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moi, bourgeois d’élevage

moi, bourgeois d’élevage, je soutiens le mouvement des gilets jaunes, absolument. et ce n’est pas facile.
ce n’est pas facile parce qu’éternellement paraissant de cette caste j’éprouve un sentiment d’imposture à me reconnaître dans ce qui, pourtant, depuis des semaines, totalement me rejoint, ou que, plus exactement, totalement je rejoins : un mouvement, une effervescence, un rejet enfin, de la mystification générale ; et ce n’est pas facile parce qu’on ne sort pas d’un milieu, indemne, quel qu’il soit on le trahit, et je sais déjà ceux qui me diront renégat de ne pas soutenir aveuglément, par conscience de classe, la mystification qu’on nous impose.
moi, bourgeois d’élevage comme on le dit d’un poulet d’abattage, je suis ceux et avec ceux qui n’en peuvent plus de cette fable dangereuse, laquelle, enfin dénudée, montre toute son obscénité : l’obscénité d’un État affolé qui agenouille ses enfants, parque et blesse ses citoyens, renverse un handicapé, arrache des mains, tue par accident une femme dans son appartement, emprisonne, condamne ; obscénité d’une répression avant les faits, on arrête maintenant avant, et cela paraît normal ; obscénité de la morgue, et de ceux qui gouvernent, et de ceux qui commentent et courtisent à quatre pattes.
moi, bourgeois d’abattage échappé de la chaîne, au croisement de ceux qui s’évadent des beaux quartiers et de ceux qui émergent des autres, je suis ceux et avec ceux qui n’en peuvent plus de cette pantomime : le roi est nu et ce que l’on voit est laid. ce que l’on voit est si laid qu’on ne peut être que de ce peuple désordonné, bruyant, même violent (je pense inutile de revenir sur ce qui, aujourd’hui, est réellement violent), et bien que je ne souffre pas autant que ceux que je croise et avec lesquels j’ai parlé aux ronds-points traversés, bien que ma précarité constante soit moins douloureuse que la leur, bien que moi, éternellement paraissant de cette caste je ne vive a priori pas la même impasse que celle dans laquelle eux sont enfermés, je suis d’eux, aujourd’hui je suis de ce peuple, je suis de ce peuple-nous.
je suis de ce peuple-nous, dessillé, qui voit le bourbier dans lequel nous entraînent les couveuses à élite et leurs affidés qui l’accusent d’en être responsable, et ne les respecte plus. je suis de ce peuple-nous, opiniâtre, qui ne se reconnaît ni dans la caricature qu’on fait de lui, ni dans le mépris dans lequel on le tient. je suis de ce peuple-nous, insolent, mal élevé et écorchant la langue et l’orthographe, qu’on accuse d’extrême débilité et d’ignorance absolue, et qui réclame et revendique, tout. oui, tout. c’est énorme.
en 1789, ce peuple-nous, quasi analphabète, s’est levé et a renversé un ordre dépassé : près de 230 ans après faisons ce pari-là que ce peuple-nous, chacun de ses membres, donne son avis, sur tout, oui, tout, et partout.
de là où je suis je le fais, du fond de nos « territoires » dès demain je le tente ; de là où nous sommes, chacun, faisons-le. créons, sur ce registre virtuel, ici et ailleurs, quelque chose qui nous porte. ici, dans ce possible du dire. écrivons cahiers de doléances, partout, par tous médiums, par tous supports, envoyons, submergeons, osons, disons, nous, le peuple-nous, ce que nous proposons qui n’est pas la doxa : pensons services publics, pensons répartition, pensons retraites, pensons énergie, pensons nucléaire, pensons pétrole, pensons hôpitaux, pensons police, pensons éducation, pensons médias, pensons planète, pensons tout c’est-à-dire tout car tout nous regarde, pensons avenir, pensons l’avenir, disons, osons.
ici, ailleurs, partout, en cacophonie et énergie qui déstabilise les certitudes, partout, donnons notre avis sur tout car de tout, nous-peuple, sommes spécialistes et surtout légitimes, regardons ce qui absolument nous regarde.
nous n’imaginons pas à quel point ils ont peur. que cela continue.
imaginons.
continuons.

Emmanuel Adely

 

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