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Nuit du 17 août (suite)

…de cet oubli, que rien n’atteint…

Cet oubli, incessant, demeure dans le fond et tourmente mes gestes jusqu’à leur faire perdre tout sens.

Ces nuits dont je ne sors pas, une seule pourtant, celle-là. D’elle se répète infiniment ce que je me souviens d’ignorer au passé. Je m’organise une terreur à la mesure de mon corps. Et mon corps impropre à cette mesure élabore une multiplication de lui même. Aussi je vais de terreur en terreurs. Je promène et exhibe des corps issus de ce que j’essore et absorbe. Cette prolifération fait de nous seuls un lieu. Ces autres, errant de pièces en pièces, me regardent et me parlent. Je retranscris dans la nuit leur parole confuse. Ainsi suis-je prononcée sans le nom. L’œil qui s’abîmerait à voir cela se priverait de son propre mouvement et se condamnerait à revenir sans jamais parvenir à entrer dans l’image que nos corps déploient. J’œuvre à devenir et leur ombre et leur peine. Prolifération. Je suis ce qui les hante.

Ce qui s’expose ne vise qu’à priver l’autre autant que je suis privée de moi. Je suis le devant et le derrière de ces corps. Je tourne autour. Je les projette de moi, ils s’infinissent. Ils sont ce qui me hante et m’écrit. Je suis un revers qui se retourne sur son propre mouvement. Je n’ai pas de langue propre pour cela. Je ne fais que rende ce qui est dit.

Ce qui ne cesse de faire tourner langue et pensée : liquides et fluides. Il y a dans ce mouvement, ce moment, le corps plombé et la pensée défixée du centre de gravité. Ce mouvement contraire est lui même un dédoublement du corps. L’élévation et la chute. Liquides et fluides : cette possibilité enfin de donner ce que j’ai et ce que je n’ai pas et que l’autre prenne et ce que j’avais et n’avais pas. Je n’ai que ce désir et il me ravit du désir.

Qui es-tu ? Je ne me souviens pas de toi. Tu es là, accoudé à mon bras, tu me parles encore et je ne me souviens pas.

Ces voix qui ne cessent de faire muer mes jours en siècles assombrissent en moi ce qu’elles ne peuvent supporter de la lumière.

Je te cherche. Tu me refuses un nom. Tu frayes dans les ténèbres et j’attends que la fatigue te prenne pour te surprendre enfin. Je tourne et tourne sur mon revers jusqu’au tu.

Je vis sans mémoire. Pourtant quelque chose continue de porter mon corps et de l’orienter. Il y a en lui un reste non soluble, une chose très ancienne et qui possède ce savoir de lui, et le lève et le couche. Un nerf se tend du pied à la hanche et trahit ce reste qui n’a été ni désintégré, ni même exténué, et le fait graviter dans l’air et m’exténue et me vide.

Et l’exténue et le vide. Ce qui passe en moi, ces autres dont je suis la projection et la parole. Me divisent et me ressemblent. Nos gestes et nos bouches s’assemblent jusqu’à la haine qui nous était promise. Diffraction du sens et profusion des corps. Quelle étrangeté pour ce qui semble être un châtiment sans raison.

Une chose très ancienne, j’y toucherais presque. Ce temps, lorsque le souffle se suspend et me sépare de moi. L’imminence que cela me revienne. Cela se tenait sur mon bord. Je ne sentais plus. Je ne voyais plus. Ce que je ne pouvais ni voir ni sentir passait cependant en moi et me réalisait. Je me tenais à peine, sur le seuil que je ne pouvais franchir. Être si prêt de, et pourtant rester en-deçà du monde visible. Si je ne suis pas passée outre, cela est passé en moi. Cette imminence soutient secrètement mon être et le noie.

Mais, quel horizon, ce restant dans ce corps peut-t-il encore percevoir ? Cela que je ne vois pas. Il n’y a plus rien, justement cette chose (jusqu’à l’oubli de soi) va et étonne.

