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Catherine Diverrès, abandon et retenue

Entretien en deux mouvements avec Catherine Diverrès, chorégraphe, à propos de Stance II et Ô Senseï. Enregistrement réalisé lors du festival Dansem à Marseille.

Réalisation & entretien : Emmanuel Moreira

Stances II

Solo de Catherine Diverrès, créé en 1997 sur « La Terra di Lavoro », texte écrit et dit par Pier Paolo Pasolini. Après l’avoir transmis une première fois en 2001, elle le transmet de nouveau à Carole Gomes, puis à Francesca Mattavelli.
C’est donc une danseuse seule, pieds nus et vêtue de noir, qui investit le plateau alors que la voix de Pasolini égrène son texte et que le violoncelle joue et gronde. L’espace s’ouvre, découpé par les lumières et les ombres forgées par Marie-Christine Soma qui créent un univers mélancolique et profond. Et les mouvements se forment, larges, sculpturaux, mêlant expressionnisme et abstraction.
« Stance », étymologiquement, désigne une forme poétique. Et c’est bien à cela qu’invite le solo imaginé par Catherine Diverrès. Un voyage qui possède l’évidence de la grâce, du glissé des pas sur le plateau, de l’ondoiement des bras, du raffinement des gestes. Un voyage intérieur qui inclut l’espace mental de celui qui regarde, qui joue autant du plein que du vide : « stance » vient aussi de l’italien « stanza », qui signifie « demeure » parce qu’il faut qu’il y ait un sens complet et un repos à la fin de chaque stance.
Présence sombre dans son apparence, et lumineuse dans son mouvement, Carole Gomes invite ainsi à une cérémonie mystérieuse, qui en appelle autant aux forces de vie qu’aux gouffres qui menacent, habitée par une profonde intériorité.
La danse se déploie, dépouillée, à l’ombre du soleil noir de la mélancolie.

 

Ô Senseï

Pour la première fois depuis quinze ans et la création de « Stances II », Catherine Diverrès remonte sur scène pour un solo en mémoire de Kazuo Ohno, maître du buto, cette « danse du corps obscur » qui construit un trait d’union entre le monde des vivants et celui des morts, disparu en 2010 et qui compta énormément dans son parcours de chorégraphe.
Avec un drap blanc en guise de décor, à la fois de toile de fond et surface de projection pour une danse spectrale où le corps se dédouble et semble venir d’un outre monde, « Ô Senseï… » offre une pièce profonde où il est question de la vie des morts, de fantômes, de la grâce du mouvement et de la vie, de transformation aussi. Catherine Diverrès opte en effet exceptionnellement pour une forme discontinue, où elle change de visage, de personnage, de costume, de musique. Tour à tour corps burlesque et pantomime, corps en prière, corps fantôme, corps qui souffre, corps sublime, et corps de l’adieu, Catherine Diverrès explore le tragique et le dérisoire qui constitue le fond de toute humanité. Et si « sensei », en japonais, signifie maître, Catherine Diverrès l’entend comme le « maître à penser », c’est-à-dire celui qui pose des questions et laisse chacun faire son propre chemin. Celui qu’elle suggère dans cette création est fait d’intériorité et de beauté, de retour sur soi et de métamorphose, de douleur et de grâce, de présence à soi-même et aux autres, les vivants comme les morts. Jouant du blanc, couleur de la pureté, couleur des morts au Japon, du noir, couleur du deuil en Occident, et pour finir du rouge profond, rouge sang de la vie et de la blessure, rouge des processions funéraires asiatiques, Catherine Diverrès cherche, souterrainement, et trouve dans un même mouvement. « Quelque chose en elle » danse, palpable.

Voir le solo sur le site de numéridanse

 

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