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Lotissements

naissance de l’abondance

On peut ausculter le temps,
Couper l’herbe avec les mains,
Regarder les voitures passer,
Poser des clous sur les routes,
Pour voir les choses s’arrêter,
Faire des puits.

On se donne rendez vous à la butte ou sur le terrain.
On fait des tours, nous parlons, nous mettons le feu.

Ici,
Pas d’écume, pas de digue,
Où la route, le rond point,
Des caillasses, pas de lyre.
Des objets qu’on reçoit,
Des jeux qui occupent.

Certains sont arrivés là pour ou par le travail,
Par manque de moyens, rarement par choix.

Tous, sans moyens,
Classe moyenne moins,
Plutôt classe manquante,
Déclassée, classe oubliée
Sans classe, habitués à déshabiter.

On se côtoie,
Certains ne vont pas à l’école.

Il faut occuper le temps ou se laisser occuper par lui.
On s’observe, on s’emmerde.

La nuit tombe au rythme des portes de garage.
Il se passe souvent quelque chose dans le manque.
Choses demeurent incertaines,
Comme le quotidien de tous.
Une bagarre, un accident, une fête,
Un anniversaire ou un incendie.

Il y a plus d’enfants que d’adultes dans le quartier.
Notre quartier de coin, quartier de rue, de ville,
Quartier de cité, notre quartier de monde.
Nous sommes tous locataires, loyers modérés.
Le feu ne prend pas tout le temps.

Il faut courir sur le chemin de l’école.
Commencer par ne pas vouloir y aller.
Il faut se planquer, ou courir,
Aussi vite que nous le pouvons.

L’instituteur nous fait courir deux heures par jour.
Il est aussi l’entraîneur de foot de l’équipe locale.
Il tire les oreilles, les cheveux, casse des dents.

Les objets circulent, les couteaux, les briquets, les mortiers.
Nous n’avons pas de lieu.
Le présent et le passé se confondent.

Nos excès d’ennui semblent régulés ;
Nous nous battons entre nous.

La modération des loyers
Devrait modérer notre colère.
Un quartier est un morceau, une part, la part maudite.
Certains vont de part en part, sans lieu,
Mutés toujours mutants,
Inappropriés au monde,
Ou simplement déplacés.

D’aucuns habitent le quartier depuis une,
Deux, parfois trois générations.

À l’école, nous regardons les cloportes,
Dans les boites avec de la terre.
Les cloportes se cachent de la lumière, rutilants.
À la maison je dessine un cheval de mythologie.
Je contourne le bois, aligne des planches, une à une.

On se réfugie,
Sous un arbre, dans un arbre,
Un coin, une rue, un garage, une forêt,
Sous un porche, au dessus d’une feuille de papier.

Nous longeons les sillons tracés dans la terre par les machines,
Pour y trouver des morceaux d’amphores ou de tuiles,
à la recherche d’un passé, d’une histoire,
On se raccroche à ce qu’on peut.
On rassemble les morceaux.

Longer les routes, aller chercher les œufs,
Longer les murs, s’éviter.

La ville est un village, le village est une route.

La route passe, la route passe par le village.
Le village est traversé par la route.
Rarement des passants.
La route est longue et traversée par le vent,
Le vent longe la route vite.

Tous se taisent.
Tout semble menacer.

Les voitures passent vite,
Il faut éviter les voitures.
Avec ou sans clous.

Longer les murs, pour ne pas se faire écraser contre le sol.
Murs froids route sèche maculée de vide, route flux.

La route passe et le temps,
Vide attenant,
Où les visages se cherchent.

Se cherchent ou s’évitent,
Peu les visages et les êtres,
Du présent déserté.

Des maisons autour,
Où l’alcool coule,
Excentrés du monde on se soigne.

On apprend à ne plus se reconnaître,
Faits de l’usure du temps,
Chacun traîne son histoire.
Il y a l’érosion et la coupe des arbres.
Peu les visages ou fuient les visages.

Ce sont les choses qui sont ainsi,
La route qui nous traverse.

On n’y peut rien, passé la porte on esquive,
On feinte la mort,
Nous pallions.

