« Ce qui plaît au Prince a force de loi »
Ulpien, Institutes
« Fondation de droit est fondation de pouvoir et,
dans cette mesure, un acte de manifestation immédiate
de la violence. La justice est le principe de toute finalité divine,
le pouvoir le principe de toute fondation mythique du droit. »
Walter Benjamin, Critique de la violence
Du droit à l’anarchie
Penser l’anarchie en juriste pourrait sonner à de nombreuses oreilles comme une entreprise à la fois originale, utopique et un peu désespérée. Trois qualificatifs souvent accolés au mouvement anarchiste lui-même. Partant, qu’apporte le droit à cette affaire ?
Risquons un constat hasardeux : quelque chose se passe aujourd’hui à propos de l’anarchie. Disons-le empiriquement, sans note de bas de page, ni enquête sociologique : l’anarchie a une presse et elle est plutôt bonne. Envisager l’anarchie, à tout le moins comme hypothèse de travail, suscite un intérêt et l’anarchie ne se limite plus au fait et à la pratique.
Une part de cela est probablement dû à un constat déjà établi :
Ce que l’on appelle, faute de mieux, la post-modernité et l’épuisement de l’esprit à trouver ce qui viendra après la fin de l’espoir en politique et l’arrivée du cynisme ;
les actuelles mutations d’un système politique, dans lequel les frontières entre les différents types de normativités se brouillent (recommandations, injonctions, droit mou, soft law), modifiant si profondément les conceptions traditionnelles associées à l’État ;
l’avènement d’un nouvel ordre économique et politique — que certains ont nommé techno-féodalisme, nous y reviendrons — où la notion de norme vient brutalement questionner les conceptions en vigueur sur le droit et sur la liberté, sous l’effet d’une nouvelle rationalité économique et l’apparition de nouveaux moyens d’action techniques.
Ce constat, ici trop bref, se lit partout.
Ainsi l’attrait qu’exerce l’anarchisme en tant que critique radicale d’un État qui semble avoir unilatéralement modifié, abandonné et perverti certaines de ces fonctions habituelles.
Pratique collective et exercice intellectuel, l’anarchie parait avant tout une manière d’interroger les conditions du pouvoir [1]. Giorgio Agamben a soulevé le glissement, au cours de l’ère moderne, entre deux verbes modaux : le vouloir et le pouvoir, le premier se substituant au second:
« Les verbes modaux ont une curieuse particularité : comme le disaient les grammairiens anciens, ils sont “défectueux de la chose” (elleiponta to pragmati), ils sont “vides” (kena), en ce sens que, pour prendre toute leur signification, ils doivent être suivis d’un autre verbe à l’infinitif qui les remplit »[2]
Questionner l’anarchie aujourd’hui, c’est, en droit comme en philosophie, s’interroger sur un soubassement, un refoulé des postulats sur lesquels se fonde l’État et sa conception de l’ordre. Au-delà d’une réflexion sur le pouvoir comme technique et comme institution, la réflexion anthropologique — saisie par l’anarchisme mais le saisissant également et le transformant — a permis un temps de décentrer la pensée occidentale des conditions modales de son devenir [3]. Derrière le vouloir moderne et les derniers dérèglements de la civilisation marchande, il parait de plus en plus nécessaire de corréler les questions et de se demander : à l’ère du système technicien, que peut vouloir l’individu ?
La revendication anarchiste véhicule un certain nombre d’images encore loin d’être consensuelles : violence, chaos, utopie, etc. Les mutations militantes contemporaines de l’anarchisme (c’est le propre de ces formes militantes d’être d’ailleurs si nombreuses et variées qu’il est impossible de les lister ici) sont également loin d’être toutes connues et approuvées par ceux qui, loin de vouloir en finir avec la domination, veulent en finir avec l’État. Mais il semble qu’une part des conséquences épistémologiques dérivant du renversement du terme d’anarchie — envisager positivement, après Proudhon, l’absence d’arkhé mais également rechercher subversivement, avant Proudhon, une autre histoire du pouvoir — paraît aujourd’hui : ce qu’on a pu nommer l’anarchisme non fondationnel implique non seulement de douter de l’État mais de douter des principes et de leur caractère hégémonique [4].
On sait que certains partisans de l’anarchisme, courant qui s’est défini avant tout comme pratiques et qui s’est méfié de la théorie dans ce qu’elle a de systémique, pourrait opposer une résistance à l’idée d’une définition conceptuelle. De cette approche, il est fécond de maintenir la réflexion critique sur l’arkhé au stade d’entreprise critique et non à celui de re-fondation. À ce travail critique, il nous paraît nécessaire que se joignent les juristes et, plus particulièrement, une catégorie particulière de juristes, les historiens du droit.
Est-ce que pense le droit ?
Les juristes s’occupent de ce qui est, timidement de ce qui pourrait advenir en l’état — droit prospectif —, beaucoup moins de ce qui pourrait être dans un ailleurs radical. C’est un constat auquel l’histoire pourrait opposer des exceptions : Thomas More était juriste et le droit tient une place conséquente dans son Utopia. Plus récemment — et cela dit quelque chose de notre modèle juridique —, c’est dans le domaine dystopique que le droit s’est montré sous la forme de nos pires cauchemars politiques et moraux [5] : le droit comme instrument d’un contrôle totalitaire (Brave New World), le droit comme technique sécuritaire ultime (Minority Report). Littératures de l’espoir dans l’avenir du droit ou du désespoir sur les risques présents et à venir, il y a, dans l’argument utopique comme dystopique, la proposition d’un droit en germe [6].
Il existe bel et bien une discipline appelée philosophie du droit mais son statut est incertain. En effet, telle qu’elle est enseignée dans les facultés de philosophie, elle est souvent une philosophie sur ou de la politique [7]. En regard, l’absence d’enseignement de philosophie du droit dans l’immense majorité des cursus juridiques est patente.
Il existe quelques noms célèbres en philosophie du droit, mais dont on peut déplorer le manque de dialogue avec les autres facultés. Dans la perspective actuelle de ce que Mehdi Belhaj Kacem nomme l’« ésotérisme moderne de la philosophie » [8], les philosophes célèbres sont devenus commentateurs de la philosophie, travaillent entre eux, s’entreglosent et passent difficilement les murs. Cet ésotérisme peut être apprécié au carré ou au cube quand il s’agit de la philosophie du droit : à la fois parce que la communauté ésotérique est plus restreinte mais également parce qu’elle est plus efficacement cachée. Il était inscrit dans la conception même du droit, dans sa naissance romaine — dans ses multiples naissances, pour reprendre Jean Gaudemet et Aldo Schiavone [9] — que le droit est une discipline possédant une part irréductiblement ésotérique, que le droit constitue face à la loi une discipline comportant une forte tendance donc aristocratique et technocratique.
Rappelons, trop brièvement, ce qui oppose Savigny à Hegel, le premier souhaitant réhabiliter l’idée du caractère historique du droit échappant à la décision souveraine du législateur et le second l’accusant de vouloir, par ce détour, spolier le peuple souverain du pouvoir de se donner une loi [10].
Le fait que le droit soit pensé constitue déjà un fait trop souvent escamoté par ceux qui font métier du droit et ceux qui font métier de la pensée. Dissimulé derrière sa technique propre au sein même d’un système social tout entier gouverné par la technique, ce qu’Ellul appelle le système technicien, ce droit, il importe de le débusquer.
Qui donc se trouve aujourd’hui dans ce cercle restreint d’initiés, qui trouve son origine chez les pontifes romains (prêtres de la religion romaine ayant sur le droit un contrôle arbitraire car oral), puis les jurisconsultes médiévaux (quand l’Église catholique s’empare du droit romain et qu’inversement, elle est envahie par une logique juridique dont elle contaminera l’esprit du temps [11]) puis les professeurs des facultés de droit, aujourd’hui ? Cette matière technique et dont certains prétendent que sa logique, casuistique et rétive aux généralisations et aux principes [12], la revêt d’une dimension anarchiste, qui la manipule, qui s’en saisit et dans quelles conditions ?
La clôture du droit
Poser cette question, c’est interroger, à un niveau interne aux facultés, la question de la spécialisation et c’est aux juristes qu’il incombe de questionner cette division : qu’est-ce qui différencie un philosophe qui pense le droit d’un juriste qui fait la même chose ?
Dire d’un juriste qu’il doit penser le droit relèvera sûrement d’un inoffensif lieu commun pour ceux qui ne fréquentent pas les universités où l’on forme les juristes. Ceux qui, au contraire, s’adonnent à l’étude du droit puis au métier de l’enseigner, sont forcés de constater que les outils méthodologiques pour le faire sont largement insuffisants et que l’espace offert au travail spéculatif est réduit au minimum, pour ne pas dire absent.
La plupart des juristes finissent leur cursus sans n’avoir jamais suivi un cours de philosophie du droit. Il est significatif que les quelques linéaments théoriques que reçoit un étudiant de droit de première année se limitent au cours de droit constitutionnel et aux cours d’histoire du droit et des institutions. Le premier cours offre une approche légèrement théorique de ce qu’est l’État, le second offre généralement une vision de ce que furent les conditions de naissance de celui-ci (et encore, souvent en le limitant à la vision nationale).
Ici se pose ce que l’on a nommé d’après Kant le conflit des facultés qui a pris, en d’autres temps, des formes tout sauf civiles. D’où vient que la réflexion sur le droit et la production du droit connaissent si peu de points de contact, institutionnels et théoriques ?
Ce fait n’est pas nouveau : il y a même quelque chose de l’ordre de la fidélité à une tradition occidentale dans cette clôture du discours juridique sur lui-même et dans la transmission de la dimension pratique du droit, hérité du modèle romain.