Il m’arrive de me surprendre dans le corps d’un autre. Chacun de ses gestes prolonge ceux que je ne peux plus commettre. Ce corps me devance. Je m’y jette. Je m’y confonds et lui donne en retour ce qu’il ne pouvait voir de lui. Il arrive que je sois alors de l’autre sa répétition effroyable, son gouffre. Je l’incorpore et je le produis sous ses yeux. Chacun de mes gestes commet ce qu’il ne pouvait plus prolonger de lui-même. Je suis sa propre fuite. Et il cherche son image comme en moi retenue.

Me répétant sans fin.

Que s’est-il donc passé pour que tous mouvements de corps s’achèvent sur l’évidence de ma propre ignorance ?

Me répétant sans fin.

Tant de miroirs et tant de peines

Tant de mots à ne pouvoir rien faire, ni à pouvoir rendre ce visage que je voudrais pourtant voir et toucher. Me circoncire la face est parfois une obsession que j’ai de moi, et, il faut bien que j’effectue régulièrement un geste tout autre, allant vers l’en-vers, pour que cela ne se fasse pas. Il me faut bien cette lente rumination du corps pour préparer son affaissement. Cette tâche qui augmentera mes nuits en une seule. C’est une chair effondrée, à la fin, qui se portera à la face du monde ; le masque ainsi fait.

Je vis quelque chose qui n’est pas moi et qui pourtant se joint à un mouvement qui me parcourt et me jette : faite ainsi

jusque dans l’ignorance de ma propre existence.

Il arrive parfois que les sensations restées sans forme repoussent les frontières de l’en-deçà et gagnent le champ du visible. Elles surgissent des endroits desquels elles étaient comme recluses et incertaines. Ce franchissement les convertit aux images. La conversion de ce milieu à cet autre, brouille la surface sur laquelle je me tenais. Ce qui était en-deçà de la forme se grippe sur la lumière et contamine le sens. Cette poussée draine dans tout le corps des images outrageantes pour nous assimiler de force, pour que nous convenions à ce qu’elle montrent de nous et d’elles. Ces images ne modifient pas seulement notre respiration lorsqu’elles se diffusent, elles participent, dans leur prolifération, à nous constituer des formes qui maudissent nos lendemains et préparent nos visages. Elles affolent nos douleurs et nous y abandonnent. Les choses du rêve obligent.

Que de honte, faut-il vraiment qu’elle nous pourchasse dans le sommeil, nous, déjà si misérable et coupable. Le sommeil, n’est-il pas suffisamment puissant pour l’écarter ? Lâche, il la convie à la table du grand travail car il est faible et impuissant à ses menaces.

La honte s’ajoutant à la sueur. Et celle-ci, il est écrit, qu’elle survit à la mort. Elle peut donc tourmenter comme il lui plait.

Il y a cette ombre tapie dans les miroirs et les vitres. Que fait-elle de moi quand je me détourne d’elle ? Quelles attaques prépare-t-elle ? Je circule ainsi chez moi, le dos contre les murs, prête à me défendre. Je surprends parfois un bras qui se tend pour me saisir. Cette main qui s’arrache des surfaces pour obliger le visage à se rendre.

Ainsi faite je me divise dans l’espoir que je me trouve et me multiplie comme autant d’images qui me perdent à nouveau.

Celui qui nous regarde, ne nous rendra jamais à nous même. Nous poursuivons son regard pour retrouver ce que nous avons perdu de nous et qui ne nous sera jamais rendu. Et ce que nous avons perdu, nous ne l’avons, finalement, jamais possédé. Et si nous sommes possédés par son regard, c’est que nous n’avons finalement jamais été fait que pour qu’il vienne en nous et nous chasse. Ce qui se donne de nous et que nous ignorons, se donne. Ce qui s’imprègne dans le corps de celui qui regarde ne redonne pas au corps un corps. Il nous dérobe tout au plus et déjà fait de notre présence l’empreinte du temps remise à l’histoire. Cela doit pourtant rester comme en travers du corps de l’autre. Là, où nous pensions nous ajouter, nous nous soustrayons. Nous pouvons seulement imaginer mais jamais assister à notre propre image en l’autre retenue. Un jour, il n’y a plus personne à se presser en nous et nous sommes confisqués au présent.

