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On marche, à chaque pas commence la danse

Du 24 au 31 janvier a lieu à Marrakech la quatrième édition du Festival International de Danse à Marrakech, « On Marche »
Depuis quatre ans, au Maroc, « On Marche«  tente d’impulser un rythme encore inaudible, recherche un élan pour la danse contemporaine, un creux dans lequel la danse pourrait se loger, et dans lequel se glisseraient les artistes marocains et le public. Toujours précaire, la marche louvoie la chute, elle l’invente, l’appelle, et y échappe ; un écart. Dans cet écart la chute est à la fois suspendu, probable et imminente. Son évitement nécessite une poussée de l’arrière vers l’avant : un élan, une énergie. L’enjeu aujourd’hui d’un tel festival au Maroc est de trouver l’énergie durable qui maintiendrait le rythme aussi lent sois t-il.

A Tours, il y a quelques mois, le Centre Chorégraphique National de Tours – dirigé par Bernardo Montet et partenaire du festival « On Marche » – avait réalisé une marche sur une distance de 100m à parcourir en 1h. En proposant un temps long pour une courte distance, les danseurs ont éprouvé une distance ; sa résistance. La marche s’est révélée difficile, lente puis rapide, scandée par des accélérations et des désaccélérations, ponctuée par des chutes, mais sans cesse relancée par la poussée du regard du public et la nécessité d’avancée pour conjurer la mort.
Cette performance résume à elle seule le festival « On Marche ». Distance à parcourir, déjà parcouru, encore à parcourir. Aussi chaque année le festival s’ouvre sur une Marche dans la ville. Volonté de vie, menace sur ce qui pourrait l’empêcher. Chacun peut la rejoindre ou la soutenir du regard.
A l’instant me vient une phrase de Susan Buirge : « Pas de sol, pas d’appui, pas d’appui, pas de danse. » La marche, se révèle alors comme l’épreuve du sol, la conquête d’un horizon pour le regard. Cet horizon, l’infini lointain, je l’imagine être la naissance du désir. J’ouvre ici un paradoxe : que la poussée viendrait de l’avant, de l’inconnu, des espaces non encore parcouru ; « l’invitation au voyage ».
Voici pour conclure ce premier billet : que le désir d’aller de l’avant l’emporte sur les regards qui se détournent, sur l’absence de soutient des institutions, mais qu’un tel désir n’est possible qu’à condition de s’inscrire sur un sol de pouvoir y prendre appui. Le véritable danger pour le festival « On Marche » ce n’est pas l’absence de soutient des institutions du Pays, mais une radicale indifférence, une série d’obstacles faisant se dérober le sol sous les pieds, condamnant à l’exil ; perte originelle de la terre.

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« le son nous envahit, nous pousse, nous entraîne, nous traverse. Il quitte la terre, mais aussi bien pour nous faire tomber dans un trou noir que pour nous ouvrir à un cosmos…*

Enfin. Ils marchent.

[vers 18h30] et ce sans chuter dans un trou noir. La musique vient battre les corps et la terre. Il n’est pas encore venu, le temps d’être emporté. Il faut porter. d’abord. son poids.
Ils, ce sont les invités du festival. maintenant ils se trouvent dans le jardin du théâtre Dar Attakafa. C’est de là qu’ils partent. [Ils avancent, ils s’arrêtent, ils reculent, ils se regroupent par deux ou trois, ils se couchent au sol, ils se dispersent, ils se recomposent ailleurs, autrement, dit-il] Il leurs faudra parvenir jusqu’à l’entrée du théâtre. Un parcours dont la durée est de 100 mètres et dont la mesure est de 30 minutes. La pression atmosphérique est maintenant modulée par cette musique, et il leurs faut résister à cette poussée. 20 musiciens.
[Je remarque, impossible de distinguer le passant d’un spectateur. Rien n’indique, qu’ici, l’ouverture du festival a lieu…, dit-il]
Puis 400 ou 500 personnes [beaucoup] s’ajoutent à l’intensité sonore, aux poids des corps. A ce moment, ils ignorent le chemin, le sens de leur marche. Car ici, rejoindre un théâtre, c’est le faire avec les forces de l’art, c’est déjà mon enfant, ma soeur, songe à la douceur d’aller là-bas vivre ensemble! **
[Dar Attakafa, un théâtre dans un quartier populaire de 400 places en jonction avec un conservatoire et une bibliothèque. Un équipement de 12 ans d’âges, sans projet comme tous les équipements culturels de la ville. Celui-ci a au moins une scène et un gradin et même s’il faut le doter en projecteur, dit-il]
Ils y sont arrivés, beaucoup y sont arrivés. Maintenant ils sont dans le hall du théâtre. Ce n’est pas la fin, c’est encore un point de basculement. Et ceux qui jusqu’à ce point avaient résisté aux puissances sonores, y plongent, plongent de tout leur corps, des sauts [Là une montée subite de la musique du à l’effet de réverbération ; a provoqué une excitation des corps ; excitation redoublée par l’effet de foule…, dit-il encore] Ainsi ils vont au théatre. Voir Wad ras un ballet féminin de flamenco composée par Montse Sanchez et Ramon Baeza. Dépouillés d’une pression sédentaire et plein d’une énergie nomade, « on marche » appelle tout un peuple à venir là où tout est calme, luxe et volupté** [ Il dit : J’ai vu des corps libres entrer dans le théâtre. Le spectacle s’était joué avant lui, la danse avait déjà eu lieu.]

Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent
Pour partir ; coeurs légers, semblables aux ballons,
De leur fatalité jamais ils ne s’écartent,
Et, sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons! ***

[La marche, la musique, la puissance d’amplification du Hall, la foule, tout cela a formé un processus qui a permis d’entrer dans un spectacle vidé de ses humeurs, de sa journée, vidé de soi. Ce qui a suivi était pour certains un retour progressif plus ou moins lent des corps vers leurs incarnations habituelles, chacun retrouvant son moi et son adresse postal allant du plus proche au plus lointain. Pour d’autre au contraire le spectacle à maintenu le ravissement de voir autrement,

Le sommeil est venu.
en France l’art de la danse est devenu un art de la représentation, il l’est devenu à la fin du 16e siècle, puis au 19e siècle il s’en est allé dans les théâtres.
Hier tous sont allé voir de la danse en dansant, avec la danse, par la danse.

Texte : Amandine André

* Deleuze et Guattari, Milles Plateaux
** Baudelaire, Invitation au voyage
*** Baudelaire, Le voyage


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Marrakech
« Tout va bien
La radio diffuse au début de chaque heure
les battements du grand coeur
Les murs ne souffrent pas
d’une maladie des poumons
On peut – en y mettant du sien –
nettoyer les rues des traces de larmes

Le ciel n’a besoin que de retouches
et de quelques photos récentes d’anges
Même ceux qui sont morts à cause de vous vous pardonnerons lors d’une fête magnifique. »

A. Barakat

Un document sonore de 28 mn en compagnie de Taoufiq Izeddiou, directeur artistique du festival On Marche et du Directeur Régional des Affaires Culturelles de Marrakech.


4° édition du festival
Textes de A. Barakat, M. Bennis et A. Khatibi

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Un panorama de 25 mn à Marrakech, porte Doukala de la médina, en attendant le solo chorégraphique de Raphaël Dupin, « 10e mn corner ». Captation lors de la 4° édition du festival de danse « On Marche »

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