La perception des juristes comme amateurs de chicanes et de raisonnements spécieux avait déjà conduit les théologiens médiévaux à les traiter d’idiots politiques, s’inquiétant de leurs proportions à glorifier un droit écrit — le droit romain que les médiévaux redécouvrent au XIe et XIIe siècles —, justifiant un pouvoir exorbitant au souverain [13]. L’injure visait à disqualifier les uns au profit des autres dans une lutte pour l’établissement d’une suprématie dans l’articulation du savoir et du pouvoir. Elle n’en révèle pas moins cette problématique constante qui voit dans le droit une tendance à délirer mytho-logiquement [14].
L’étude de l’anarchie comme critique du principe — et secondairement comme critique du prince — doit permettre de désactiver les enjeux polémiques pour se concentrer sur la vertu heuristique de cette critique. Il ne s’agit en aucun cas de surinvestir le champ du droit, entreprise habituelle des juristes à certaines époques visant souvent à donner aux professionnels du droit une primauté sociale, en les multipliant et en leur offrant les meilleures places [15]. Au contraire, il semble bien plutôt nécessaire d’en circonscrire la place, de la provincialiser dans l’ordre des savoirs.
Ici, deux questions, profondément liées, doivent être soulevées. Comment former les juristes et les non-juristes au droit ? À quelle école envoyer ceux qui feront métier du droit, à l’heure où cette formation, pour plusieurs raisons, laisse dans l’ombre l’étude des regards produits sur le droit par les autres disciplines ? Par quels moyens l’enseignement doit-il permettre une appréhension précoce des logiques de normes, de droit et les contacts entre les deux, dans la mesure où ces deux aspects sont disjoints par des opérations de gouvernement effectuées en dehors des catégories juridiques ?
Ces deux questions sont liées dans la mesure où la maxime qui veut que nul n’est censé ignorer la loi est souvent mise en défaut par l’idée que le droit, domaine par excellence de la côte mal taillée et des arguties occultes, constitue un obstacle, pour le profane, à la connaissance de la loi.
Combien de non-juristes ont reçu un enseignement juridique ? L’enseignement du droit en dehors des facultés est très rare, souvent surspécialisé, et technique (on apprend une branche du droit commercial, un fragment de droit médical, un regard politique sur le droit, etc). Avant les facultés, le droit est quasiment absent. L’hypothèse que l’on se doit de ne pas ignorer la loi reste lettre morte pour la majeure partie des citoyens. La norme est connue à un stade qu’on pourrait, à de nombreux égards, qualifier d’inconscient : les vecteurs de la norme sont, de plus en plus volontairement et efficacement, situés à des niveaux en deçà d’une approche critique et rationnelle.
À rebours pourtant de cette conception du droit comme un objet élitaire et excluant, le droit paraît pouvoir être envisagé comme le moyen d’un repositionnement de l’individu face à la loi et face à l’État qui s’est confondu avec elle.
Le juriste et l’État
Que voudrait dire interroger le paradigme archique pour un juriste ?
Cela ne veut pas dire embrasser une anarchie-programme, mais décentrer le regard, à la façon des anthropologues, pour considérer ce qui existe de façon minoritaire, ce que l’on refuse de nommer aujourd’hui car cela a été battu hier. Cela se trouve nécessairement dans les marges de l’histoire de l’État, de ce pouvoir orné du droit et des armes (pour reprendre la formule impériale romaine) [16].
À l’aube du xixe siècle, après de longues années à voir cette notion défendue chez Bentham et d’autres, le droit est codifié. La critique de l’Ancien Régime et celle de l’État royal ont fini par se confondre avec celle de son droit, marqué tant par la coutume et l’éclatement géographique que par la jurisprudence et l’arbitraire des juges. Ainsi s’établit un lien apparemment évident entre la codification du droit, sa conversion à la logique légiférante et l’apparition de la Première République.
Il y a probablement ici une raison assez évidente à la marginalisation intellectuelle des études de droit. Pour les scientifiques et philosophes du xviiie siècle, le droit constituait encore un objet d’étude parmi d’autres. La tentative de transformation du juriste en interprète d’un droit sans mémoire, réduit à l’expression fixée par le Code, a eu pour effet de détacher, plus encore qu’il ne l’était, le juriste des autres facultés, voire de mettre en doute son existence.
En effet, si le juge n’est que la bouche de la loi, qu’y-a-t-il besoin de juriste ? Si celui-ci continue à exister, comment l’État doit-il le former ? Rappelons ici que l’université médiévale, dont le premier modèle fut celle de droit, se constitue comme communauté (universitas) indépendante, dont les houleuses relations et l’indépendance vis-à-vis des pouvoirs institutionnels ont longtemps configuré son histoire même.
Il ne s’agit pas de disqualifier le droit positif comme émanation d’une décision étatique, pas plus que d’affirmer le pouvoir des experts du droit sur une matière techno-ésotérique, codée et figée dans l’histoire. En effet, les historiens du droit se retrouvant bien souvent à défendre l’historicité du droit et des mécanismes juridiques contre un positivisme (qui a ses excès comme une lecture entièrement historiciste a les siennes [17]), il parait judicieux de rappeler que l’histoire fait l’objet d’écritures, suivant une méthode plus ou moins conscientisée et dont il importe de faire lecture marquée par une approche culturelle [18]. À ce titre, l’histoire de la dogmatique juridique a connu des fortunes toute particulières. Comme l’a montré Aldo Schiavone, les études juridiques n’ont bénéficié qu’avec retard et parfois incomplètement des ajustements historiques. Pour le dire autrement, il y a dans le legs romain à l’Occident, dans le droit romain impérial et ses renaissances permanentes, une résistance à la lecture purement historique.
À juste titre, le caractère impérial de la souveraineté moderne a été soulevé et cette impérialité a été justement identifiée comme la notion dont disposent, en partage, les formes étatiques de l’Occident et les dominations politiques que celui-ci a produit. Cette impérialité-là [19], qui ne meurt pas avec les empires et qui, à dire vrai, ne meurt jamais en Occident, semble parfois également refuser d’entrer dans l’histoire. Elle est véhiculée par la forme spécifique que prend le droit romain sous Justinien et contenue dans une codification (déjà), qui trahit en partie le droit romain qu’elle contient et qui se diffusera jusqu’au cœur de la modernité. Envisager l’anarchie en droit, cela peut être prendre en compte toutes les implications de cette impérialité du droit dans la mesure où celle-ci a constitué l’attrait principal du droit romain pour les architectes des formes étatiques contemporaines, jusque dans le Code civil de l’empereur des français.
XXXXX
L’histoire du droit subit bien plus fortement que les autres disciplines juridiques la pénurie de postes universitaires. Ce manque impacte directement la diffusion de la culture juridique et judiciaire et promet, sous peu, la complète technicisation des études juridiques et l’oblitération d’une culture juridique non entièrement réduite au phénomène étatique [20]. Si les historiens du droit ne sont pas les seuls vecteurs de cette culture, ils sont souvent le rappel subversif du droit – et de l’État qui l’édicte – à son contexte.
Il n’est pas inutile de rappeler que les savoirs sont situés et que cette situation s’appréhende également par l’analyse des institutions dont émanent ces savoirs.
On prête souvent aux facultés de droit un prisme de droite, une tendance conservatrice. Un colloque récent a montré que des initiatives dites de gauche ont existé dans les facultés de droit.
Apparait ici la véritable ligne de force : l’immense majorité des facultés de droit n’est ni à droite, ni à gauche, elle est au centre, elle se pense même détentrice d’un objet qui la place en dehors de ce débat. Ce qui triomphe, c’est la position selon laquelle le droit défend l’ordre établi sans pour autant introduire l’idée que les conditions d’émergence de cet ordre (politique, économique, etc.) devraient être analysées et comprises par les juristes. L’histoire du droit offre pourtant des occasions d’affirmer que le droit devrait avoir pour fonction de défendre l’ordre hors du principe et du prince comme expression du principe, cet ordre dont les anarchistes considèrent que l’État parodie et dont l’État prétend être, face au chaos, le seul défenseur.
À partir de la codification et de l’assimilation pleine du droit et de l’État, l’histoire du droit assume la fonction critique de dissoudre cette identification, de la rappeler à son échec.
Le désintérêt de la pensée pour le droit s’explique probablement par la même raison qui justifie, aujourd’hui, une réflexion des juristes autour de la notion d’anarchie. Cette notion pourrait constituer le présupposé méthodologique permettant d’interroger le soubassement finaliste des historiographies qui réduise l’histoire du droit français à cette lente concentration des pouvoirs qui aboutit à la création de l’État moderne.
Volontiers tournée vers les institutions, l’histoire du droit telle qu’enseignée aux élèves juristes l’est plus rarement vers les sources du droit. Terme métaphorique remontant à Cicéron et Tite-Live (fonte iuris), la source indique une origine d’où coule le droit et son contenu, aussi mouvant que sa forme. L’origine est un terme qui, pour citer Jacob Taubes, renvoie de façon parfois inconfortable les juristes au « sol brûlant dont s’étaient retirés les théologiens » [21], domaine renvoyant d’ailleurs aux opérations mythologiques dont parfois les apprentis théologiens se rendent coupables. Puisque l’arkhè a le double sens d’origine et de commandement, il apparaît possible d’imaginer l’historien du droit en lecteur critique de ces moments où ces deux sens se prétendent joints. Une histoire effective et critique devrait peut-être même se fixer comme programme d’identifier les moments où cette jointure se fait de façon inconsciente ou dissimulée.
Le lien impensé entre origine et principe fonctionne en projetant ces notions sur ce que Catherine Malabou nomme le « plan incliné des hiérarchies ontologiques » :
Critiquer le « préjugé gouvernemental » pour lui-même ne suffit pas si l’on ne voit pas que la subordination gouvernementale est d’abord le décalque d’une oblique logique et ontologique qui signe la complicité entre penser et dominer.
