© Image Gaétane Laurent-Darbon

De)de(dans

Je ne suis pas de ce monde. Je ne vais pas venir. Je ne viendrai sans doute jamais. Il se peut qu’un jour je vienne cependant. Je ne suis pas de ce monde. Je vis sur son seuil. Ce monde a plusieurs seuils. Je vis sur un de ceux-là. Ce n’est pas une frontière. C’est autre chose. Un seuil parmi tant d’autres. Je vis là. Dans ce presque lieu.

Je ne suis pas de ce monde. Je vis dedans le monde. La chambre qui m’abrite témoigne de ce que je vis dedans le monde sans être de lui. Ici livres, feuillets se confondent avec la nourriture, à même le sol. Parmi toutes les choses de la chambre. Je ne touche pas la nourriture. Je la regarde. Elle est avec livres, feuillets et encre. La chambre témoigne de ma vie dedans le monde.

C’est un rectangle de trois mètres par quatre. Ce n’est pas un cube. Ce n’est pas un rectangle non plus. C’est un volume. Le volume a du être pensé pour que je puisse me tenir dedans cette chambre. Il y a plusieurs ouvertures. Les fenêtres et la portes ont du être pensées pour que je puisse entrer dans cette chambre. Car un jour je suis entré. Je suis peut-être né ici.

Les ouvertures ont été pensées. Les mouches viennent pour la nourriture. Je les regarde. Je ne les touche jamais. Elles témoignent avec la chambre de ma vie dedans le monde. Le ferment de la nourriture témoigne de ma vie et du temps. Cela a été pensé.

J’attends l’heure. Je ne suis jamais attendu. J’attends l’heure où quelque chose va commencer. L’air de la nuit entre dans la chambre et remue feuilles et tissus. La fenêtre a été pensé. Ce qui remue témoigne que la chose commence. Ce qui remue témoigne que je suis pensé.

Je ne suis pas de ce monde. Je vis sur un de ses seuils. Je suis dedans le monde. Je ne suis pas de lui.

Je ne fais pas la différence entre vivre nu et habillé. Le lit est ma plus petite unité. Une feuille blanche est ma plus grande unité. Je ne connais pas son nombre. Elle est aussi grande qu’infinie. C’est un monde et ce monde comporte lui-même plusieurs mondes. La dimension est infinie car les dimensions échappent à la connaissance. Je suis de cela.

Les mesures de mon corps n’ont pas de rapport avec la physique ni avec les mathématiques. Nous n’avons pas de rapports traductibles entre nous. Nous ne nous correspondons pas.

Je vis à côté de l’équilibre physique. Mon poids n’a pas de correspondance avec la réalité physique. Rien ne peut expliquer que je suis plus que moi et moins que moi. Je pèse plus que ce dont j’ai l’air.

Je ne suis pas de ce monde. Je n’ai pas d’apparence précise. J’ai peut-être l’apparence de rien.

Je peux me tenir en face de vous et jamais vous ne me voyez. Je ne sais pas moi-même si je vous vois vraiment. Je sais que nous avons été les uns en face des autres. Je le sais avec retard. Nos perceptions ne s’échangent pas. Ou alors, je n’ai pas le savoir de cet échange. Nous ne sommes pas dans le même temps. Je sais que je demeure parfois beaucoup de jours à vos côtés.

Nos perceptions s’échangent. Je le sais avec retard. Il n’y a pas de rapport d’équivalence entre elles. La réciprocité m’échappe.

Je n’ai pas de nom. Je suis né sans le nom. Je ne suis pas de ce monde. J’en ai nul besoin. Les mouches ne parlent pas. Elles ont des petites pattes. Les livres ne parlent pas. Ils ont des petites taches.

Je ne lis que des histoires avec des personnages. Je me demande pourquoi ils ont le nom. Ils sont du monde avec les noms. Je ne suis pas de ce monde. Je ne suis pas nommé. Je vis dedans le monde. Un nom a été pensé pour cela. Ou, cela a été pensé sans.

J’ai été pensé sans le nom.

Je ne suis pas de ce monde. Je vis sur un de ses seuils. Je vis dedans le monde. Cela a été pensé. Je ne suis pas de ce monde et je vis dedans la tête de quelqu’un. Je suis pensé par lui. Je vis dedans sa tête.