Ma longue veille décante du sommeil. Ma chair rincée se confond avec les draps humides. Durée sans contenance. A exsuder autant et ne pas encore sombrer. Il me faut avoir l’agilité du somnambule pour mouvoir l’espace et les corps qui se libèrent avec l’ivresse.

Sa puissance était grande, la fureur gouvernait, l’ivresse était mauvaise. Il a décidé de moi tout ce temps. Nous sommes allés jusqu’à plus rien que cette agitation.

Il faudrait peut-être tenir son moi en laisse et le promener à travers la langue. Le mettre au pieds et au pas et lui faire faire de belles roulades et le beau en société. Une fois à la maison lui donner son sucre. Le malheur du mien est qu’il ne fait ni le beau ni de belles roulades et vole son sucre.

Par où reprendre cette vie ? Aurait-elle commencé ?

Cet état de dissolution, cet écœurement, cette nausée qui monte et ne part jamais.

Par quelles fenêtres se pencher et voir le monde ? Et, où sont les fenêtres qui laisseraient entrer le monde ? Noir, tout est si noir et si sombre. Plus rien ne donne encore de quoi effilocher ce jour et de quoi pousser la nuit plus loin qu’elle. Pourquoi cette pièce sans ouverture et ce corps enfermé. N’y a-t-il pas de relation entre moi et le dehors que je pourrais filer le long du jour ? Quelles sont les peines à compter qui donneraient à la durée un temps et ce temps de quoi tenir encore et poursuivre. Plus rien pour ce corps, plus rien pour fuir cette misère que je fais de moi.

Qui me prêtera son corps pour que je sache enfin ce qu’est le monde ?

Finie la joie! Ne s’est-elle pas oubliée dans un autre corps que le mien ?

Quelle est cette attente? Une disparition sans limite et qui, au fur et à mesure, prend une ampleur que je ne mesure plus mais que je sens et que je vis. Je voudrais deviner ce que j’attends et qui ne reviendra plus.

C’est une chute, assez longue et sans sol pour la connaître.

A boire autant que se passe-t-il d’autre que ce plaisir de se défaire et d’avoir à la bouche cette certitude que cela indiffère et d’en finir une fois pour toute avec le lendemain. N’y a-t-il pas une certaine joie à savoir que le visage s’écroule sur lui-même aussi vite que la pensée, que ni l’un ni l’autre ne tente de se tenir l’un l’autre, qu’il n’y a ni l’un ni l’autre pour se sauver la face. Serait-ce donc une joie que ce ravage ne mène nulle part si ce n’est à une solitude plus grande encore. Que cela épuise et épuise tout ce qui nous habite et tous ceux qui nous côtoient. Que ce visage peut encore s’effondrer un peu plus puisque les regards se détournent et que nos mots tournent mal. Puisque je parle à des êtres non visibles plus qu’à n’importe qui, parce que les êtres de chair visibles profèrent des injures et me remettent à l’endroit inverser puis s’enfuient. Puisque je serai seule dans les matins avec cette ruine de chair et de mémoire. Jusqu’à ce rien-même il faut une certaine joie.

L’excès qui nous fait dire trop endette. Et il faudra beaucoup d’histoire pour s’acquitter. Or chaque histoire ruine un peu plus.

Je pratique un art divinatoire qui vient ajouter à ce que je vois ce que je ne voyais pas. Mes jours peuvent se décider ainsi. Par ce jeu qui consiste à mettre côte à côte des objets de différente nature. Je mets en évidence l’inadéquation qu’il y a entre la première chose et la deuxième chose, puis je fais par imagination et analogie des ressemblances entre elles. Je lie les choses au temps et les choses deviennent ma vie. Je fais venir des mystères, ils préoccupent ce qui était abandonné en moi. Je me suis constituée une série de 52 portraits familiaux et dans mes heures de grâce je me tire ces cartes pour vérifier que ma destinée achève bien les lignes familiales de mon visage. Ainsi je me peuple de signes et, ma traverse en ce monde, s’effectue par ces déchiffrages qui occupent tout mon esprit et donnent aux jours des manières de carte et de plan. Ainsi le jour peut devenir un relief où m’accrocher et me suspendre.