Ici, le regard critique de l’histoire permet de défaire ce que le temps agrège sous le nom de tradition, c’est-à-dire ce qui est donné. Faire l’inventaire de ce legs parait une mission de l’historien du droit qui se situe au croisement de des écritures historique et dogmatique.
Loin d’être le résultat inévitable d’une histoire linéaire, c’est l’aboutissement d’une lutte acharnée de la monarchie pour devenir absolue, en se structurant sur une certaine conception du droit. Cette conception correspond, pour une large part, à la relecture médiévale du droit romain, dans sa forme impériale tardive et consignée par Justinien, réinvestie par les canonistes militants de la Réforme Grégorienne et tombée ensuite dans les mains des juristes des différents pays d’Europe tout occupés à leur tâche de construire les moyens juridiques de l’absolutisme étatique moderne. Pour le dire autrement, faire l’histoire du droit, c’est souvent faire l’histoire des succès des pouvoirs législatifs et centralisateurs sur les résistances à la loi comme instrument de rationalisation.
Un juriste se forme à l’histoire en apprenant comment celle-ci accouche de cet État qui donne au juriste moderne sa raison d’être et son schibboleth, lequel trouve à l’aube du XIXème dans le Code de 1804, un droit codifié et unitaire.
Sur le titre : la république de Rome se termine en -27, dans les remous qui ont conduit les aristocrates du Sénat à assassiner César au motif qu’il faisait revivre, dans les consciences mais aussi dans les désirs populaires, la figure du pouvoir centralisé dans les mains d’un seul homme, la figure confondue à Rome du roi et du tyran. César mort, son fils adoptif Octave fonde, au regard de l’histoire, l’Empire romain. Au regard des contemporains, cependant, il se présente seulement comme le premier de la cité (princeps civitatis) de Rome et, s’instituant premier parmi ses pairs (primus inter pares), prétend être le garant de la conservation du modèle républicain. Ce modèle républicain avait notamment pour traits distinctifs une production juridique qui échappait, pour beaucoup, à l’empire du pouvoir. Il va, dès les premiers siècles de notre ère, être reprogrammé par la grammaire d’un type tout particulier de pouvoir, l’Empire. Par une suite d’opérations politiques plus que juridiques, le droit va passer sous contrôle de la loi. Cette loi est ce qui plaît au Prince, comme le note Ulpien d’un trait passé à la postérité juridique. Par cette opération, le prince se fait législateur, premier des citoyens et bientôt propriétaire des citoyens (dominus) à partir de la fin du IIIe siècle. Mais il se fait également interprète du droit, jurisprudent. Et ce travestissement est peut-être plus grave car il prive le droit d’une capacité subversive à dialoguer avec la loi. L’œuvre du prince se répète et s’ancre dans un acte sans cesse répété par l’histoire occidentale : la codification, c’est-à-dire l’écrasement de la temporalité du droit — le droit se construit dans le temps — et la négation des processus de création juridique par la décision politique. Si la codification du droit se présente donc comme l’acte archique de rationalisation et de systématisation qui fait signe pour la logique décisionnelle même de l’Etat, il apparait que faire l’histoire du droit devrait constituer l’opération juridique subversive et anarchique, par excellence.
Le bordel du pouvoir, l’ordre du droit
« La seule véritable anarchie, c’est l’anarchie du pouvoir » un des “maîtres” de Pasolini dans Salo, cité par Agamben, Le capitalisme comme religion.
Envisager l’anarchie, c’est repousser l’évidence avec laquelle nous est présentée le lien entre anarchie et chaos, d’une part, et ordre et pouvoir, de l’autre. C’est également envisager que l’écriture de l’histoire par l’institution au pouvoir se double toujours d’une contre-histoire, où la dérision et la distance désactivent les prétentions théoriques à légitimer les dominations et à les justifier devant l’histoire qui a pour devoir de se méfier des transcriptions officielles avec ce que James Scott nomme les discours subalternes [22].
L’anarchie n’est pas le bordel, pour faire évoluer la formule et donner prise à une analyse juridique. Si l’on envisage la dimension étymologique du bordel, c’est-à-dire supposément le confinement par Louis IX des prostituées dans de petites cabanes en bord d’eau, il parait simple d’envisager que le pouvoir n’empêche pas le chaos mais qu’au moyen du droit, il peut l’assigner à une place géographique et/ou symbolique, une place désignée et parfaitement contenue par ce pouvoir. Que dans certains cas, il se présente en rempart contre le chaos, là où ce pouvoir se contente de recourir à la technologie juridique pour en délimiter, à l’avantage de certains et au détriment d’autres, les contours et l’orchestrer, cela fait peu de doute. Que cette étape soit escamotée par ce que Walter Benjamin nomme la brutalité du droit (Gewalt) et que cet escamotage aboutisse aux récits mythiques sur la fondation de l’ordre juridique et politique, non plus [23].
Apparue conséquemment aux processus de codification, l’histoire du droit est notamment là pour déchausser l’État, le droit et les formes de domination de leur naturalité, de leur fondation en nature. À ce titre, la discipline est en mesure de communiquer aux juristes comme aux non juristes l’hypothèse selon laquelle le droit sert toujours à quelque chose. Plutôt que de charger le droit d’une mission ou d’un servage supplémentaire, il nous apparait que le rôle de l’historien du droit est de rappeler pour quoi le droit apparaît.
Donnons un exemple simple à partir de la dernière occurrence parodique et incantatoire du ministre Retailleau : la prétention à l’ordre. Pour un juriste et, en particulier, le juriste qui s’est frotté à la renaissance médiévale de la procédure, ce mot d’ordre a un sens tout particulier. L’ordo désigne, dans la théologie patristique puis dans la pensée du droit canonique, l’ensemble des garanties à un juste procès, les garanties qu’un accusé peut exiger de l’institution judiciaire.
Comme l’a probablement compris le premier ministre, les fondations de l’État de droit se situent dans le respect de ces droits et de l’ordre qui les assure. Historiquement, la solidité de cet ordre et son efficacité ne sont pas entamés par une brutalité directe mais par le jeu arbitraire des exceptions sécuritaires (et Retailleau de convoquer, comme de juste, le Covid et le terrorisme).
Les premières manifestations de l’Empire, c’est-à-dire les manifestations précoces d’un proto-État et la reconstitution du pouvoir d’un seul à Rome longtemps après la fin de la royauté, se constituent extra-ordo, en dehors de l’ordre : l’État agit selon une procédure extraordinaire, se déchargeant de l’obligation d’obéir aux règles jusque-là admises par le droit. C’est par la discrète complicité du temps — mais non, souhaitons-le, celle des historiens — et la fragilité de la mémoire que l’exception devient habitude, que l’extraordinaire devient l’ordinaire, à défaut d’être l’ordre.
Anarchie, procédure & gouvernementalité
Pour le non-juriste, le terme même de procédure a des relents kafkaïens de brutalité froide, de longs couloirs, métaphoriques ou non, où se réverbère l’angoisse que provoque l’absurdité d’un monde où la personne, la vraie (pas l’abstraite personne morale), se sent écrasée par l’injustice.
Historiquement, la procédure, c’est-à-dire l’ordo, l’ordre des choses qu’il est juste de respecter afin de garantir les droits de chacun dans la résolution d’un conflit, a démontré qu’elle pouvait être la raison d’être de la justice dans son acception aristotélicienne, rendre à chacun le sien.
David Graeber avait insisté sur la façon dont les processus, les procédures, constituaient un élément fondamental des pratiques anarchistes, en prémunissant la communauté contre le retour de pratiques charismatiques de gouvernance et de domination [24]. Ces procédures visent à encadrer les prises de paroles, la gestion des conflits et à mettre en pratique : bref, à constituer un ordo.
Encore une fois, de nombreux cas de violence par le droit sont à percevoir comme des violences faites au droit par certaines logiques “archiques” dont le droit est l’instrument [25]. Dans sa fameuse glose du propos d’Adolphe Thiers selon laquelle le roi règne mais ne gouverne pas, Foucault met au jour la notion de gouvernementalité, de gouvernementalisation de l’État qui ferait reculer en arrière-plan la logique de souveraineté au profit d’une logique de contrôle dont nous voyons assez bien aujourd’hui la logique : le désengagement de l’État abandonne la société aux acteurs privés et, dans le pire des cas, l’Etat prête à ces acteurs les moyens de sa domination. Face à cette nouvelle logique normative, que doit pouvoir le droit ?
Ce que s’empressent de faire les États en cas d’attaque terroriste, c’est d’organiser légalement (ce qui ne veut pas dire légitimement et souvent contre la logique juridique des institutions qu’ils convoquent) des procédures sommaires et exceptionnelles qui leur permettront, au prétexte d’efficacité, de couper court aux arguties du droit, arbitrairement présentés comme inadaptés à la situation. Encore une fois, il ne s’agit ensuite que de masquer en ordinaire ce qui ne l’était pas pour faire de ce scandale temporaire une injustice permanente.
Rappelons que l’anarchie n’a finalement à voir avec l’État que dans la mesure où s’identifie pouvoir, domination et logiques étatiques. Cette identification doit s’appréhender aujourd’hui en prenant en compte l’apparition d’une féodalité d’un nouveau genre et la délégation à d’autres autorités que l’État de certaines techniques de gouvernementalité.
Il ne s’agit pas d’hypertrophier le rôle du droit ou de le présenter simplement comme une arme [26]. Simplement de constater qu’il manque à l’exercice critique de la pensée une réflexion portée sur la question juridique, comme il manque souvent au droit l’ouverture aux savoirs critiques.
