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Résister à la barbarie qui vient. Entretien avec Isabelle Stengers.

Isabelle Stengers enseigne la philosophie des sciences à l’Université libre de Bruxelles, lectrice de Whitehead, de Simondon et de Starhawk, collaboratrice régulière de la revue Multitudes, et membre du comité d’orientation de Cosmopolitiques.
Elle a dernièrement publié Les faiseuses d’histoires (avec V.Despret) et  Au temps des catastrophes. Résister à la barbarie qui vient, aux éditions La Découverte.

« Je ne nie pas l’universel, j’essaye d’en faire passer le goût ».

La question gustative, l’appétence et la joie pour les problèmes qui font puissance, à même les territoires, intéresse davantage Isabelle Stengers que les thèmes (dits) généraux, tout-terrains, érigés en mots d’ordre (l’Universel, l’Homme, la Science,…). De ces Grandes Questions ayant de fait émergé au sein d’une histoire très particulière, une Histoire majoritaire,… parcourue toutefois d’hétérogènes manières.
Il ne s’agit pas de nier cet héritage mais – traversé par l’effroi – d’apprendre à l’habiter sur un mode à chaque fois singulier qui nous transforme en vecteur actif. Une multiplicité à fabriquer, prudemment. Tracer des lignes de fuite et tenter de nous présenter de manière à ne pas faire insulte à ce qui n’est pas « nous ». Apprendre à se méfier de la bonne volonté toujours prompte à la pacification (policière ou pédagogique) de l' »autre ». Rien n’est plus facile pour un moderne que d’être tolérant, nous dit Isabelle. Stengers dans ses « Cosmopolitiques ».
« Nous » qui sommes pétris de modes de rationalités, de logiques de pensée qui agissent à travers nous, qui opèrent en nous et par nous, frappant nos corps de paralysie et d’impuissance, nous poussant à la résignation ou à la dénonciation. Une sorte « d’initiation noire », dangereuse capture nous poussant si facilement à adhérer à un savoir qui nous sépare de nos communs, de nos sentirs, de nos expérimentations, renvoyés du côté du rêve ou de la sensiblerie. Et ce « nous » est sans cesse compliqué, est toujours à compliquer.
Penser à partir de cette vulnérabilité, raconter cette histoire autrement aussi, penser et agir à partir de ce qui nous attache, cela demande un art, en situation. En finir avec la malédiction de la tolérance et avec l’exotisme, c’est apprendre à hésiter, fabriquer des artifices et des contraintes qui ne soient des limites, quitter le sol assuré du Juge ou du Prêtre, ne pas lisser la délicate question de la guerre et de la paix: affaire de diplomaties, de ralentissement et de faire-attention, de « reclaiming », de protections et de bonnes rencontres dans un monde empoisonné, à même la vase qui monte de manière inquiétante. Créations de possibles qui ne demandent pas à être jugés mais nourris. Et nulle omelette ne pourra justifier la casse des œufs.
Pragmatiste, expérimentale, la pensée agit ici loin des Théories et de leurs effets non assumés. L’importance est conférée à l’efficace, au soin pris à ce qu’un trajet soit bien construit et accompagné. Un faire, une pratique d’instauration, pour essayer de faire exister des propositions comme inconnues non-appropriables, des hypothèses vivantes. Des réussites locales, précaires, qui peuvent porter à conséquence.
Honorer celles-ci, les célébrer, trouver les mots qui font passer leurs forces propres, contribue à nous désenvoûter des alternatives infernales, des ou bien/ou bien qui affaiblissent, des rapides où l’on se fracasse, des écueils où l’on bute, des bancs de sable où l’on s’enlise.

« Nous sommes sur un terrain qui n’a pas été cartographié,
nous créons une politique qui n’a pas encore été définie.
Et pour ce faire, il serait peut-être temps de laisser Martin et Malcolm
débattre ensemble autour de la table du dîner,
en compagnie d’Emma, de Karl, de Léon et tous les autres,
et de sortir dans l’air frais de la nuit. »

Starhawk, Parcours d’une altermondialiste

Entretien avec Isabelle Stengers


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Entretien radiophonique et réalisation : Nicolas Zurstrassen