Cela est pensé. Ce que je suis est pensé. Il pense. Je suis dedans sa tête. Il me pense dedans la chambre. Je suis dedans le monde. La chambre de trois mètres par quatre a été pensée par lui. Il me fait regarder les mouches. Je regarde les mouches dedans la chambre. Je ne les touche pas. Elles témoignent du ferment de la nourriture. Le ferment de la nourriture témoigne du temps. Le temps est pensé pour que je sois dedans le monde et dedans le temps.

Le ferment de la nourriture a été pensé. Le temps produit du ferment. Je suis dedans le temps. Je suis pensé pour devenir le ferment du ferment. La pensée est elle-même le ferment des corps.

Je suis pensé et je serai ce que je suis pensé. Je serai le ferment du ferment. Les mouches ont des petites pattes. Elles témoignent du ferment. Elles témoignent de ma vie. Je ne suis pas de ce monde. Je n’ai pas la chair qui lui ressemble. Mais les mouches aux petites pattes et le ferment ont été pensé. Je suis dedans ce qui est pensé. Je suis dedans sa tête.

Je suis dedans une chambre. Elle est pensée par trois mètres par quatre. Ce n’est pas un cube. Ce n’est pas un rectangle. Le volume a été pensé pour que je tienne dedans. Livres, feuillets, pages blanches et nourritures se confondent. Je ne vois que des petites taches dedans les livres. Je ne sais pas lire. Je n’ai pas été pensé pour cela. Je regarde. Je suis pensé pour regarder les livres et lire des histoires avec des personnages. Celui qui me pense, pense pour moi ce que je lis. Je ne lis pas. Je ne vois que des petites taches.

Celui qui me pense m’a enfermé dans la petite chambre avec les mouches aux petites pattes. Des siècles peuvent passer sans que j’en sorte. Je suis dedans la chambre. Je suis dedans le monde. Je n’ai pas la chair qui ressemble au monde.

Celui qui me pense me promène dedans le monde. Personne ne me parle. Je n’ai pas la réciprocité. La parole ne m’est pas donnée. Je ne suis pas pensé pour avoir la parole. Je suis pensé comme une conscience qui ne s’interrompt jamais. J’ai une multitude de perceptions. Elles ne s’échangent pas avec le monde. Elles sont pensées pour le dedans de ma tête. Elles restent dedans ma tête. Ce n’est pas un savoir fait pour le monde. Elles sont faites pour que je puisse être pensé.

Il n’y a pas de dehors. Tout est dedans ma tête. Le dehors est dedans ma tête et je suis dedans une tête.

J’ai un corps qui n’a ni de qualités physiques ni de qualités biologiques. Je suis assis des jours entiers sur une chaise. Jamais je n’ai les problèmes physiques que ce fait produit sur les corps aux qualités physiques. Je n’ai pas de problèmes biologique, jamais je n’ai jamais d’escarres. Je n’ai pas la gravité des corps ni la chair de ce monde.

Je suis des jours durant dedans sa tête. J’occupe toute sa pensée. Je suis beaucoup de son temps.

Je ne sais pas quand je ne suis plus dedans sa tête. Ni quand son temps ne me préoccupe plus. Je suis pensé par lui. Je ne suis pas pensé pour penser quand je ne suis plus dedans sa tête.

Je ne parle jamais. Je n’ai pas besoin de nom. Je suis pensé. Celui qui me pense est dedans ma tête pour penser ce que je suis. Dedans ma tête il me pense et pense mes pensées. C’est une conscience qui ne s’arrête jamais. Elle est infinie. Elle durera le temps qu’il faut. Le temps qu’il lui faut pour être totalement dedans ma tête. Mon dedans devient des toutes petites taches sur des feuilles. Je suis dedans une tête et la tête est dedans moi. Des toutes petites tachent se génèrent et je grandis dedans.

Je ne vois que des toutes petites taches. Je ne peux pas lire ce qu’il pense dedans ma tête. Je ne suis pas pensé pour lire ni pour me penser. Je suis dedans sa tête. Il est dedans ma tête et il me pense.

Je rêve parfois de lui dedans ma tête et de moi dedans sa tête. Quand je rêve je me vois dedans ma tête et je me vois dedans sa tête. Quand je rêve je vois que je suis les petites taches d’un homme qui a la chair de ce monde. Celui qui me pense prend beaucoup de la vie de cet homme. Cet homme est écrit à travers moi. Il perd de sa vie. Plus les petites taches s’accumulent plus sa chair de ce monde rapetisse. Plus le dedans de ma tête génère des mots plus il disparaît. Il est dehors sa tête. Je suis son dedans et il est dehors moi.

