passer aux toilettes, j’ai envie de chier, l’envie est très forte, j’aurais dû, aurais dû y penser, y aller avant, avant de sortir de partir de dire au revoir mais j’y ai pensé mais je n’ai pas suivi mon désir de chier, je n’ai pas écouté mon corps, j’ai agi contre sa volonté, à mon corps, mon instinct corporel de chier, j’apprécie ce mot, chier, chiasse, il me plaît, c’est ça j’ai la chiasse je crois, je ne l’ai pas suivi et pas écouté mon corps, cet instinct, je l’ai repoussé, j’ai cru que j’étais plus fort que mon cul, mon intestin grêle dans mon colon des boules flasques d’un liquide vaseux, mais je ne crois pas que ce soit la soupe, c’est trop rapproché, peut-être le sandwich mou.

Comme je n’ai pas encore beaucoup avancé sur le chemin, que je n’en suis même pas à un quart de lui, j’hésite à faire demi-tour mais non, et je marche en serrant le cul.

C’est très difficile.

C’est très difficile d’autant plus que je dois aller vite, marcher vite rentrer vite car je ne vais pas réussir à serrer le cul comme ça bien longtemps, je sens que ça travaille sec, et mou, dans mon derche et qu’il y a un risque, un risque sérieux d’inondation mortifère de cul dans mon froc qui tache, alors je me concentre fort sur deux choses, deux choses éminemment importantes en cet instant-ci que je vis là et qui me travaille, c’est que d’une je dois serrer fort mon cul concentrer les forces de dedans mon cul, mon colon je dois le serrer, enfin si c’est possible, mon rectum, en tout cas mon anus et ses deux, ou trois, enfin mes sphincters, et de deux je fixe l’horizon du chemin je ne dérive pas, un pas devant l’autre les plus assurés possible, et serrés les pas, je vais de l’avant.

J’arrive à l’hôtel, je dis bonsoir au guichetier, je ne sais pas comment ça s’appelle ce job, je ne peux plus réfléchir à autre chose que cul, derche, chier, chiasse et colon rectum anus sphincters et toilettes vite faire please le plus vite possible caca.

Je suis sûr c’est le sandwich mou.

Et qui me laisse moite.

Et je monte les marches en serrant le cul.

La délivrance est toute proche, un seul étage, mais là je suis con, c’est souvent quand on approche du but, on pense qu’on a déjà gagné alors on se détend, on se laisse aller, on se déconcentre, l’équipe adverse en profite et elle part en contre, c’est la débandade, conscient que l’objectif à atteindre n’est plus qu’à dix marches, deux portes et un abattant de cuvette de chiotte, je me laisse aller négligemment et précipitamment à l’autosatisfaction du difficile travail de serrage de derche accompli jusque-là, et je cède béatement du terrain sur mon cul, je m’évade, je me rappelle que le job du gars en bas qui m’a filé la clef de ma chambre ce n’est pas guichetier mais réceptionniste, malheur, j’ai baissé ma garde, alors je fais le geste qu’il ne faut pas faire, je monte deux marches d’un coup sec d’un seul avec mon pied droit, sa basket en cuir, et ce faisant une jambe en avant et l’autre en arrière j’étire mon derche contre ma volonté, d’un bon mètre, et la sienne se déverse dedans mon caleçon, qui est un boxer serré, heureusement serré, car il se remplit de merde crasse et molle liquide, il se gonfle, mais il ne cède pas et la merde reste dedans mon boxer serré tout rempli de merde qui ne déborde pas, serrée.

J’aurais eu un caleçon flasque et large j’aurais tout crevé tout taché et crassé de merde mes jambes ça aurait coulé dessus et jusqu’au chaussettes aux baskets collé par terre j’aurais tout crotté aurais fait une flaque un tracé au sol dans les escaliers on m’aurait suivi retrouvé découvert coupable, on m’aurait pendu, sur la Grand’Place, les gens auraient crié aimé sifflé bavé de joie de ma mort, j’aurais écrit, « CALEÇON M’A TUÉ », au feutre, sur le pilori, avec mon péni’.

J’ai lavé mes vêtements mon corps dedans la baignoire ça sentait ma, la, cette merde qu’est la mienne, ma merde plein le chiotte tout autour du chiotte le carrelage partout, dans la salle de bain, ma merde plein la tête, ma merde plein les doigts, les vêtements, le slip, j’ai tout nettoyé, le bleu de mon jean a décoloré sur la serviette blanche, j’ai très bien dormi.

Mon jean presque sec, pas de trace visible non même pas d’odeur, j’ai très bien lavé.

Je me réveille, m’habille, descends, sors, je vais à la gare.

J’ai dormi quatre heures je suis fatigué.

Je me suis réveillé un quart d’heure avant le départ du train.

Entre la gare et l’hôtel il y a cinq minutes.

Je suis en avance, je m’allume une clope.

Je monte dans le train, deux types montent à ma suite, Bonjour, monsieur, c’est la douane, descendez s’il vous plaît.

C’est qu’ils sont polis.

Ils me fouillent, c’est qu’ils sont polis.

J’ai peur de rater mon train je leur dis mais je ne rate pas.

Quand je remonte dedans, il démarre, je repars chez moi.

Manger un sandwich mou.






Benoît Toqué
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