© Image Nathalie Blanchard

Maintenant

comment c’est rassembler toutes les pièces qui ne tiennent plus ensemble comment c’est s’évertuer à construire d’autres idées de l’individu ici et là dans cette pièce comment c’est s’enfermer pour ne plus assister à ce lent glissement vers l’obscurantisme comment c’est dans tu es là maintenant à vaciller comme toute lumière comment c’est éteindre absolument éteindre les devenirs dans la nuit comment c’est reculer refluer tu es là comment c’est se tenir debout dans les temps à genoux comment c’est comment c’est attendre que quelque chose se détache ou crève tu es là tu es très maintenant là dans cette patience très imbriquée dans toutes les existences comment c’est là maintenant où tu te tiens comme une stèle comment c’est ne plus devenir entre tous les murs du monde tous les échos toutes les nuits comment c’est reculer ici reculer là dans cette histoire de corps toujours comment c’est

là où plus rien ne peut t’atteindre maintenant ici où plus rien que le silence de tout ce qui a déserté le silence de tout ce qui s’est effondré ici là où plus rien de l’extérieur plus rien ce murmure du monde qui t’avait pourtant suivi tout au début plus rien de cet avenir qui dans la nuit et quelque part ailleurs a sombré pour ne jamais jamais jamais refaire surface tu es là très là où plus aucune illusion sur ta langue plus aucune attente ton corps et tes maigres chances de faire en sorte que change ce maintenant là plus là tes maigres chances plus aucune idée du pourquoi du comment du comment c’est exister encore si tout s’arrête comment c’est maintenant choisir de ne plus être comment c’est choisir de se tenir là immobile sans rien attendre comment c’est

comment c’est exister raconte comment c’est exister quand ça se désagrège comment c’est

plus maintenant à faire partie du sol de la terre de la pierre même sous laquelle le temps se repose plus maintenant que tu es là bien là sous cet amas de regrets de solitudes et de jours aussi plus maintenant à regarder s’effondrer ton corps à regarder s’effondrer ce qu’il te reste d’œil au centre de cette pièce et sous l’amoncellement des souvenirs des briques et de ce qui désespère plus maintenant à faire partie de la rumeur du monde du simple bruit d’exister plus maintenant comment c’est plus maintenant à attendre que quelque chose advienne plus maintenant

dans ce creux du sensible ici où les siècles et des souffles se taisent ici dans ce creux et les jours où quelque chose de toi s’est arrêté dans ce creux du vide cette ornière de l’existence tu es là très ici très arrêté atterré dans ton corps en miettes et les rumeurs de ce monde presque définitif aussi dans ton corps presque définitif tu es là à empiler les destins les désastres les attentes à empiler à regretter et comment c’est devenir ce que tu ne peux raconter du fond de ces temps silencieux comment c’est regretter devenir l’entassement lorsque toi seul à l’écart et ta langue comment c’est regretter plus parler pas raconter pas même exister entre les murs où quelque chose du dehors t’a suivi comment c’est regretter entre les cloisons être là à se demander si d’autres mondes adviendront être là comment c’est devenir moins que la pierre moins que l’immobilisme moins que rien comment c’est dans le creux devenir le relief de tout ce qui ne devient plus pourtant comment c’est être là comment c’est le silence au sein même du bruit où toi et tant d’autres où toi bien droit sur tes jambes prêtes à faiblir et tant d’autres ce qui se dessine jusque sous ta peau où toi à disparaître comme si toutes les pièces de ce monde s’effondraient avec la nuit et la fin d’un rêve jamais rêvé et tant d’autres tu es là ici très ici bien silencieux à t’effrayer d’être le lourd sommeil de ces temps et ces temps et ces temps et ces temps peut-être

au désastre et bien plus loin encore bien plus loin sans cri sans même une respiration comme la pierre dans la nuit sans rien et au désastre

au désastre comment c’est au désastre et cette vie qui s’achève maintenant dans cette pièce au désastre là comment c’est là où les mondes disparaissent où les corps se creusent comment c’est cette pièce où plus rien n’existe plus rien sinon toi et ton attente plus rien de ce dehors qui patiente quelque part derrière toutes les portes possibles et imaginables comment c’est plus rien de l’idée que tu te faisais d’une vie d’une langue d’une volonté de tout réinventer jusqu’à l’espoir tout réinventer et jusqu’à la condition de l’humain même comment c’est être là devenir là comment c’est déserter ces mondes qui tournent sans toi comment c’est déserter se tenir là absolument là très debout très droit sur tes jambes et dans cette nuit qui n’en finit plus de finir dans cette nuit comment c’est maintenant que les pièces de ton devenir se dispersent et se dispersent et se dispersent

comment c’est se tenir debout dans ce qu’il reste de dignité d’espoir et de force tandis que dehors seulement le silence et comme le bruit des pierres qui s’effritent sous la nuit comment c’est la dignité de ceux qui n’attendent plus que la table vide du passé et un autre monde dans la langue comment c’est comment c’est plus parler plus entendre seulement être le regard maintenant que tu es là

bien là très droit très corps très silence très immobile très désastre très langue + très langue + très langue + très langue dans tous les effacements possibles de ta parole comment c’est la dignité

ta langue dans sa dispersion ta langue maintenant très maintenant ta langue voudrait encore quelque part par-delà la langue et l’os et la pierre et les murs et les tendons et l’attente et l’espoir et ta langue voudrait maintenant oui très maintenant ici ou là inventer une marche un silence ou l’écho de voix lointaines maintenant oui quelque chose de ce monde émerge de ta gorge en éclats quelque chose de cette guerre perce à nouveau cet obscur qui te travaille ce mouvement inconscient d’être un mouvement ta langue oui voudrait devenir ce mouvement qui te tirera hors de cette pièce ta langue maintenant et là très là voudrait sortir

de cette pièce cette attente sortir de cette pièce où il est si facile de mourir comme les mouches de mourir et ton corps si facile de cette pièce sortir où tant de mémoire tant d’échos et de plaies aussi ton corps comme les mouches si facile qui meurent qui voudrait oui ton corps plus loin que toi dans le désastre sortir voudrait sortir comme les mouches qui meurent maintenant si facile ton corps là très maintenant là à trembler sa tentative de mouvement trembler toujours si facile voudrait oui ton corps s’échapper échapper comme les mouches de ce qui ne tient plus ensemble

maintenant tu te demandes comment c’est avancer vers toi-même et dans ce fracas comment c’est tu te demandes

Yannick Torlini

A paraître aux éditions Al Dante : Nous avons marché

site internet : Tapages

///////////////////// Autres documents

F1040022Nous avons marché

par Yannick Torlini
nous avons marché et marché et marché à pierre fendre dans les jours creux les promesses d’un matin qui n’en finit pas et la curieuse quotidienneté de la pluie sur nos visages travaillés par les ans nous avons marché et il a fait froid très souvent

 

nblanchardUn matin tu t’es assise

par Yannick Torlini
tu t’es arrêtée un jour entre quatre murs tu
t’es arrêtée un jour comme tu t’es atterrée
dans un espace divis à ta table perdue et vide

 

 SunsetDe)de(dans

par Benjamin Cohen
Je ne suis pas de ce monde. Je ne vais pas venir. Je ne viendrai sans doute jamais. Il se peut qu’un jour je vienne cependant. Je ne suis pas de ce monde. Je vis sur son seuil. Ce monde a plusieurs seuils. Je vis sur un de ceux-là. Ce n’est pas une frontière. C’est autre chose. Un seuil parmi tant d’autres. Je vis là. Dans ce presque lieu.