Je cherche un signe qui emporterait tout le sens. Il arrive que je ne sois plus dans les signes que je fomente.

Dans les temps anciens, quand les signes s’absentaient, quand plus rien ne parlait à l’esprit des hommes et que ceux-ci avaient une demande à faire pour conjurer un mal. Ils se rendaient dans le lieu propice aux fumées et aux vapeurs. Ils marchaient le temps qu’il fallait et se présentaient de face. Ils disaient ce qu’il fallait dire et faisaient ce qu’ils fallait faire pour que la parole vienne. Les mots n’étaient pas encore de nature humaine mais de nature divine. Ils ne se faisaient pas en vers mais en forme pauvre et le corps de la parole n’était qu’une bouche dans laquelle soufflaient les dieux. Dans ces temps anciens les hommes n’attendaient pas de savoir ce qu’il fallait accomplir mais ils venaient pour savoir ce qui s’était déjà accompli en eux bien avant les naissances. C’était un temps où nous étions pensés par les dieux. Nous étions l’infinie matière dans laquelle ils trouvaient enfin de quoi s’accomplir. Quand les dieux s’écartèrent du monde des hommes, la parole commença sa nature humaine et dut trouver une forme pour que l’homme s’accomplisse en elle. Les dieux ne soufflaient plus dans les corps et la parole humaine se traduisait de l’homme à l’homme. De cet écart et de ce retrait, nous avons reçu un corps inachevé fait pour entrer dans l’histoire. Il reste cependant en lui la trace de ce qu’il fut, cette matière soufflée. Et nous pouvons encore entendre de son corps, cette rumeur infinie pleine du bruit et de la fureur des êtres, elle, qui passe en toute bouche et le fait parler.

Quand la terreur est trop grande, que je sens les bêtes noires et mauvaises rôder, je m’agenouille et supplie. Faut-il qu’on soit livré aux angoisses comme aux bêtes ? Avons nous encore des mots pour ne pas être dévorés par elle ? Mais qui pour entendre et vers qui prononcer supplication et détresse ?

Le corps se souvient et s’agenouille et supplie. Muet, il sait peut-être.

Quand je sens que le sommeil est proche et qu’il va me ravir, je me mets à craindre tout ce que j’ai agité de fantômes et de magie. J’enferme les images photographiques dans une boîte à chaussures. Je les tiens à l’écart de moi. Je leur demande de se taire et leur promets une offrande. Pourtant, je ne peux m’empêcher de croire qu’elles sortent et s’animent pendant mon sommeil, qu’elles me regardent dormir et me jettent des sorts. Je leur suis offerte, elles se dévouent à toutes leurs manigances. C’est toujours quand on se détourne d’elles que les puissances obscures agissent et ne trouvent comme victime que celui qui les avait convoqués. Elles guettent et empestent mes nuits des désirs refusés le jour. Elles jettent du sel à midi dans ma bouche qui se tait. Elles ont grand soin pour moi. Et leur activité coutumière consiste à préparer onctions et remèdes. Elles ouvrent ma bouche et recrachent le breuvage. Elles préparent mon corps à un mal mortel et se déposent sur lui.

Je m’agenouille et supplie. Je cherche un mot qui ne reviendrait pas. Je cherche à faire taire plus loin que le silence et à former dans cette cavité qui ouvre le visage, une masse qui l’emplirait et l’étoufferait. Cette masse, toutes les plaintes du monde en ma gorge.

Les monstres de peine trouvent en nous une existence plus vivace que dans le monde imaginaire. Ils vivent dans nos pupilles, dans le muscle de nos langues, mangent à nos tables et prennent le bain avec nous. Ils œuvrent chaque jour à nous offrir leur terrible douleur et à nous habiller avec. Sans doute sommes nous moins seul que ce que nous affirmons. Que serait nos vies sans leurs fureurs et leurs gémissements ? Ils nous servent et toujours ils sont là.