Jean-François Kervégan parle de « l’anarchie comme d’une “méthode” permettant une critique systématique des présupposés inaperçus de l’état de choses existant ». Il est possible de souscrire à cette idée que l’anarchisme, l’anthropologie anarchiste, l’an-archéologie ou toute tentative d’envisager ce qui se situe au niveau des principes, des commencements, revendiqués ou dissimulés, des autorités, constitue un moyen d’amener dans l’ordre du visible ce qui fonctionne en se cachant.
Anarchie juridique et anomie féodale
Pour un juriste, l’anarchie du pouvoir devrait constituer un constat, bien plus qu’un programme. Pour préciser une distinction chère à certains anarchistes et ici parfaitement appropriée, l’anarchie juridique pourrait constituer le prisme de lecture permettant de révéler tant ce qu’on appelle aujourd’hui techno-féodalisme que l’état social qu’il organise sous le nom d’anomie féodale.
Les juristes apprennent au cours de leur première année d’histoire des institutions que lorsque l’empire carolingien, après avoir reconstruit un appareil public centralisé, se désagrège, émerge un nouvel ordre politico-économique appelé féodalité.
À la faveur de la disparition du pouvoir central, des membres de l’administration précédente et de riches propriétaires érigent des châteaux forts, font régner un état de terreur par une concurrence matérialisée en guerres privées. Ils rançonnent le peuple, réduit à la condition de serfs et à payer des impôts exorbitants en échange de la protection de ces seigneurs, protection contre la violence qu’eux-mêmes provoquent.
Dans ce contexte émerge une nouvelle source de droit, d’abord fiscale, l’exaction fiscale, la domination de fait qui devient l’usage. Ce droit n’est pas écrit, il nait d’un usage : l’habitude unilatérale pour le seigneur d’exiger qu’on paie pour habiter un territoire sur lequel il s’est accaparé un pouvoir et une domination. En réponse, des coutumes naîtront de la solidarité des paysans, l’Église tentera d’imposer des paix provisoires et de limiter les dégâts. La royauté mettra plusieurs siècles avant de récupérer ce pouvoir au seigneur.
Si au capitalisme a succédé le techno-féodalisme que certains décrivent, il est plus que nécessaire de s’interroger sur ce qui fait norme aujourd’hui. À la délégation du pouvoir normatif et des techniques de gouvernementalité aux nouveaux seigneurs de l’économie numérique devraient répondre une science du droit inventive et capable de proposer au plus grand nombre une réponse alternative à l’ordre économique moderne et à la brutalité avec laquelle il impose sa normativité.
Droit et lutte
David Graeber qualifiait l’anthropologie de « discipline terrifiée par son propre potentiel ». Il semble qu’il en aille de même pour le droit, bien que certains juristes, à la manière de ceux qui ont pioché sans vergogne dans l’immense réservoir romain pour bâtir les armes de la domination absolue, ne puissent être qualifiés de timorés. Il a été rappelé par certains que l’inventivité juridique pouvait être mise au service de certaines logiques. Les situations de désordre criant auxquelles aboutissent certaines inégalités doivent pouvoir faire l’objet de qualifications juridiques audacieuses. À partir de l’exemple romain, particulièrement plastique, Laurent de Sutter en appelle à la créativité juridique.
La forclusion lacanienne a été tirée du vocabulaire juridique : est forclose l’action juridique qu’on éteint car elle n’a pas été revendiquée. Afin d’éviter la forclusion générale et d’en appeler consciemment à l’ordo, il est nécessaire de penser aujourd’hui la façon dont est enseigné le droit. D’une part pour former des juristes capables d’esprit critique quant à leur matière et aux forces qui la font évoluer, d’autre part pour briser le statut élitaire du savoir juridique.
Selon la formule hégélienne des Principes de la philosophie du droit, la tâche de la philosophie est de « penser ce qui est ». En regard, la tâche du droit pourrait être de donner un nom et de donner une réalité à ce qui est pensé. Penser l’anarchie et la faire exister, même de façon éparse dans l’ordre juridique, peut constituer la tâche d’un juriste irrité par l’apparition d’un désordre qui, scandaleusement, prend le nom de l’ordre.
Clément Kalsa
[1] Sur ce point, voir les réflexions de T. Ibanez, Repenser l’anarchisme, Montreuil, Nada, 2024.
[2] G. Agamben, « Qu’est-ce qu’un commandement ? », dans Création et Anarchie, Paris, Payot et Rivages, 2019
[3] D. Graeber, Pour une anthropologie anarchiste, Montréal, Lux, 2006.
[4] Sur ce point, voir les réflexions de T. Ibanez, Repenser l’anarchisme, Montreuil, Nada, 2024 ; R. Schürman, Le principe d’anarchie : Heidegger et la question de l’agir, Bienne – Paris, Diaphane, 2013.
[5] Q. Pironnet, « Droit et dystopies », Revue interdisciplinaire d’études juridiques, n°77/2, p. 363-392.
[6] Plusieurs entreprises ont été menées dans les facultés de droit autour de ces interrogations sur les liens entre droit et littérature (la revue Droit et littérature), sur l’analyse juridique de l’image filmée ou dramaturgique (https://imaj.hypotheses.org/).
[7] À ce titre, il est d’ailleurs symptomatique que cette confusion, ce flou du politique et du juridique est d’ailleurs l’une des limitations conceptuelles centrales dans la lecture qui est faite, si polémiquement, des sociétés islamiques traditionnelles et contemporaines, et des lectures incantatoires du modèle de la shariah. Dans de nombreuses sociétés d’islam, la lutte la plus violente oppose le prince aux juristes ; voir notamment N. Mouline, Le Califat : histoire politique de l’islam, Paris, Flammarion, 2016. Pour une lecture des subversions politiques dans le monde musulman, voir également L. Babes, L’utopie de l’Islam : la religion contre l’Etat, Paris, Armand Collin, 2011.
[8] M. Belhaj Kacem, Vo Contingence, Système du pléonectique, Paris, Diaphanes, 2020, p. 95.
[9] J. Gaudemet, Les naissances du droit : le temps, le pouvoir et la science au service du droit, Issy-les-Moulineaux, LGDJ-Lextenso, 2016 ; A. Schiavone, Ius : l’invention du droit en Occident, Paris, Belin 2008. Il suffit ici pour prouver notre argument de rappeler à quel point ces noms, pourtant auteurs d’ouvrages cruciaux sur le rôle du droit dans la formation de nos modèles politiques, conceptuels, sociaux sont peu lus.
[10] Sur ce débat crucial pour le développement contemporain du droit et de ses modalités de création et d’enseignement, E. Djordjevic, « Philosophie du droit et science juridique positive. Hegel et Savigny », Droit & Philosophie, n°14, 2023.
[11] Sur la révolution juridique du xiie siècle, voir entre autres P. Legendre, La balafre : discours à de jeunes étudiants sur la science et l’ignorance, Paris, Milles et une nuits, 2007, H. Berman, Droit et révolution, Aix-en-Provence, Librairie de l’Université d’Aix-en-Provence, 2002.
[12] L. de Sutter, Hors la loi : théorie de l’anarchie juridique, Paris, Les liens qui libèrent, 2021.
[13] J. Krynen, « Les légistes “idiots politiques”. Sur l’hostilité des théologiens à l’égard des juristes, en France, au temps de Charles V », Publications de l’École Française de Rome, 1991, 147, p. 171-198
[14] Sur ce point, voir l’important ouvrage de J. Lenoble, F. Ost, Droit, mythe et raison. Essai sur la dérive mytho-logique de la rationalité juridique, Bruxelles, Facultés universitaires Saint-Louis, 1980.
[15] J. Ellul, « Le droit comme réducteur de crise », Droit, institutions et systèmes politiques. Mélanges en hommage à Maurice Duverger, Paris, PUF, 1988, p. 63-77.
[16] Pour en donner un exemple récent, voir l’article d’A. Spampinato, « “La lutte pour le droit”. L’expérience du berger sarde face à la justice », Droit & Philosophie, 12, 2021.
[17] Sur ce point, voir notamment : J.-L. Halpérin, « Le droit et ses histoires », Droit et société, n°75/2, 2010, p. 295-313.
[18] Voir notamment A.-S. Chambost, Approches culturelles des savoirs juridiques, Paris, LGDJ, 2020.
[19] M. A. Meziane, E. Mahieddin, « Pour une anthropologie de l’impérialité », Journal des Anthropologues, 170-171, 2022.
[20] D. Mantovani, F. Garnier, « L’apport de l’histoire du droit est essentiel à la santé d’un État de droit », Le Monde, Avril 2023.
[21] J. Taubes, En divergent accord : à propos de Carl Schmitt, Paris, Payot & Rivages, 2003, p. 25.
[22] J. C. Scott, La domination et les arts de la résistance : fragments du discours subalterne, Paris, Éditions Amsterdam, 2019.
[23] W. Benjamin, Critique de la violence et autres essais, Paris, Éditions Payot & Rivages, 2012. À propos des procès contre la bande à Baader, Jean Genet distinguait violence et brutalité (Le Monde, 1977) dans des termes qui devraient permettre de questionner la traduction de Gewalt en violence chez Benjamin. Si la langue allemande ne permet pas de faire la distinction, elle est féconde en français.
[24] D. Graeber, L’Anarchie – pour ainsi dire, Berlin – Zürich, Diaphanes, 2021.
[25] P. Coppens, M. de Nanteuil, La violence du droit : regards croisés sur Walter Benjamin, Bruxelles, Bruylant, 2021.
[26] Sur les risques d’une telle lecture, L. Israël, L’arme du droit, Paris, Sciences Po-Les Presses, 2020.