De ne pas choisir son costume,
On repousse la fin qu’on sait.

Les mots présents, il faut sortir.
Les visages que l’on cherche,
L’absence passante.

Le labeur de la terre est interdit aux fous,
Des faces sans âge se marrent, marchent,
Rient les allures parisiennes de croques-mitaines égarés.

On s’arrête,
On dit bonjour.
Le travail a disparu comme la ville.
On distille,
On se présente.

Même destinée, la terre ou la forge,
La clef sous la porte au matin.

Des êtres traversés,
où l’écart est creusé.

Et je creuse, village errant.
Chicanes, le lieu ici.

L’histoire rouge
Hors société dite
Nous déshabitons.

Dans la nuit tombent des casseroles,
Des poutres, des briques,
Glissent du ciel des machines à laver.

Du cinquième étage la poésie opère,
laisse tomber, se déleste.

Dans la nuit tombent des hommes,
trébuchent sur les murs de la nuit,
se cognent frôlent s’éraflent puis oublient.

La nuit des temps tombe et se termine.

Aboie, déborde, médite. Autour.
Visage esseulé, écœuré, amplifié, ampoulé.
Visage coupé en deux moitiés du centre.
Tranchée visage.
Creusé recouvert. Tâche ronde recouverte cercle peint.
Visage écran.
Surface mentale pleine fragmentée.
Visage esseulé.

Nous détruisions nos cabanes,
Il fallait éparpiller ses fondations,
Ne pas laisser trace de notre plan,
Rendre ce que nous pouvions,
Devenir invisibles.

Une cité de campagne, quartier, demi quartier,
Murs contre murs,
Cloisons faibles, lotissements,
Hlm, Cité rond point,
Quartier fini, Quartier rebut,
Périphérie proche, panoptique d’habitation,
Location passagère transitoire,
Où beaucoup restent, mouroir.

Chaque maison a vue sur l’autre.
Chaque désespoir patiente la cassure voisine.
Chacun célèbre la folie par la fenêtre.
Ou le tube la télé.
Le coup de hache ou la défenestration.

Les enfants s’ennuient, ils se battent.
Ils frappent fuient les coups.
Ils brûlent un champs.

Apprennent à se défendre,
à se planquer.

Chaque jeudi le camion bleu porte les fruits,
Fruits secs, graines, légumes.
Chaque jeudi midi un klaxon au centre du quartier petit.

Souvent le samedi soirs ou la nuit
Un nouveau drame une flambée de bruit.
Souvent la même adresse ou une autre.
Chaque maison a sa porte, son pignon.

Les nouveaux,
Suffisamment grands pour sortir de leurs murs,
Guettent dehors,
Le pignon de l’autre.

Ici, chacun sa porte, son entre, chacun ses murs,
Sa misère derrière, chacun a ce qu’il sait.

La voiture chère en face sort une fois l’année.
Le reste du temps c’est sous un draps, au garage.

Au garage les provisions de patates et de pommes.
Le garage précède la cave.
La cave lieu secret.

On fait des tours au centre,
Du quartier en demi cercle.
On suit la route, en rond.

Parfois comme en prison on entend hurler autour.
On espère que ça n’ira pas trop loin chez nous.

Milieu d’après midi, coma sur la table de la cuisine;
vieux tombe imbibé devant femme et enfants hilares:
Gyrophares.

Il y a des nomades sédentarisés.
Un bateau dans un garage.

Il y a la solitude commune,
Les visages de cinq continents.
Nous partageons la même attente, le même gymnase,
Souvent les mêmes jeux.

Parents immigrés ou émigrés,
Jetés là à l’usine,
Pour construire il y a trente ans,
Pour livrer aujourd’hui,
D’une ville à l’autre,
D’un département à l’autre,
D’une région à l’autre,
D’un pays à l’autre,
D’un continent à l’autre,
D’un travail à l’autre,
D’une fin probable.

Usine de remorques,
Champs, vérins, palettes,
Champs, voitures, chômage.

Travail à domicile:
Sans âge requis;
Couper le polystyrène,
Le mettre dans le carton.

Le nouveau collège est à côté,
Du petit et du grand quartier qui se font face,
Et affront.

