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Renverse (I)

Extrait d’un récit à venir, Renverse.
par Amandine André

A Mohamed Al Tayeb

 

… et tu sombres dans le sommeil emportant le monde sombre aussi vers le navire qui dans sa trajectoire soulève et heurte les corps noyés maintenant pris dans les mailles du filet de pêche qui du fond de la mer remontent à la surface et tout sera jeté sur le pont, hommes poissons déchets vieilles coques tronçons de bois algues, cadavres d’hommes maintenant remorqués que les remous portent au bordage, seule la mer dans son infini mouvement pleure ce qu’on lui retire et ses pleurs allant jusqu’au ravissement de sa puissance sur ces corps qui ne pouvaient pas traverser cette eau, sans que le sel s’abîme sur les corps pendant que la fin du jour les accompagne sur les plages au loin échoués avec les épaves maintenant refluées sur le sable quand après jours et nuits sans différence ils se tenaient amassés à fond de cale et que boire et manger se tenait sur les hauteurs du jour accru et du ciel si haut pour leurs ventres si bas touchent maintenant le sol au loin le regard se pose sur ces choses parmi les choses ne sont plus les fruits étranges d’hier mais ce que la mer n’a pas gardé de leur passage ce dont il n’y a plus personne à vouloir et à pleurer et à espérer, sans qu’il n’ y ait plus personne pour s’étonner que ces figures noires du sud repliées au nord échouent avec le matin sur les côtes et qu’il faut les enlever avec les algues, les bêtes mortes, les déchets et le fuel des bateaux se mêle aux choses et aux plumes des oiseaux décrochant le regard de la roche à la terre encombrée de corps et de ciels trop étroits décrochant le regard au regard plus lointain encore de l’homme qui se baisse à la recherche des choses du sable et de la mer, la face prise entre le soleil et la terre de peau à cuir tu sais a subi comme toutes choses ici, le sel et le soleil, ici, comme toutes choses, métal des rambardes, calcaire et granit de roches, verticalité des falaises, bois des haies, verre de fenêtres, le sel et le soleil, les corpuscules que le vent porte et avec lesquels il touche l’ossature de toutes formes et change la forme en formes, agit sur toutes choses, la courbe des paupières la chaîne des bicyclettes, oxydant le fer en rouille et la rouille se prenant dans les choses comme dans notre langue et nous oxydant comme chaque chose d’ici et quand vers le matin nous allons par les rues et dans les maisons prendre ce dont on ne veut plus et récolter chiffons, papiers et peaux et que nos mains enflées par de fins éclats de métal ne servent plus qu’à faire pousser le déchet hors du déchet, et à trier et épuiser le jour avec le corps quand celui-ci se rompt sous la charge, ne laissant plus que la masse de chiffons et nous allons marchant le long des plages longeant le temps, l’enfilant et le défilant et le défilant le filant à tout autre chose, le long du temps que nous suivons à travers ossements, peaux et plumes, troupe d’immondice propre à nourrir de nouveaux ventres, et chaque fois relayant le même geste, la main du sol vers le sac et du sac vers la table de tri, nous retirons le reste aux restes et des restes de quoi vivre, dans le crin, la soie de porc, les métaux et les peaux nous faisons le passage entre un monde déchu et un monde encore là, la tête baissée, la tête redressée, tout corps courbe vers la pauvre chose pour laquelle une main trouve encore de quoi prendre et de quoi faire et pauvre chose pauvre parmi les pauvres choses celle qui ne parvient plus ni à la main des corps courbés ni au monde des choses anciennes passant vers le monde nouveau qui ne trouve même plus une main pour vouloir d’elles et qui reçoit de cette main abaissée un geste sans retour la tenants à jamais à l’écart du passage, sans plus de monde, il arrive aussi, il arrive encore qu’il y ait plus bas que l’immondice, une région obscure reléguée au tout autre, avec laquelle vivre est impensable comme ce qui est impensé peut faire horreur et l’horreur ne finit pas éparpillés sur le sable certains sont les uns sur les autres d’autres gisent à l’écart, seuls, encore, ont-ils jamais étaient autrement que seuls et abandonnés, il arrive aussi que les choses aient un corps quand bien même il serait celui dont personne ne veut ni voir ni toucher ni parler, un corps aussi bien vivants que morts, nous savons si peu, nous ne savons rien de leur passage que déjà leur corps collent parfaitement à la terre et que les voici absolument eux-même et à peine les aurait-on vu, si par un événement cela aurait eu lieu, qu’ils nous échapperaient, à jamais gouffre noir de toutes les peines et de toute la misère, l’homme noir du lointain, maintenant recouvert de sable et d’algues, qui aura tant et tant imploré et ce pendant sept jours et six nuits, chaque prière muant le sel en sel et le sel muant la prière en sel dans la mer mauvaise, pas plus mauvaise que la terre quittée ni plus mauvaise que la terre espérée, non, pas plus mauvaise qu’il aurait voulu être mauvais pour elles toutes, mauvaises seulement, dans le ciel trop étroit quand la mer s’engouffre dans le bateau le faisant disparaître et emportant hommes ciel terre avec elle, pourtant au loin, quelque part, un chant persiste et jamais nous cédons aux chants des mers quand celles-ci assènent de plonger, seulement, il faudra bien se jeter, un jour il faudra bien y plonger comme la main plonge vers le sol et relève les choses, l’air et le sel taillent chairs et surfaces, rayent, creusent, rongent et prennent toutes choses qu’ils rendent écharnées aux becs des oiseaux dans le soleil de midi et midi bascule,

Amandine André

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DSC_0064bisRenverse (II)

Extrait d’un récit à venir, Renverse.
par Amandine André

la cendre et l’air unifiés, c’est pour cela que je suis venu et que je vais encore venir et te poussant te voilà adossée au mur gris dans lequel reste encore un bleu ancien, le poids des épaules descend dans le bassin et t’abaisse un peu plus vers le sol

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L’écriture est cet espace toujours irrigué de toute part, qui vient étendre l’espace littéraire, qui touche à l’extrémité. Cet entretien accueille la parole de François Bon et raconte sa traverse de l’oeuvre de Collobert, d’une époque… Danielle Collobert, née en 1941 et morte en 1978, publia Meurtre, Dire I et II Il Donc, Survie..
Entretien radiophonique : Amandine André
Réalisation : Emmanuel Moreira