Ce qui déplaît au prince. Anarchie et Droit.
« Ce qui plaît au Prince a force de loi »
Ulpien, Institutes
« Fondation de droit est fondation de pouvoir et,
dans cette mesure, un acte de manifestation immédiate
de la violence. La justice est le principe de toute finalité divine,
le pouvoir le principe de toute fondation mythique du droit. »
Walter Benjamin, Critique de la violence
Du droit à l’anarchie
Penser l’anarchie en juriste pourrait sonner à de nombreuses oreilles comme une entreprise à la fois originale, utopique et un peu désespérée. Trois qualificatifs souvent accolés au mouvement anarchiste lui-même. Partant, qu’apporte le droit à cette affaire ?
Risquons un constat hasardeux : quelque chose se passe aujourd’hui à propos de l’anarchie. Disons-le empiriquement, sans note de bas de page, ni enquête sociologique : l’anarchie a une presse et elle est plutôt bonne. Envisager l’anarchie, à tout le moins comme hypothèse de travail, suscite un intérêt et l’anarchie ne se limite plus au fait et à la pratique.
Une part de cela est probablement dû à un constat déjà établi :
Ce que l’on appelle, faute de mieux, la post-modernité et l’épuisement de l’esprit à trouver ce qui viendra après la fin de l’espoir en politique et l’arrivée du cynisme ;
les actuelles mutations d’un système politique, dans lequel les frontières entre les différents types de normativités se brouillent (recommandations, injonctions, droit mou, soft law), modifiant si profondément les conceptions traditionnelles associées à l’État ;
l’avènement d’un nouvel ordre économique et politique — que certains ont nommé techno-féodalisme, nous y reviendrons — où la notion de norme vient brutalement questionner les conceptions en vigueur sur le droit et sur la liberté, sous l’effet d’une nouvelle rationalité économique et l’apparition de nouveaux moyens d’action techniques.
Ce constat, ici trop bref, se lit partout.
Ainsi l’attrait qu’exerce l’anarchisme en tant que critique radicale d’un État qui semble avoir unilatéralement modifié, abandonné et perverti certaines de ces fonctions habituelles.
Pratique collective et exercice intellectuel, l’anarchie parait avant tout une manière d’interroger les conditions du pouvoir [1]. Giorgio Agamben a soulevé le glissement, au cours de l’ère moderne, entre deux verbes modaux : le vouloir et le pouvoir, le premier se substituant au second:
« Les verbes modaux ont une curieuse particularité : comme le disaient les grammairiens anciens, ils sont “défectueux de la chose” (elleiponta to pragmati), ils sont “vides” (kena), en ce sens que, pour prendre toute leur signification, ils doivent être suivis d’un autre verbe à l’infinitif qui les remplit »[2]
Questionner l’anarchie aujourd’hui, c’est, en droit comme en philosophie, s’interroger sur un soubassement, un refoulé des postulats sur lesquels se fonde l’État et sa conception de l’ordre. Au-delà d’une réflexion sur le pouvoir comme technique et comme institution, la réflexion anthropologique — saisie par l’anarchisme mais le saisissant également et le transformant — a permis un temps de décentrer la pensée occidentale des conditions modales de son devenir [3]. Derrière le vouloir moderne et les derniers dérèglements de la civilisation marchande, il parait de plus en plus nécessaire de corréler les questions et de se demander : à l’ère du système technicien, que peut vouloir l’individu ?
La revendication anarchiste véhicule un certain nombre d’images encore loin d’être consensuelles : violence, chaos, utopie, etc. Les mutations militantes contemporaines de l’anarchisme (c’est le propre de ces formes militantes d’être d’ailleurs si nombreuses et variées qu’il est impossible de les lister ici) sont également loin d’être toutes connues et approuvées par ceux qui, loin de vouloir en finir avec la domination, veulent en finir avec l’État. Mais il semble qu’une part des conséquences épistémologiques dérivant du renversement du terme d’anarchie — envisager positivement, après Proudhon, l’absence d’arkhé mais également rechercher subversivement, avant Proudhon, une autre histoire du pouvoir — paraît aujourd’hui : ce qu’on a pu nommer l’anarchisme non fondationnel implique non seulement de douter de l’État mais de douter des principes et de leur caractère hégémonique [4].
On sait que certains partisans de l’anarchisme, courant qui s’est défini avant tout comme pratiques et qui s’est méfié de la théorie dans ce qu’elle a de systémique, pourrait opposer une résistance à l’idée d’une définition conceptuelle. De cette approche, il est fécond de maintenir la réflexion critique sur l’arkhé au stade d’entreprise critique et non à celui de re-fondation. À ce travail critique, il nous paraît nécessaire que se joignent les juristes et, plus particulièrement, une catégorie particulière de juristes, les historiens du droit.
Est-ce que pense le droit ?
Les juristes s’occupent de ce qui est, timidement de ce qui pourrait advenir en l’état — droit prospectif —, beaucoup moins de ce qui pourrait être dans un ailleurs radical. C’est un constat auquel l’histoire pourrait opposer des exceptions : Thomas More était juriste et le droit tient une place conséquente dans son Utopia. Plus récemment — et cela dit quelque chose de notre modèle juridique —, c’est dans le domaine dystopique que le droit s’est montré sous la forme de nos pires cauchemars politiques et moraux [5] : le droit comme instrument d’un contrôle totalitaire (Brave New World), le droit comme technique sécuritaire ultime (Minority Report). Littératures de l’espoir dans l’avenir du droit ou du désespoir sur les risques présents et à venir, il y a, dans l’argument utopique comme dystopique, la proposition d’un droit en germe [6].
Il existe bel et bien une discipline appelée philosophie du droit mais son statut est incertain. En effet, telle qu’elle est enseignée dans les facultés de philosophie, elle est souvent une philosophie sur ou de la politique [7]. En regard, l’absence d’enseignement de philosophie du droit dans l’immense majorité des cursus juridiques est patente.
Il existe quelques noms célèbres en philosophie du droit, mais dont on peut déplorer le manque de dialogue avec les autres facultés. Dans la perspective actuelle de ce que Mehdi Belhaj Kacem nomme l’« ésotérisme moderne de la philosophie » [8], les philosophes célèbres sont devenus commentateurs de la philosophie, travaillent entre eux, s’entreglosent et passent difficilement les murs. Cet ésotérisme peut être apprécié au carré ou au cube quand il s’agit de la philosophie du droit : à la fois parce que la communauté ésotérique est plus restreinte mais également parce qu’elle est plus efficacement cachée. Il était inscrit dans la conception même du droit, dans sa naissance romaine — dans ses multiples naissances, pour reprendre Jean Gaudemet et Aldo Schiavone [9] — que le droit est une discipline possédant une part irréductiblement ésotérique, que le droit constitue face à la loi une discipline comportant une forte tendance donc aristocratique et technocratique.
Rappelons, trop brièvement, ce qui oppose Savigny à Hegel, le premier souhaitant réhabiliter l’idée du caractère historique du droit échappant à la décision souveraine du législateur et le second l’accusant de vouloir, par ce détour, spolier le peuple souverain du pouvoir de se donner une loi [10].
Le fait que le droit soit pensé constitue déjà un fait trop souvent escamoté par ceux qui font métier du droit et ceux qui font métier de la pensée. Dissimulé derrière sa technique propre au sein même d’un système social tout entier gouverné par la technique, ce qu’Ellul appelle le système technicien, ce droit, il importe de le débusquer.
Qui donc se trouve aujourd’hui dans ce cercle restreint d’initiés, qui trouve son origine chez les pontifes romains (prêtres de la religion romaine ayant sur le droit un contrôle arbitraire car oral), puis les jurisconsultes médiévaux (quand l’Église catholique s’empare du droit romain et qu’inversement, elle est envahie par une logique juridique dont elle contaminera l’esprit du temps [11]) puis les professeurs des facultés de droit, aujourd’hui ? Cette matière technique et dont certains prétendent que sa logique, casuistique et rétive aux généralisations et aux principes [12], la revêt d’une dimension anarchiste, qui la manipule, qui s’en saisit et dans quelles conditions ?
La clôture du droit
Poser cette question, c’est interroger, à un niveau interne aux facultés, la question de la spécialisation et c’est aux juristes qu’il incombe de questionner cette division : qu’est-ce qui différencie un philosophe qui pense le droit d’un juriste qui fait la même chose ?
Dire d’un juriste qu’il doit penser le droit relèvera sûrement d’un inoffensif lieu commun pour ceux qui ne fréquentent pas les universités où l’on forme les juristes. Ceux qui, au contraire, s’adonnent à l’étude du droit puis au métier de l’enseigner, sont forcés de constater que les outils méthodologiques pour le faire sont largement insuffisants et que l’espace offert au travail spéculatif est réduit au minimum, pour ne pas dire absent.
La plupart des juristes finissent leur cursus sans n’avoir jamais suivi un cours de philosophie du droit. Il est significatif que les quelques linéaments théoriques que reçoit un étudiant de droit de première année se limitent au cours de droit constitutionnel et aux cours d’histoire du droit et des institutions. Le premier cours offre une approche légèrement théorique de ce qu’est l’État, le second offre généralement une vision de ce que furent les conditions de naissance de celui-ci (et encore, souvent en le limitant à la vision nationale).
Ici se pose ce que l’on a nommé d’après Kant le conflit des facultés qui a pris, en d’autres temps, des formes tout sauf civiles. D’où vient que la réflexion sur le droit et la production du droit connaissent si peu de points de contact, institutionnels et théoriques ?
Ce fait n’est pas nouveau : il y a même quelque chose de l’ordre de la fidélité à une tradition occidentale dans cette clôture du discours juridique sur lui-même et dans la transmission de la dimension pratique du droit, hérité du modèle romain.
