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Ónóme

Extrait de Ónóme, un poème de Benjamin Hollander

Nous publions cet extrait à l’occasion de la publication par les éditions de l’Attente de deux poèmes de Benjamin Hollander – Ónóme suivi de Lévinas et la police – sous le titre Vigilance dans une traduction de Frank Smith avec Guy Bennet et Françoise Valéry.

Une discussion avec Frank Smith aura lieu à la librairie EXC – Paris, passage molière – le 14 décembre à 21h à propos de ce livre de Benjamin Hollander.

Ónóme. Comment as-tu vu la police. S’il te plaît. Ónóme. Nous entendons des cerveaux, choses explicites. Réfléchis. Ónóme. Nous voulons dire des rêves. Nous voulons dire des rêves a-nnulant ce petit « soi » d’enfant – encore. Je les ai vus – faire. J’ai vu le faire et, avec des bâtons, ce qui est bizarre est – c’est très bizarre – est, Ónóme, j’ai été particulièrement visé – elle frissonne – héritant de cette merveilleuse intelligence filiale a-nnulant ce petit « soi » d’enfant malade. Ónóme. Non, je n’ai pas été particulièrement visé. On m’a vu à plusieurs reprises la viser – et lui est sur moi. À main levée. Un croquis à main levée. Une main levée dessine des bougies qui brûlent à travers la fenêtre. Les phases successives d’allumage et d’extinction des bougies donnent aux choses un affreux moment dans la tête – doute. Je ne doute pas d’avoir vu ça et peux faire la différence entre meurtre et amour, si c’est près de moi. Elle est enveloppée d’amour – elle frissonne. Je l’ai vu près d’elle, entrer – affections privées, choses explicites – la tourner en dérision, dans son oreille, la chose, là-bas, dans le canal, enveloppée d’amour – elle frissonne, entre en moi. Ónóme. Par temps de neige, j’ai passé l’hiver dans ce manoir croyant que n’importe quoi tout près de moi arrivera, et il est sur moi. Ónóme. Comment as-tu vu la police.

*

Cet homme est plus grand

Cet homme je m’en souviens

Plus grand pâleur entre en elle

Dans sa maison

On a dormi cet homme dans les champs de foire par temps de neige

Il l’a appelée

On m’a vu la voir aller vers un téléphone – une fois

Je sais cet homme que tu as déjà en ligne se trompe seulement – cette fois

Je sais qu’il a la même aptitude à déplacer des choses dans la maison

La même pâleur de cristal, le même ton

Mais il n’a pas de pouvoir réel

Il a fait la différence entre meurtre et amour – une fois

Il n’a pas

D’affections privées, choses explicites

Cet homme que tu veux est plus à l’aise

Avec ses affaires à elle

*

Écoutez, Lieutenant. La question est qui a dit ça et qui se sent plus à l’aise avec ses affaires à elle – disons des livres – pour avoir, pour l’obliger à le regarder. Je l’ai vu le faire et – avec des bâtons – comment as-tu vu la police – dis-le. Ónóme :

Quand je dis, je cite, il est sur moi
C’est une figure – seulement
de quelque style…

Ça ne pèse pas lourd
C’est dans l’objectif que j’ai vu

Écoutez, Lieutenant. Je n’utilise pas le langage – ou l’amour – pour déjouer la peur que j’en ai :

Quand je dis, je cite, il est sur moi
Il est pris – seulement – dans mon objectif vu en immense
être avec elle

Écoutez, Lieutenant. Quand je regarde le langage – ou l’amour – je n’ai pas recours à la violence pour déjouer ma peur du silence. Ça se trouve simplement comme ça. Il se trouve simplement que j’ai passé un hiver dans ce manoir pensant que tout ce qui est près de moi arrivera, et il est sur moi :

Quand je dis, je cite, il est sur moi
Je peux dire vous

Comment as-tu vu la police. Dis-le. Ónóme. « Partout où le texte le permettait de vrais cris étaient frappés de silence »

(Moriarty l’a dit)

*

Ónóme. Une fois Rilke. Une fois Rilke a pleuré sous la pluie mais le témoin que je suis l’a en mieux pour moi. S’il te plaît. Ónóme. Un seul témoin n’est pas un témoin. Ils appellent ça sans-soi. Ils appellent ça il y a (Lévinas l’a dit). Ils appellent ça ce qui est arrivé quand les Élégies de Duino pleuvaient, et il est sur moi. Papa, ce type dit des trucs – bizarres. Oui,je sais, le ciel dit des trucs et l’esprit croit ce qu’il entend et quand il entend ça je sais que n’importe quoi tout près de moi arrivera, et ça arrive. L’esprit croit. Assez. Je l’ai vu. Je l’ai vu arriver. Je l’ai vu savoir qu’elle a les clés de la porte. S’il te plaît. Ónóme. Si je dis ça, la police alors saura qu’elle a les clés de la porte et la porte s’ouvrira si je dis ces choses et la condition me revient alors, lorsque la porte aussi, car l’esprit aussi. Je le fais pour toi. Parce que l’esprit me revient – je l’ai vu, venir, je l’ai vu la prendre. Venir. Personne ne le voulait. Personne n’a dit : théorie d’abduction. Personne n’a dit : dans ta tête, ça fleurit, presque comme des pensées magiques elle a dit, un enfant fait ça. Je l’ai vu. Un enfant le fait mais ne peut pas le dire si bien que le monde gravite autour de ce qu’il ne peut pas dire. Si je le dis. Un mot est hors de lui. C’est son orbite. C’est son muet et aimé, sa colère de tous dans la voix du fin silence. Écoute. Personne n’a dit : une fois qu’elle y était, elle était à l’abri. Elle ne l’était pas. Ónóme. Une fois que la planète a su, qu’est-ce que la disparition a fait pour toi.

Bibliographie de Benjamain Hollander (1952 – 2016)

/// En traduction françaiseVigilance, traduit par Frank Smith avec Guy Bennett et Françoise Valéry, L’Attente, 2022. • Onome, traduit par Emmanuel Hocquard in Format américain, l’intégrale (1993-2006), L’Attente, 2021. • L’éloquence en question – Le « comment » Reznikoff, traduit par EH et JV, le «Gam  » n°1 in Format Américain – L’intégrale (1993-2006), L’Attente, 2021. • Onome, traduit par Amandine André, Jean-Philippe Cazier, Maël Guesdon, Marie de Quatrebarbes et Frank Smith, in La tête et les cornes n° 7, 2019. • Le livre de qui sont était, traduction collective relue et complétée par Oscarine Bosquet, Un bureau sur l’Atlantique, Creaphis, 1997.

/// En anglaisThe Letters of Carla, the letter b., A Mystery in Poetry, With a Foreword by the Future Guardian of the Letters, and An Afterword by Benjamin Hollander (Chax Press, 2017) • Letters for Olson (editor: Spuyten Duyvil, 2016) • Memoir American (Punctum Books, 2013) • In the House Un-American (Clockroot Books, 2013) • Rituals of Truce and the Other Israeli (Parrhesia Press, 2004) • Vigilance (Beyond Baroque Books, 2004) • Levinas and the Police, Part 1 (Chax Press, 2001) • The Book of Who Are Was (Sun and Moon Press, 1997) • How to Read, too (Leech Books, 1992) • Translating Tradition: Paul Celan in France (ACTS: A Journal of New Writing, 1988)