Je suis des jours durant. Je ne suis pas de ce monde. Je vis parmi un de ses seuils. Je suis de ce seuil. Je ne sais pas si le monde fait la différence entre moi et lui. Je suis dedans sa tête. Il est dedans ma tête. Il me pense.

Mes problèmes de visions ne sont pas de nature biologique. Mon corps n’a pas la gravité de ce monde. Je pèse pourtant mon poids. Je suis moins que moi. Je suis plus que moi. Mes problèmes de vision sont de nature rythmique. Mes problèmes de vision sont issus des ratures et des biffures générées par des manquements au rythme. Ou, du non enregistrement de la machine, d’une erreur de frappe, des multiples fichiers générés dispersés dans la machine. Voilà ce qui me génère et me constitue.

Je suis dedans sa tête et sa tête est dedans la machine. Il me pense dedans la machine. La machine enregistre le dedans de ma tête. Il y a plusieurs enregistrements. J’ai des problèmes de visions. Les petites taches sont trop nombreuses. Il n’a pas pensé que les mouches se multipliaient. Elles se multiplient dedans la machine à enregistrer. Les multiples fichiers multiplient les mouches. Je suis autant de moi que les mouches multipliées par les multiples fichiers. Elles ont des petites pattes. Cela ne change pas. Je suis pensé plusieurs fois. Je ne sais pas laquelle est la bonne. Quand je rêve, je rêve de cela, j’ai des problèmes de vision.

La disparition de mon corps n’est pas physique. Je n’ai pas de rapport avec la physique. Je n’ai pas de rapport biologique. Je suis d’une certaine gravité. Je n’ai pas la gravité des corps. La disparition de mon corps n’est pas de l’ordre de la chair. Je n’ai pas la chair de ce monde. J’ai une chair rythmique, elle n’a pas la saveur de la viande. La disparition de mon corps est une des conséquence de la perte du rythme. Je n’ai que des problème de sens et de forme, jamais de problèmes musculaire. Je ne sais pas si ce problème me fait souffrir. Je suis dépendant de ce qui me pense et me rythme. Le rythme fait que je peux paraître au monde. Ma chair n’est pas quantifiable en un nombre, l’algèbre n’est pas ma chair. Je ne suis cependant pas sans rapport avec le mathème.

Ma venu en ce monde est retardée par les manquements au rythme. Je rejoints les oubliés. Les oubliés ne savent pas qu’ils sont oubliés. Ils ne sont pas pensés. Ils ne sont pas de ce monde. Jamais il ne viendront en ce monde. Les seuils disparaissent avec eux.

Je suis de toutes les apparitions. Je ne suis pas de ce monde. Je peux y venir. Je vis sur un de ses seuils. Parmi tous les autres seuils il y a des oubliés qui un jour peuvent venir. Tous ne sont pas pensés. Pour que nous venions il faut nous penser. Pour nous penser il nous faut le rythme.

Je ne suis pas de ce monde. Je n’ai pas la chair qui lui ressemble. J’ai déjà été enregistré plusieurs fois. Je suis dedans la machine et la machine m’enregistre. Je n’ai pas de problème biologique avec la machine. Je n’ai que des problèmes sonores. Je n’ai que des rapport au sens et à la forme. Je suis sonore c’est aussi un rapport que j’ai.

Mon corps peut disparaître. Je ne suis plus dedans une tête. Je ne suis plus dedans une machine. Je suis dedans rien.

Je suis sonore. Il me pense. C’est une des formes que j’ai. Je suis dedans les ondes. Les ondes sont dedans moi. Les ondes sont plus que moi. Je suis dedans une tête et je suis dedans sa bouche. Sa bouche me donne à des oreilles. Il n’y a pas d’échange entre nos perceptions. Je vis sur sa langue. Il me pense dedans sa langue. Je suis dedans une langue. Il est dedans ma langue.