La perception des juristes comme amateurs de chicanes et de raisonnements spécieux avait déjà conduit les théologiens médiévaux à les traiter d’idiots politiques, s’inquiétant de leurs proportions à glorifier un droit écrit — le droit romain que les médiévaux redécouvrent au XIe et XIIe siècles —, justifiant un pouvoir exorbitant au souverain [13]. L’injure visait à disqualifier les uns au profit des autres dans une lutte pour l’établissement d’une suprématie dans l’articulation du savoir et du pouvoir. Elle n’en révèle pas moins cette problématique constante qui voit dans le droit une tendance à délirer mytho-logiquement [14].
L’étude de l’anarchie comme critique du principe — et secondairement comme critique du prince — doit permettre de désactiver les enjeux polémiques pour se concentrer sur la vertu heuristique de cette critique. Il ne s’agit en aucun cas de surinvestir le champ du droit, entreprise habituelle des juristes à certaines époques visant souvent à donner aux professionnels du droit une primauté sociale, en les multipliant et en leur offrant les meilleures places [15]. Au contraire, il semble bien plutôt nécessaire d’en circonscrire la place, de la provincialiser dans l’ordre des savoirs.
Ici, deux questions, profondément liées, doivent être soulevées. Comment former les juristes et les non-juristes au droit ? À quelle école envoyer ceux qui feront métier du droit, à l’heure où cette formation, pour plusieurs raisons, laisse dans l’ombre l’étude des regards produits sur le droit par les autres disciplines ? Par quels moyens l’enseignement doit-il permettre une appréhension précoce des logiques de normes, de droit et les contacts entre les deux, dans la mesure où ces deux aspects sont disjoints par des opérations de gouvernement effectuées en dehors des catégories juridiques ?
Ces deux questions sont liées dans la mesure où la maxime qui veut que nul n’est censé ignorer la loi est souvent mise en défaut par l’idée que le droit, domaine par excellence de la côte mal taillée et des arguties occultes, constitue un obstacle, pour le profane, à la connaissance de la loi.
Combien de non-juristes ont reçu un enseignement juridique ? L’enseignement du droit en dehors des facultés est très rare, souvent surspécialisé, et technique (on apprend une branche du droit commercial, un fragment de droit médical, un regard politique sur le droit, etc). Avant les facultés, le droit est quasiment absent. L’hypothèse que l’on se doit de ne pas ignorer la loi reste lettre morte pour la majeure partie des citoyens. La norme est connue à un stade qu’on pourrait, à de nombreux égards, qualifier d’inconscient : les vecteurs de la norme sont, de plus en plus volontairement et efficacement, situés à des niveaux en deçà d’une approche critique et rationnelle.
À rebours pourtant de cette conception du droit comme un objet élitaire et excluant, le droit paraît pouvoir être envisagé comme le moyen d’un repositionnement de l’individu face à la loi et face à l’État qui s’est confondu avec elle.
Le juriste et l’État
Que voudrait dire interroger le paradigme archique pour un juriste ?
Cela ne veut pas dire embrasser une anarchie-programme, mais décentrer le regard, à la façon des anthropologues, pour considérer ce qui existe de façon minoritaire, ce que l’on refuse de nommer aujourd’hui car cela a été battu hier. Cela se trouve nécessairement dans les marges de l’histoire de l’État, de ce pouvoir orné du droit et des armes (pour reprendre la formule impériale romaine) [16].
À l’aube du xixe siècle, après de longues années à voir cette notion défendue chez Bentham et d’autres, le droit est codifié. La critique de l’Ancien Régime et celle de l’État royal ont fini par se confondre avec celle de son droit, marqué tant par la coutume et l’éclatement géographique que par la jurisprudence et l’arbitraire des juges. Ainsi s’établit un lien apparemment évident entre la codification du droit, sa conversion à la logique légiférante et l’apparition de la Première République.
Il y a probablement ici une raison assez évidente à la marginalisation intellectuelle des études de droit. Pour les scientifiques et philosophes du xviiie siècle, le droit constituait encore un objet d’étude parmi d’autres. La tentative de transformation du juriste en interprète d’un droit sans mémoire, réduit à l’expression fixée par le Code, a eu pour effet de détacher, plus encore qu’il ne l’était, le juriste des autres facultés, voire de mettre en doute son existence.
En effet, si le juge n’est que la bouche de la loi, qu’y-a-t-il besoin de juriste ? Si celui-ci continue à exister, comment l’État doit-il le former ? Rappelons ici que l’université médiévale, dont le premier modèle fut celle de droit, se constitue comme communauté (universitas) indépendante, dont les houleuses relations et l’indépendance vis-à-vis des pouvoirs institutionnels ont longtemps configuré son histoire même.
Il ne s’agit pas de disqualifier le droit positif comme émanation d’une décision étatique, pas plus que d’affirmer le pouvoir des experts du droit sur une matière techno-ésotérique, codée et figée dans l’histoire. En effet, les historiens du droit se retrouvant bien souvent à défendre l’historicité du droit et des mécanismes juridiques contre un positivisme (qui a ses excès comme une lecture entièrement historiciste a les siennes [17]), il parait judicieux de rappeler que l’histoire fait l’objet d’écritures, suivant une méthode plus ou moins conscientisée et dont il importe de faire lecture marquée par une approche culturelle [18]. À ce titre, l’histoire de la dogmatique juridique a connu des fortunes toute particulières. Comme l’a montré Aldo Schiavone, les études juridiques n’ont bénéficié qu’avec retard et parfois incomplètement des ajustements historiques. Pour le dire autrement, il y a dans le legs romain à l’Occident, dans le droit romain impérial et ses renaissances permanentes, une résistance à la lecture purement historique.
À juste titre, le caractère impérial de la souveraineté moderne a été soulevé et cette impérialité a été justement identifiée comme la notion dont disposent, en partage, les formes étatiques de l’Occident et les dominations politiques que celui-ci a produit. Cette impérialité-là [19], qui ne meurt pas avec les empires et qui, à dire vrai, ne meurt jamais en Occident, semble parfois également refuser d’entrer dans l’histoire. Elle est véhiculée par la forme spécifique que prend le droit romain sous Justinien et contenue dans une codification (déjà), qui trahit en partie le droit romain qu’elle contient et qui se diffusera jusqu’au cœur de la modernité. Envisager l’anarchie en droit, cela peut être prendre en compte toutes les implications de cette impérialité du droit dans la mesure où celle-ci a constitué l’attrait principal du droit romain pour les architectes des formes étatiques contemporaines, jusque dans le Code civil de l’empereur des français.
XXXXX
L’histoire du droit subit bien plus fortement que les autres disciplines juridiques la pénurie de postes universitaires. Ce manque impacte directement la diffusion de la culture juridique et judiciaire et promet, sous peu, la complète technicisation des études juridiques et l’oblitération d’une culture juridique non entièrement réduite au phénomène étatique [20]. Si les historiens du droit ne sont pas les seuls vecteurs de cette culture, ils sont souvent le rappel subversif du droit – et de l’État qui l’édicte – à son contexte.
Il n’est pas inutile de rappeler que les savoirs sont situés et que cette situation s’appréhende également par l’analyse des institutions dont émanent ces savoirs.
On prête souvent aux facultés de droit un prisme de droite, une tendance conservatrice. Un colloque récent a montré que des initiatives dites de gauche ont existé dans les facultés de droit.
Apparait ici la véritable ligne de force : l’immense majorité des facultés de droit n’est ni à droite, ni à gauche, elle est au centre, elle se pense même détentrice d’un objet qui la place en dehors de ce débat. Ce qui triomphe, c’est la position selon laquelle le droit défend l’ordre établi sans pour autant introduire l’idée que les conditions d’émergence de cet ordre (politique, économique, etc.) devraient être analysées et comprises par les juristes. L’histoire du droit offre pourtant des occasions d’affirmer que le droit devrait avoir pour fonction de défendre l’ordre hors du principe et du prince comme expression du principe, cet ordre dont les anarchistes considèrent que l’État parodie et dont l’État prétend être, face au chaos, le seul défenseur.
À partir de la codification et de l’assimilation pleine du droit et de l’État, l’histoire du droit assume la fonction critique de dissoudre cette identification, de la rappeler à son échec.
Le désintérêt de la pensée pour le droit s’explique probablement par la même raison qui justifie, aujourd’hui, une réflexion des juristes autour de la notion d’anarchie. Cette notion pourrait constituer le présupposé méthodologique permettant d’interroger le soubassement finaliste des historiographies qui réduise l’histoire du droit français à cette lente concentration des pouvoirs qui aboutit à la création de l’État moderne.
Volontiers tournée vers les institutions, l’histoire du droit telle qu’enseignée aux élèves juristes l’est plus rarement vers les sources du droit. Terme métaphorique remontant à Cicéron et Tite-Live (fonte iuris), la source indique une origine d’où coule le droit et son contenu, aussi mouvant que sa forme. L’origine est un terme qui, pour citer Jacob Taubes, renvoie de façon parfois inconfortable les juristes au « sol brûlant dont s’étaient retirés les théologiens » [21], domaine renvoyant d’ailleurs aux opérations mythologiques dont parfois les apprentis théologiens se rendent coupables. Puisque l’arkhè a le double sens d’origine et de commandement, il apparaît possible d’imaginer l’historien du droit en lecteur critique de ces moments où ces deux sens se prétendent joints. Une histoire effective et critique devrait peut-être même se fixer comme programme d’identifier les moments où cette jointure se fait de façon inconsciente ou dissimulée.