Le nouveau collège est à l’image de la cité,
Carcérale, circulaire,
Ennuyé.

Nous nous blottissons dans de petits lotissements,
Nous nous haïssons.
Nous blottissons nos petits haïssements.

On fait mine d’un dehors et d’un dedans,
Les portes sont les mêmes.
On se garde de tout savoir,
Si vous saviez.

On nous range.
On ne sait pas très bien où se situe le monde,
Notre commun est l’invisible.

On s’occupe,
On se fait casser la gueule,
On joue à la console chez ceux qui en ont,
On éclate des prunes contre les murs,
On laisse des traces malgré tout.

Devant l’école le soir,
Les policiers présents ont un logo en forme de bombe,
à l’arrière de leur voiture et sur leur veste.

Nous nous demandons pour qui ils viennent.
Ils reviendront, ils seront là, sans pourquoi.
Nous nous demandons pour qui ils se prennent.

On surveille de la même manière
Une guerre ou un match de foot,
On encourage on vocifère,
à rebours, on imite les images qui nous parviennent.

Comparaître devant chaque matin,
Se mettre de côté.

D’aucuns ne cherchent ni salaire ni emploie,
Nous en sommes.

Ils quittent les postes, les fonctions,
Occupent le silence,
Ne répondent plus aux attentes,
Aux menaces aux injonctions,
Ils sont déjà disparus.

On dit que nous sommes l’échec de votre modèle,
Nous nous dissimulons dans l’oublie.

On ne dors pas serein,
On se tient prêt, au cas où.

Devenir un sujet quelconque,
C’est ce qui est écrit.
Une suite de présents simples,

Recommencer, débuter encore.

On occupe les brèches entre les espaces définis.
Nous multiplions les centres, déplaçons les marges.
On nous fait rejoindre le ban.
Nous payons de ne pas avoir le choix.
Nous nous échangeons des copies de l’abondance.

On s’engage dans la mort,
Il nous reste 3 vies,
On sauvegarde.

Nous forçons les portes,
Pour entrer comme pour sortir.

Quartier, placard, non lieu, parloir.
Clé, lot, lopin, enclos.

Un lotissement est une somme de divisions,
Une suite de divisés, de ménagements communs,
Nous partageons les mêmes murs,
Supportons les mêmes cages.

Nous concourons les mêmes lots,
Jouons nos sors,
Manquons des mêmes mots.
Creuser à la pioche, déblayer, serrer le chien,
Tenir la crosse, jusqu’à la glotte.

La nuit une voiture a cogné un faon,
Il était mort à midi et sa chaire et son sang sec,
Inerte dans le fossé de la route longue qui mène au bois,
Ce récit n’est pas une image de mode.

On coupe le mouton dans la baignoire,
On partage les Chebakia, les Briwate,
Les Chevilles de gazelles.

Nous frappons d’une porte à l’autre.
On ne sait pas d’où nous sommes,
Nos histoires se font.

Il faudra repartir, détruire ce qui a été construit,
Rompre les liens, les affinités, apprendre à quitter.

Plier les linges fermer les caisses,
Regarder les voitures passer.

Pour voir les choses s’arrêter,
Couper les routes, faire des vagues.

Le hash nous éteins.

Au début le bout est secret,
Puis il devient moteur,
Puis il devient commun,
Puis le bout devient enclos,
Puis le bout devient le puits,

Tout au fond, sans eau,
On regarde le ciel tomber.

Justin Delareux

 

/////////////////// Autres documents

 

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par Justin Delareux
L’effondrement comme le mot c’est ce qu’il reste. Il aimerait se détacher de l’actualité un peu, il veut se détacher de ce qui le sépare de lui même. Plus les jours passent plus les jours s’entassent. Il dit qu’il n’est pas actuel. Rien ne passe en définitive.

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On va faire quelque chose qui ne se verra pas dans un endroit où il n’y a personne.

par Nathalie Quintane / Ce texte a été publié dans un volume du CNRS, sous la direction de Catherine Brun, Guerre d’Algérie. Les mots pour la dire, CNRS éditions, 2014.