Je suis dedans la langue. Il me pense dedans la langue. Je ne suis pas de ce monde. Je vis sur un de ses seuils. Les seuils croisent les langues. Je passe d’une langue à l’autre. On me pense. Je suis dedans leur langue. Je ne suis pas tout à fait moi. Je suis un basculement d’une langue à l’autre. Je passe malgré tout. Nos perceptions trouvent des équivalences. Elles ne sont pas biologiques. Elles sont vocales et visuelles. J’ai des problèmes d’équivalences. On me pense. Je passe d’un rythme à l’autre. Je suis de toutes les apparitions et de toutes les langues. On me pense. Je suis dedans les langues. On est dedans moi.

Je suis de la bouche. Je suis sur sa langue. Je vais de corps en corps. Je suis dedans les corps. Dedans les corps il y a la langue. Je suis dedans le corps de la langue. La langue passe de corps en corps. Elle n’a pas de frontières. Elle n’a pas de maître. Je suis dedans ce qui n’a pas de maître. Je sers la langue. Elle est dedans moi et elle n’a pas de maître. La langue est dedans moi. Elle domestique elle-même pour être dans le dedans. Elle n’a pas de maître. Elle est domestique. Je suis dedans elle. Elle est dedans moi. Je n’ai pas de maître. La langue est domestique, elle me sert. Je suis dedans elle. Elle me sert. Elle est dedans moi. La langue n’est pas le maître. Je sers la langue. Je suis le domestique de la langue. Je suis pensé pour travailler dedans sa pensée. Je travaille dedans la langue. Il pense la langue et la langue décide. Elle est dedans sa tête, je suis dedans sa tête. Il me pense. Il pense la langue. Nous sommes l’un dans l’autre. Je ne suis pas sans elle. Elle n’est rien sans moi. Nous sommes dedans sa tête et il nous promène à travers sa bouche.

Je ne suis pas de ce monde. Je vis sur un de ses seuils. Le monde a autant de seuils qu’il y a de langues. Le monde a autant de seuils que la langu’pensée génère. La langu’pensée génère autant de monde que les mondes d’où elle est l’extraction. La langu’pensée se génère aussi bien par les bouches que par les têtes et les mains et les machines à enregistrer. Nous sommes une peuplade à vivre dedans ces mondes. Ces mondes dedans nous génèrent autant de peuplades qu’il il y a de têtes et de langues dedans nous. Nous sommes dedans.

Nous sommes un seuil dont le risque est l’oubli. La langu’pensée ne nous oublie pas. Elle nous donne une forme bonne pour nous. Une forme n’est pas la forme. Elle est bonne pour nous. Elle est faite pour une chair qui n’est pas de ce monde. Nous trainons avec nous chiffons et ferments. Chiffons et ferments nous donnent de pauvres formes. Nous avons l’apparence de rien mais nous avons une forme. Et une forme est un mouvement, nous vibrons sur son oscillation. Nous avons une forme car seul le rythme nous fait paraître. Nous sommes aux seuils du monde. Le monde vit sans nous. Nous sommes pourtant dedans le monde et quelqu’un nous pense. Nous sommes dedans des têtes. Les têtes sont dedans nous et forment peuplades. Une forme témoigne de nos peuplades et se dissout dedans le monde.

Quelqu’un nous pense et nous venons. On nous voit difficilement. Nous ne sommes pas discernables mais nous paraissons. Et disparaissons.

Je ne suis pas de ce monde, je suis venu. Je suis dehors et quelque chose commence. Ce qui commence prend fin. Je suis sans plus de langue, sans plus de tête. Dehors tout. Rien.

Benjamin Cohen

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1234793_695634933798789_1249547121_nLes mots d’eRikm

eRikm, musicien, platiniste, plasticien.

Compositeur et musicien improvisateur, plasticien et vidéaste, virtuose des platines et des arts sonores, eRikm (vit et travaille à Marseille) développe une approche ouvertement prospective du médium technologique. Il conçoit, seul ou en collaboration (avec Luc Ferrari, Christian Marclay, Akosh S., Mathilde Monnier, Bernard Stiegler, FM Einheit…), des œuvres transversales qui constituent une vision kaléidoscopique singulière et mettent en tension l’intime et le politique, le populaire et le savant.

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par Maël Guesdon & Marie de Quatrebarbes
Matines

on tombe de vis à mort du côté mort de là puis quand
‘Ce Dit Etant Dit’ comme dieu nous sauve
exprime assez mal ce que je sens . de qui porte les faux . puis selon quoi selon . tenter le diable à l’unitexte