Extraits de Ici dans ça de Mathieu Brosseau à paraître aux éditions Le Castor Astral en juin 2013
En dehors, je ne les vois pas, ils sont en nombre, je les sens, encore purs, je les sens, encore purs, comme les enfants de ma mémoire et ce que ma naïveté a toujours voulu reconnaître, partout des machines, ce que ma mémoire n’a jamais intégré, partout des machines, plus féroces, plus atroces que n’importe quel être de chair, le poids de leur machinerie, le poids de leur présence, les machines les emportent, les transportent vers quelques guerres, vers les religions déliées, vers ce qui n’existe plus, vers l’aboutissement de ce que l’humain voulait, la machine remplaçant la machine, la machine du corps, l’extériorité, rien !, la translation du corps vers la machine, la machinerie du corps, le corps plus absent que jamais, mais remplace, c’est-à-dire plus présent que possible, et moi sur la route, présent sur la couche de l’espace vide m’absorbant et me dévorant dans toute ma vitalité, je suis poussé par les plantes solaires, palmiers progressant, par volonté de vivre pleinement, c’est-à-dire, par volonté de penser, le rien, dans tous ses organes agissants séparés à chaque pas. On s’organise, autant dire qu’on se laisse faire. Autant dire qu’on devient.
Aucun âge, plus aucun âge, tous confondus en un seul temps pensif, en un seul corps noble les regroupant tous, motorisé par l’énergie des plantes solaires, les enfances mêlées, te souviens-tu de l’enfant dans la pommeraie ? Il n’y a plus d’affaire à prendre, tout y est, la place est prise par l’ensemble des espaces, réunis là, prise au dépourvue dans ma tête, même la possession n’est plus, seule la démonstration est, les vies se nouent, un seul enfant regroupant toutes les vies, aux sexes vibrants, dynamique sous-jacente, la fleur des âges fait vivre les angles de la mémoire, plus besoin d’aucune éthique, plus besoin d’aucun corps, plus besoin d’aucune forme, sinon pour la démonstration, écholalies diverses, maîtrise d’un soi qui se décompose, la trace pour seule mémoire, les chemins ne sont que des moments, les enfances se jouent, sous-jacentes, restant plus vieilles que l’instantanée du corps mouvant, contenant toutes les sources, la bouche contenant déjà toutes les paroles, et qui ne se disent plus, qu’il n’est plus nécessaire de dire, qu’il n’est plus nécessaire de parler, la forme n’est pas dite, laissez-moi donc vivre ce néant !
Impossible, bien sûr.
La seule solution, la seule, fusil à pompe, l’enfant crie là-bas et t’agresse les oreilles, la seule solution, la vraie, fusil à pompe, le vieillard sur le chemin te demande dix balles, la solution, l’unique, fusil à pompe, sur la route, il y a un type qui fait de l’autostop en se plaignant, la solution, la seule, fusil à pompe, en te baissant, tu vois un être petit comme un petit être, il se dandine, la solution, la vraie, fusil à pompe, dans un miroir tu te regardes, tu observes les interstices de la mort dans les rides, dans le portefeuille du visage, tu envisages, la seule possibilité, fusil à pompe, tes mains passent sur ton visage, tu pleures d’avoir trop aimé et mal étreint, tu es triste de n’avoir plus l’esprit dévoué, il ne te reste plus que la route pour éponger la sueur rouge.
Si le corps est un réservoir, s’il est un instrument qui nous nature, pouvons-nous tout dire, tout faire, tout prendre dans le grand n’importe quoi, dans le puzzle de vivre, un corps artificiel nous déshumaniserait-il ?, serions-nous les fronts, les pôles, les univoques sans-façons ? Si l’énergie nous enveloppait, si le corps était un outil, comme la main fait le manuscrit, comme la main, si le corps, si le corps maintenait notre identité, exclusivement, au monde, et que pour en sortir, il faudrait faire feu. Serait-il. Serait-il possible de naître avec son seul corps ? Est-il possible ? Pour obtenir son corps d’artifice ? Un corps de paille et de pierres, tout fait de sable ? Des membres qui seraient tous contemporains les uns des autres (Rire. Les parties hurlent de rire). Depuis toujours, des morceaux de bitume gras forment des caillots à la surface de ma peau. Le fragment n’est pas un objet, il est un principe. Le reste du puzzle est imaginaire. Le corps pense uniquement ce qui est dedans, séparé, sans quoi il ne serait plus.
Oui, change de corps, vas-y c’est ta force, c’est ta chance. Le nouvel instrument te dépossède, rends toi capitaine du nouveau vaisseau. De l’appareil se dégage une sainte odeur d’inhumanité. Enfin retrouvée… de corps et de forme changés, affectivement, les liens soyeux de l’ignorance et de la position se détachent. L’outil reste l’incarnation, mais le mouvement perd contrôle, toujours et encore, s’échappant infatigablement vers d’autres corps à prendre… Sans les posséder, bien sûr ! Tu armes, tu cibles, tu tires, le corps en apparence, tu l’habites, affectueusement, il deviendra bientôt l’outil simple dont tu te détaches, affectueusement pour en retrouver un autre sans affection aucune.
corps habité
troublé par recul,
se retourner,
ne plus y voir qu’ombre,
l’outiller,
figurer son image,
être habité.