Le lien impensé entre origine et principe fonctionne en projetant ces notions sur ce que Catherine Malabou nomme le « plan incliné des hiérarchies ontologiques » :
Critiquer le « préjugé gouvernemental » pour lui-même ne suffit pas si l’on ne voit pas que la subordination gouvernementale est d’abord le décalque d’une oblique logique et ontologique qui signe la complicité entre penser et dominer.
Ici, le regard critique de l’histoire permet de défaire ce que le temps agrège sous le nom de tradition, c’est-à-dire ce qui est donné. Faire l’inventaire de ce legs parait une mission de l’historien du droit qui se situe au croisement de des écritures historique et dogmatique.
Loin d’être le résultat inévitable d’une histoire linéaire, c’est l’aboutissement d’une lutte acharnée de la monarchie pour devenir absolue, en se structurant sur une certaine conception du droit. Cette conception correspond, pour une large part, à la relecture médiévale du droit romain, dans sa forme impériale tardive et consignée par Justinien, réinvestie par les canonistes militants de la Réforme Grégorienne et tombée ensuite dans les mains des juristes des différents pays d’Europe tout occupés à leur tâche de construire les moyens juridiques de l’absolutisme étatique moderne. Pour le dire autrement, faire l’histoire du droit, c’est souvent faire l’histoire des succès des pouvoirs législatifs et centralisateurs sur les résistances à la loi comme instrument de rationalisation.
Un juriste se forme à l’histoire en apprenant comment celle-ci accouche de cet État qui donne au juriste moderne sa raison d’être et son schibboleth, lequel trouve à l’aube du XIXème dans le Code de 1804, un droit codifié et unitaire.
Sur le titre : la république de Rome se termine en -27, dans les remous qui ont conduit les aristocrates du Sénat à assassiner César au motif qu’il faisait revivre, dans les consciences mais aussi dans les désirs populaires, la figure du pouvoir centralisé dans les mains d’un seul homme, la figure confondue à Rome du roi et du tyran. César mort, son fils adoptif Octave fonde, au regard de l’histoire, l’Empire romain. Au regard des contemporains, cependant, il se présente seulement comme le premier de la cité (princeps civitatis) de Rome et, s’instituant premier parmi ses pairs (primus inter pares), prétend être le garant de la conservation du modèle républicain. Ce modèle républicain avait notamment pour traits distinctifs une production juridique qui échappait, pour beaucoup, à l’empire du pouvoir. Il va, dès les premiers siècles de notre ère, être reprogrammé par la grammaire d’un type tout particulier de pouvoir, l’Empire. Par une suite d’opérations politiques plus que juridiques, le droit va passer sous contrôle de la loi. Cette loi est ce qui plaît au Prince, comme le note Ulpien d’un trait passé à la postérité juridique. Par cette opération, le prince se fait législateur, premier des citoyens et bientôt propriétaire des citoyens (dominus) à partir de la fin du IIIe siècle. Mais il se fait également interprète du droit, jurisprudent. Et ce travestissement est peut-être plus grave car il prive le droit d’une capacité subversive à dialoguer avec la loi. L’œuvre du prince se répète et s’ancre dans un acte sans cesse répété par l’histoire occidentale : la codification, c’est-à-dire l’écrasement de la temporalité du droit — le droit se construit dans le temps — et la négation des processus de création juridique par la décision politique. Si la codification du droit se présente donc comme l’acte archique de rationalisation et de systématisation qui fait signe pour la logique décisionnelle même de l’Etat, il apparait que faire l’histoire du droit devrait constituer l’opération juridique subversive et anarchique, par excellence.
Le bordel du pouvoir, l’ordre du droit
« La seule véritable anarchie, c’est l’anarchie du pouvoir » un des “maîtres” de Pasolini dans Salo, cité par Agamben, Le capitalisme comme religion.
Envisager l’anarchie, c’est repousser l’évidence avec laquelle nous est présentée le lien entre anarchie et chaos, d’une part, et ordre et pouvoir, de l’autre. C’est également envisager que l’écriture de l’histoire par l’institution au pouvoir se double toujours d’une contre-histoire, où la dérision et la distance désactivent les prétentions théoriques à légitimer les dominations et à les justifier devant l’histoire qui a pour devoir de se méfier des transcriptions officielles avec ce que James Scott nomme les discours subalternes [22].
L’anarchie n’est pas le bordel, pour faire évoluer la formule et donner prise à une analyse juridique. Si l’on envisage la dimension étymologique du bordel, c’est-à-dire supposément le confinement par Louis IX des prostituées dans de petites cabanes en bord d’eau, il parait simple d’envisager que le pouvoir n’empêche pas le chaos mais qu’au moyen du droit, il peut l’assigner à une place géographique et/ou symbolique, une place désignée et parfaitement contenue par ce pouvoir. Que dans certains cas, il se présente en rempart contre le chaos, là où ce pouvoir se contente de recourir à la technologie juridique pour en délimiter, à l’avantage de certains et au détriment d’autres, les contours et l’orchestrer, cela fait peu de doute. Que cette étape soit escamotée par ce que Walter Benjamin nomme la brutalité du droit (Gewalt) et que cet escamotage aboutisse aux récits mythiques sur la fondation de l’ordre juridique et politique, non plus [23].
Apparue conséquemment aux processus de codification, l’histoire du droit est notamment là pour déchausser l’État, le droit et les formes de domination de leur naturalité, de leur fondation en nature. À ce titre, la discipline est en mesure de communiquer aux juristes comme aux non juristes l’hypothèse selon laquelle le droit sert toujours à quelque chose. Plutôt que de charger le droit d’une mission ou d’un servage supplémentaire, il nous apparait que le rôle de l’historien du droit est de rappeler pour quoi le droit apparaît.
Donnons un exemple simple à partir de la dernière occurrence parodique et incantatoire du ministre Retailleau : la prétention à l’ordre. Pour un juriste et, en particulier, le juriste qui s’est frotté à la renaissance médiévale de la procédure, ce mot d’ordre a un sens tout particulier. L’ordo désigne, dans la théologie patristique puis dans la pensée du droit canonique, l’ensemble des garanties à un juste procès, les garanties qu’un accusé peut exiger de l’institution judiciaire.
Comme l’a probablement compris le premier ministre, les fondations de l’État de droit se situent dans le respect de ces droits et de l’ordre qui les assure. Historiquement, la solidité de cet ordre et son efficacité ne sont pas entamés par une brutalité directe mais par le jeu arbitraire des exceptions sécuritaires (et Retailleau de convoquer, comme de juste, le Covid et le terrorisme).
Les premières manifestations de l’Empire, c’est-à-dire les manifestations précoces d’un proto-État et la reconstitution du pouvoir d’un seul à Rome longtemps après la fin de la royauté, se constituent extra-ordo, en dehors de l’ordre : l’État agit selon une procédure extraordinaire, se déchargeant de l’obligation d’obéir aux règles jusque-là admises par le droit. C’est par la discrète complicité du temps — mais non, souhaitons-le, celle des historiens — et la fragilité de la mémoire que l’exception devient habitude, que l’extraordinaire devient l’ordinaire, à défaut d’être l’ordre.
Anarchie, procédure & gouvernementalité
Pour le non-juriste, le terme même de procédure a des relents kafkaïens de brutalité froide, de longs couloirs, métaphoriques ou non, où se réverbère l’angoisse que provoque l’absurdité d’un monde où la personne, la vraie (pas l’abstraite personne morale), se sent écrasée par l’injustice.
Historiquement, la procédure, c’est-à-dire l’ordo, l’ordre des choses qu’il est juste de respecter afin de garantir les droits de chacun dans la résolution d’un conflit, a démontré qu’elle pouvait être la raison d’être de la justice dans son acception aristotélicienne, rendre à chacun le sien.
David Graeber avait insisté sur la façon dont les processus, les procédures, constituaient un élément fondamental des pratiques anarchistes, en prémunissant la communauté contre le retour de pratiques charismatiques de gouvernance et de domination [24]. Ces procédures visent à encadrer les prises de paroles, la gestion des conflits et à mettre en pratique : bref, à constituer un ordo.
Encore une fois, de nombreux cas de violence par le droit sont à percevoir comme des violences faites au droit par certaines logiques “archiques” dont le droit est l’instrument [25]. Dans sa fameuse glose du propos d’Adolphe Thiers selon laquelle le roi règne mais ne gouverne pas, Foucault met au jour la notion de gouvernementalité, de gouvernementalisation de l’État qui ferait reculer en arrière-plan la logique de souveraineté au profit d’une logique de contrôle dont nous voyons assez bien aujourd’hui la logique : le désengagement de l’État abandonne la société aux acteurs privés et, dans le pire des cas, l’Etat prête à ces acteurs les moyens de sa domination. Face à cette nouvelle logique normative, que doit pouvoir le droit ?
Ce que s’empressent de faire les États en cas d’attaque terroriste, c’est d’organiser légalement (ce qui ne veut pas dire légitimement et souvent contre la logique juridique des institutions qu’ils convoquent) des procédures sommaires et exceptionnelles qui leur permettront, au prétexte d’efficacité, de couper court aux arguties du droit, arbitrairement présentés comme inadaptés à la situation. Encore une fois, il ne s’agit ensuite que de masquer en ordinaire ce qui ne l’était pas pour faire de ce scandale temporaire une injustice permanente.
Rappelons que l’anarchie n’a finalement à voir avec l’État que dans la mesure où s’identifie pouvoir, domination et logiques étatiques. Cette identification doit s’appréhender aujourd’hui en prenant en compte l’apparition d’une féodalité d’un nouveau genre et la délégation à d’autres autorités que l’État de certaines techniques de gouvernementalité.
Il ne s’agit pas d’hypertrophier le rôle du droit ou de le présenter simplement comme une arme [26]. Simplement de constater qu’il manque à l’exercice critique de la pensée une réflexion portée sur la question juridique, comme il manque souvent au droit l’ouverture aux savoirs critiques.