Ils prennent nos regards et s’éloignent

Ils vivent tapis dans les endroits ignorés de notre corps, ils font de toutes choses une promesse de repos, ils font de toutes promesses une chose vaine. Ils poursuivent en nous ce patient et long travail d’exténuation, à cela rien ne sert, ni supplications ni médecine ni douceur. Monstres de peine.

Ils prennent nos regards et s’éloignent.

Soudain, tombés de la nuit, les monstres de peine déchirent les fils brodés à mes paupières pour aller rejoindre la lumière de l’aube et faire un tout autre tissage. C’est une lente et obscure conjuration qu’ils mènent hors de mes yeux.

Ils prennent nos regards et s’éloignent, les enferment dans une chambre, ils les contemplent et nous aveuglent.

Bientôt mon corps assoupi et abandonné. Ils viendront jusqu’à moi, s’étendre et mêler leur souffle à mon souffle. Ils me murmureront ce que je sais tenir pour terrible et feront de mon sommeil, un vêtement de fils et de nœuds. Leurs mains de dentellière travailleront au patron donné par le jour : les cris enfouis sous la robe d’été qui se soulèvent (mains d’homme), les peurs d’enfants prisonnières des statues muettes (nous observent), l’abjuration que produisent les lumières (grouille dans les paroles mensongères), les remords dans les miroirs (les hontes que toujours plus de crimes surmonte). Ainsi mes nuits assises et repliées, elles, qui font du corps ce vide, cette angoisse.

Ils emportent mes yeux dans la chambre et ils aveuglent mon sommeil.

Ces monstres de peine que je rêve et qui me rêvent me produisent dans une réalité qui se confond avec le songe. Ils savent redonner au terrestre qui se penche dans l’obscurité un soleil qui illumine et tourne autour nos angoisses.

Ils emportent mes yeux et s’éloignent dans leur jour. Leur jour est ma nuit. Ils m’enferment dans une chambre et aveuglent ma mémoire.

Quelque chose se souvient en moi, une chose à laquelle je n’ai pas accès. Ce visage, peut-être.

La stupeur que j’ai de la nuit déchirée par des cris non contenus. Ils se déversent dans les rues et propagent leur provenance sur chaque mur, entrent dans les maisons et remuent les chairs assoupies. Ils se propagent jusqu’à ce que la sensation même de leur provenance disparaisse. Ils acheminent leur trajectoire en nous. Ils demeurent là. Je m’entends. Je me vis sur mon bord et par les fenêtres ouvertes. Je suis là-bas dans cette bruyante étreinte. Il me semble que j’assiste à quelque chose de moi en l’autre, dans cette nuit retournée par l’effraction du désir. Un miroir sonore me compose dans un instant à rebours. Dans cette nuit qui ne souhaite pas se finir se reconduit par cette étreinte, de plaisir et jouissance, ce qui m’étreint et m’entraine et me propage.

Ma traverse en ce monde, ce visage…

Ce visage qui se referme peu à peu sur lui-même, se retire de moi. Il se pourrait bien que les mots sans croyance et les mots qui sauvent la face ne produisent que cette inévitable noyade des êtres. Les retirant à ce qui se partage. Comme s’il fallait cette nuit pour voir ce visage se refermer définitivement, emportant avec lui l’image implosante d’un monde fait pour s’éteindre. Je ne sauve pas mon visage de la ruine qui l’attend.

Le monde se redonne alors tel qu’il ne sera plus. Se poursuit malgré tout. Dans cette étreinte s’étreint ce qui s’éteint.

Où suis-je ? Dans chaque chose. Ailleurs, à toutes les fenêtres, présence et face nues.

Ce qui m’étreint dans cette nuit ces corps anciens et révolus par l’histoire. Ce qui se presse d’eux en moi et me fait parler et assiège le repos,

récuse le jour.

 

Hélène Bordes

première partie de ce texte : ici