Aucune affection sur la route !
Là, ici dans ça, sur la route, se défaire du ça, la nouvelle cosmologie d’un désordre, d’un nouvel ordre, celui de l’antithèse, la tête à la place des pieds, les yeux se ferment à force de vitesse, plus rien du corps pénétré, plus rien du corps génital, non, plus rien du corps, ni vaincu, ni vainqueur, on sait bien que toute littérature n’est que frappe d’images dans le corps, reflets d’ailleurs, l’araignée irrémédiablement extérieure, la mort, toute littérature est histoires de bombardements, réfléchissons donc au double sens des yeux, l’escalier pour y monter, et aussi de la place juste du corps parmi les ombres, les ombres parmi les végétaux, la plante solaire, celle qui corrompt les temps et se place hors-mort, celle qui s’affilie avec les bêtes, l’animalité ancestrale, celle perdue, celle qui s’affilie avec les ombres, celle qui dénoue les histoires, les historiettes du dire, celles de la mémoire, s’il en est, ordre pour ordre, je me fiche bien de ma mémoire, je l’aime bien, celle qui me fait ; me reste l’évidence du rêve à réécrire. C’est la boussole.
On pense la déroute dans sa dimension invasive, d’implosion en implosion, de pas en pas, vraoum, le moteur accélère, je ne suis ni l’homme sur la machine, ni la machine qui charrie l’homme, je suis cette attente hors de toute conscience d’elle-même.
Et puis, tu sais de quoi je parle, les sujets n’ont rien à faire là-dedans, les sujets ont ce mauvais réflexe de se réfléchir, alors, toi, parlons franchement, je te tutoie, ne m’en veux pas, je te suis, quelques instants, histoire de se défaire de soi, bien enquiquinant, ce n’est pas que je te viole, que je t’invagine, c’est juste pour me défaire, histoire que l’action soit dite : sur la route, se trouve l’histoire close de toute sexualité, celle des sujets, l’action n’est plus personnelle.
——————
Extraits de Ici dans ça de Mathieu Brosseau à paraître aux éditions Le Castor Astral en juin 2013.
Une lecture aura lieu le 20 juin 2013, à l’occasion de la parution de l’ouvrage à la Médiathèque Duras (Paris 20è) à 19h30.
Site internet de Mathieu Brosseau : Plexus-S
Dieu est un fragment nécessaire
Extraits de Ici dans ça de Mathieu Brosseau à paraître aux éditions Le Castor Astral en juin 2013
En dehors, je ne les vois pas, ils sont en nombre, je les sens, encore purs, je les sens, encore purs, comme les enfants de ma mémoire et ce que ma naïveté a toujours voulu reconnaître, partout des machines, ce que ma mémoire n’a jamais intégré, partout des machines, plus féroces, plus atroces que n’importe quel être de chair, le poids de leur machinerie, le poids de leur présence, les machines les emportent, les transportent vers quelques guerres, vers les religions déliées, vers ce qui n’existe plus, vers l’aboutissement de ce que l’humain voulait, la machine remplaçant la machine, la machine du corps, l’extériorité, rien !, la translation du corps vers la machine, la machinerie du corps, le corps plus absent que jamais, mais remplace, c’est-à-dire plus présent que possible, et moi sur la route, présent sur la couche de l’espace vide m’absorbant et me dévorant dans toute ma vitalité, je suis poussé par les plantes solaires, palmiers progressant, par volonté de vivre pleinement, c’est-à-dire, par volonté de penser, le rien, dans tous ses organes agissants séparés à chaque pas. On s’organise, autant dire qu’on se laisse faire. Autant dire qu’on devient.
Aucun âge, plus aucun âge, tous confondus en un seul temps pensif, en un seul corps noble les regroupant tous, motorisé par l’énergie des plantes solaires, les enfances mêlées, te souviens-tu de l’enfant dans la pommeraie ? Il n’y a plus d’affaire à prendre, tout y est, la place est prise par l’ensemble des espaces, réunis là, prise au dépourvue dans ma tête, même la possession n’est plus, seule la démonstration est, les vies se nouent, un seul enfant regroupant toutes les vies, aux sexes vibrants, dynamique sous-jacente, la fleur des âges fait vivre les angles de la mémoire, plus besoin d’aucune éthique, plus besoin d’aucun corps, plus besoin d’aucune forme, sinon pour la démonstration, écholalies diverses, maîtrise d’un soi qui se décompose, la trace pour seule mémoire, les chemins ne sont que des moments, les enfances se jouent, sous-jacentes, restant plus vieilles que l’instantanée du corps mouvant, contenant toutes les sources, la bouche contenant déjà toutes les paroles, et qui ne se disent plus, qu’il n’est plus nécessaire de dire, qu’il n’est plus nécessaire de parler, la forme n’est pas dite, laissez-moi donc vivre ce néant !