Jean-François Kervégan parle de « l’anarchie comme d’une “méthode” permettant une critique systématique des présupposés inaperçus de l’état de choses existant ». Il est possible de souscrire à cette idée que l’anarchisme, l’anthropologie anarchiste, l’an-archéologie ou toute tentative d’envisager ce qui se situe au niveau des principes, des commencements, revendiqués ou dissimulés, des autorités, constitue un moyen d’amener dans l’ordre du visible ce qui fonctionne en se cachant.
Anarchie juridique et anomie féodale
Pour un juriste, l’anarchie du pouvoir devrait constituer un constat, bien plus qu’un programme. Pour préciser une distinction chère à certains anarchistes et ici parfaitement appropriée, l’anarchie juridique pourrait constituer le prisme de lecture permettant de révéler tant ce qu’on appelle aujourd’hui techno-féodalisme que l’état social qu’il organise sous le nom d’anomie féodale.
Les juristes apprennent au cours de leur première année d’histoire des institutions que lorsque l’empire carolingien, après avoir reconstruit un appareil public centralisé, se désagrège, émerge un nouvel ordre politico-économique appelé féodalité.
À la faveur de la disparition du pouvoir central, des membres de l’administration précédente et de riches propriétaires érigent des châteaux forts, font régner un état de terreur par une concurrence matérialisée en guerres privées. Ils rançonnent le peuple, réduit à la condition de serfs et à payer des impôts exorbitants en échange de la protection de ces seigneurs, protection contre la violence qu’eux-mêmes provoquent.
Dans ce contexte émerge une nouvelle source de droit, d’abord fiscale, l’exaction fiscale, la domination de fait qui devient l’usage. Ce droit n’est pas écrit, il nait d’un usage : l’habitude unilatérale pour le seigneur d’exiger qu’on paie pour habiter un territoire sur lequel il s’est accaparé un pouvoir et une domination. En réponse, des coutumes naîtront de la solidarité des paysans, l’Église tentera d’imposer des paix provisoires et de limiter les dégâts. La royauté mettra plusieurs siècles avant de récupérer ce pouvoir au seigneur.
Si au capitalisme a succédé le techno-féodalisme que certains décrivent, il est plus que nécessaire de s’interroger sur ce qui fait norme aujourd’hui. À la délégation du pouvoir normatif et des techniques de gouvernementalité aux nouveaux seigneurs de l’économie numérique devraient répondre une science du droit inventive et capable de proposer au plus grand nombre une réponse alternative à l’ordre économique moderne et à la brutalité avec laquelle il impose sa normativité.
Droit et lutte
David Graeber qualifiait l’anthropologie de « discipline terrifiée par son propre potentiel ». Il semble qu’il en aille de même pour le droit, bien que certains juristes, à la manière de ceux qui ont pioché sans vergogne dans l’immense réservoir romain pour bâtir les armes de la domination absolue, ne puissent être qualifiés de timorés. Il a été rappelé par certains que l’inventivité juridique pouvait être mise au service de certaines logiques. Les situations de désordre criant auxquelles aboutissent certaines inégalités doivent pouvoir faire l’objet de qualifications juridiques audacieuses. À partir de l’exemple romain, particulièrement plastique, Laurent de Sutter en appelle à la créativité juridique.
La forclusion lacanienne a été tirée du vocabulaire juridique : est forclose l’action juridique qu’on éteint car elle n’a pas été revendiquée. Afin d’éviter la forclusion générale et d’en appeler consciemment à l’ordo, il est nécessaire de penser aujourd’hui la façon dont est enseigné le droit. D’une part pour former des juristes capables d’esprit critique quant à leur matière et aux forces qui la font évoluer, d’autre part pour briser le statut élitaire du savoir juridique.
Selon la formule hégélienne des Principes de la philosophie du droit, la tâche de la philosophie est de « penser ce qui est ». En regard, la tâche du droit pourrait être de donner un nom et de donner une réalité à ce qui est pensé. Penser l’anarchie et la faire exister, même de façon éparse dans l’ordre juridique, peut constituer la tâche d’un juriste irrité par l’apparition d’un désordre qui, scandaleusement, prend le nom de l’ordre.
Clément Kalsa
[1] Sur ce point, voir les réflexions de T. Ibanez, Repenser l’anarchisme, Montreuil, Nada, 2024.
[2] G. Agamben, « Qu’est-ce qu’un commandement ? », dans Création et Anarchie, Paris, Payot et Rivages, 2019
[3] D. Graeber, Pour une anthropologie anarchiste, Montréal, Lux, 2006.
[4] Sur ce point, voir les réflexions de T. Ibanez, Repenser l’anarchisme, Montreuil, Nada, 2024 ; R. Schürman, Le principe d’anarchie : Heidegger et la question de l’agir, Bienne – Paris, Diaphane, 2013.
[5] Q. Pironnet, « Droit et dystopies », Revue interdisciplinaire d’études juridiques, n°77/2, p. 363-392.
[6] Plusieurs entreprises ont été menées dans les facultés de droit autour de ces interrogations sur les liens entre droit et littérature (la revue Droit et littérature), sur l’analyse juridique de l’image filmée ou dramaturgique (https://imaj.hypotheses.org/).
[7] À ce titre, il est d’ailleurs symptomatique que cette confusion, ce flou du politique et du juridique est d’ailleurs l’une des limitations conceptuelles centrales dans la lecture qui est faite, si polémiquement, des sociétés islamiques traditionnelles et contemporaines, et des lectures incantatoires du modèle de la shariah. Dans de nombreuses sociétés d’islam, la lutte la plus violente oppose le prince aux juristes ; voir notamment N. Mouline, Le Califat : histoire politique de l’islam, Paris, Flammarion, 2016. Pour une lecture des subversions politiques dans le monde musulman, voir également L. Babes, L’utopie de l’Islam : la religion contre l’Etat, Paris, Armand Collin, 2011.
[8] M. Belhaj Kacem, Vo Contingence, Système du pléonectique, Paris, Diaphanes, 2020, p. 95.
[9] J. Gaudemet, Les naissances du droit : le temps, le pouvoir et la science au service du droit, Issy-les-Moulineaux, LGDJ-Lextenso, 2016 ; A. Schiavone, Ius : l’invention du droit en Occident, Paris, Belin 2008. Il suffit ici pour prouver notre argument de rappeler à quel point ces noms, pourtant auteurs d’ouvrages cruciaux sur le rôle du droit dans la formation de nos modèles politiques, conceptuels, sociaux sont peu lus.
[10] Sur ce débat crucial pour le développement contemporain du droit et de ses modalités de création et d’enseignement, E. Djordjevic, « Philosophie du droit et science juridique positive. Hegel et Savigny », Droit & Philosophie, n°14, 2023.
[11] Sur la révolution juridique du xiie siècle, voir entre autres P. Legendre, La balafre : discours à de jeunes étudiants sur la science et l’ignorance, Paris, Milles et une nuits, 2007, H. Berman, Droit et révolution, Aix-en-Provence, Librairie de l’Université d’Aix-en-Provence, 2002.
[12] L. de Sutter, Hors la loi : théorie de l’anarchie juridique, Paris, Les liens qui libèrent, 2021.
[13] J. Krynen, « Les légistes “idiots politiques”. Sur l’hostilité des théologiens à l’égard des juristes, en France, au temps de Charles V », Publications de l’École Française de Rome, 1991, 147, p. 171-198
[14] Sur ce point, voir l’important ouvrage de J. Lenoble, F. Ost, Droit, mythe et raison. Essai sur la dérive mytho-logique de la rationalité juridique, Bruxelles, Facultés universitaires Saint-Louis, 1980.
[15] J. Ellul, « Le droit comme réducteur de crise », Droit, institutions et systèmes politiques. Mélanges en hommage à Maurice Duverger, Paris, PUF, 1988, p. 63-77.
[16] Pour en donner un exemple récent, voir l’article d’A. Spampinato, « “La lutte pour le droit”. L’expérience du berger sarde face à la justice », Droit & Philosophie, 12, 2021.
[17] Sur ce point, voir notamment : J.-L. Halpérin, « Le droit et ses histoires », Droit et société, n°75/2, 2010, p. 295-313.
[18] Voir notamment A.-S. Chambost, Approches culturelles des savoirs juridiques, Paris, LGDJ, 2020.
[19] M. A. Meziane, E. Mahieddin, « Pour une anthropologie de l’impérialité », Journal des Anthropologues, 170-171, 2022.
[20] D. Mantovani, F. Garnier, « L’apport de l’histoire du droit est essentiel à la santé d’un État de droit », Le Monde, Avril 2023.
[21] J. Taubes, En divergent accord : à propos de Carl Schmitt, Paris, Payot & Rivages, 2003, p. 25.
[22] J. C. Scott, La domination et les arts de la résistance : fragments du discours subalterne, Paris, Éditions Amsterdam, 2019.
[23] W. Benjamin, Critique de la violence et autres essais, Paris, Éditions Payot & Rivages, 2012. À propos des procès contre la bande à Baader, Jean Genet distinguait violence et brutalité (Le Monde, 1977) dans des termes qui devraient permettre de questionner la traduction de Gewalt en violence chez Benjamin. Si la langue allemande ne permet pas de faire la distinction, elle est féconde en français.
[24] D. Graeber, L’Anarchie – pour ainsi dire, Berlin – Zürich, Diaphanes, 2021.
[25] P. Coppens, M. de Nanteuil, La violence du droit : regards croisés sur Walter Benjamin, Bruxelles, Bruylant, 2021.
[26] Sur les risques d’une telle lecture, L. Israël, L’arme du droit, Paris, Sciences Po-Les Presses, 2020.
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