Impossible, bien sûr.
La seule solution, la seule, fusil à pompe, l’enfant crie là-bas et t’agresse les oreilles, la seule solution, la vraie, fusil à pompe, le vieillard sur le chemin te demande dix balles, la solution, l’unique, fusil à pompe, sur la route, il y a un type qui fait de l’autostop en se plaignant, la solution, la seule, fusil à pompe, en te baissant, tu vois un être petit comme un petit être, il se dandine, la solution, la vraie, fusil à pompe, dans un miroir tu te regardes, tu observes les interstices de la mort dans les rides, dans le portefeuille du visage, tu envisages, la seule possibilité, fusil à pompe, tes mains passent sur ton visage, tu pleures d’avoir trop aimé et mal étreint, tu es triste de n’avoir plus l’esprit dévoué, il ne te reste plus que la route pour éponger la sueur rouge.
Si le corps est un réservoir, s’il est un instrument qui nous nature, pouvons-nous tout dire, tout faire, tout prendre dans le grand n’importe quoi, dans le puzzle de vivre, un corps artificiel nous déshumaniserait-il ?, serions-nous les fronts, les pôles, les univoques sans-façons ? Si l’énergie nous enveloppait, si le corps était un outil, comme la main fait le manuscrit, comme la main, si le corps, si le corps maintenait notre identité, exclusivement, au monde, et que pour en sortir, il faudrait faire feu. Serait-il. Serait-il possible de naître avec son seul corps ? Est-il possible ? Pour obtenir son corps d’artifice ? Un corps de paille et de pierres, tout fait de sable ? Des membres qui seraient tous contemporains les uns des autres (Rire. Les parties hurlent de rire). Depuis toujours, des morceaux de bitume gras forment des caillots à la surface de ma peau. Le fragment n’est pas un objet, il est un principe. Le reste du puzzle est imaginaire. Le corps pense uniquement ce qui est dedans, séparé, sans quoi il ne serait plus.
Oui, change de corps, vas-y c’est ta force, c’est ta chance. Le nouvel instrument te dépossède, rends toi capitaine du nouveau vaisseau. De l’appareil se dégage une sainte odeur d’inhumanité. Enfin retrouvée… de corps et de forme changés, affectivement, les liens soyeux de l’ignorance et de la position se détachent. L’outil reste l’incarnation, mais le mouvement perd contrôle, toujours et encore, s’échappant infatigablement vers d’autres corps à prendre… Sans les posséder, bien sûr ! Tu armes, tu cibles, tu tires, le corps en apparence, tu l’habites, affectueusement, il deviendra bientôt l’outil simple dont tu te détaches, affectueusement pour en retrouver un autre sans affection aucune.
corps habité
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l’outiller,
figurer son image,
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Aucune affection sur la route !
Là, ici dans ça, sur la route, se défaire du ça, la nouvelle cosmologie d’un désordre, d’un nouvel ordre, celui de l’antithèse, la tête à la place des pieds, les yeux se ferment à force de vitesse, plus rien du corps pénétré, plus rien du corps génital, non, plus rien du corps, ni vaincu, ni vainqueur, on sait bien que toute littérature n’est que frappe d’images dans le corps, reflets d’ailleurs, l’araignée irrémédiablement extérieure, la mort, toute littérature est histoires de bombardements, réfléchissons donc au double sens des yeux, l’escalier pour y monter, et aussi de la place juste du corps parmi les ombres, les ombres parmi les végétaux, la plante solaire, celle qui corrompt les temps et se place hors-mort, celle qui s’affilie avec les bêtes, l’animalité ancestrale, celle perdue, celle qui s’affilie avec les ombres, celle qui dénoue les histoires, les historiettes du dire, celles de la mémoire, s’il en est, ordre pour ordre, je me fiche bien de ma mémoire, je l’aime bien, celle qui me fait ; me reste l’évidence du rêve à réécrire. C’est la boussole.
On pense la déroute dans sa dimension invasive, d’implosion en implosion, de pas en pas, vraoum, le moteur accélère, je ne suis ni l’homme sur la machine, ni la machine qui charrie l’homme, je suis cette attente hors de toute conscience d’elle-même.
Et puis, tu sais de quoi je parle, les sujets n’ont rien à faire là-dedans, les sujets ont ce mauvais réflexe de se réfléchir, alors, toi, parlons franchement, je te tutoie, ne m’en veux pas, je te suis, quelques instants, histoire de se défaire de soi, bien enquiquinant, ce n’est pas que je te viole, que je t’invagine, c’est juste pour me défaire, histoire que l’action soit dite : sur la route, se trouve l’histoire close de toute sexualité, celle des sujets, l’action n’est plus personnelle.
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