© Image Armine Rouhani

SPINOZA IN CHINA | 14 NOVEMBRE 2011 | 29 & 30 DÉCEMBRE 2014 | 1 & 2 & 5 JANVIER 2015

par Marc Perrin

Hors-sol, La vie manifeste, Libr-critique, et remue.net s’associent pour publier Spinoza in China | Novembre 2011 en feuilleton itinérant, d’une revue l’autre, à partir de la journée du 9 novembre 2011.

 
 
 

9h01. Où qu’ils soient. Ernesto & Yameng se disent au revoir. Yameng tend la main à Ernesto. Grand sourire. Ernesto saisit la main de Yameng. Voilà. Ils viennent de se dire au revoir.
 
 
 
9h02. Où qu’il soit. Ernesto ne se retourne pas pour suivre des yeux Yameng et regarder le chemin qu’elle prend.
 
 
 
9h03. Ernesto sent quelques mots qui lui trotte dans la tête et qu’il ne comprend que partiellement. Quelques mots qu’il ne comprendra en fait véritablement que le 23 juillet 2014, prenant une douche, bien froide, au 5° étage porte gauche, 11 rue Camille Desmoulins, Paris 11ème, juste avant de rejoindre Angela. Où qu’elle soit. Le bonheur. Veut durer. Où qu’il soit. La joie. Est d’être. Quelque forme qu’elle prenne.
 
 
 
Ok.
 
 
 
• 29 décembre 2014 •
 
 
 
quand Ivan et Maryse et Pavlov poussent la grille devant la maison je vais voir Angela dans l’atelier et je lui dis Ivan et Maryse et Pavlov viennent d’arriver
 
 
 
dans la grande salle du bas nous ouvrons la bouteille de muscadet qu’Ivan et Maryse et Pavlov ont amenés
 
 
 
alors avec Baruch et Virginia nous sommes sept de l’espèce mammifière dans la grande pièce du bas
 
 
 
alors avec Angela et Maryse et Pavlov nous buvons le muscadet tandis qu’Ivan boit du lait chaud et que Baruch et Virginia dorment sur un coin de canapé
 
 
 
puis Angela et Ivan jouent à Puissance 4
 
 
 
puis Elie et Mathias et Dilma et Vana et Théo et Chen Mao et Jamal et Jacques nous rejoignent et dans la grande pièce du bas on est treize de l’espèce animale mammifère dont onze sont des êtres humains
 
 
 
alors Elie et Ivan boivent du lait chaud et avec Angela et Maryse et Martin et Pavlov et Samira et Théo nous buvons du vin blanc et du vin rouge et de la grappa aussi offerte l’été dernier par Olivier et Perrine, et Baruch et Virginia boivent un peu d’eau après qu’ils ont mangé leur mélange bœuf haché riz carotte huile d’olive
 
 
 
alors avec Angela, Chen Mao, Dilma et Vana, Elie, Jamal, Jacques, Ivan, Mathias, Pavlov et Théo, nous mangeons et buvons ce que nous avons achetés ou et préparés pour le boire et le manger
 
 
 
puis j’offre À nos amis du Comité invisible et Les années 10 de Nathalie Quintane à Ivan et Maryse et Pavlov
 
 
 
alors Ivan et Maryse et Pavlov me disent qu’ils me rendront les livres quand ils les auront lus
 
 
 
alors je dis à Ivan et Maryse et Pavlov que c’est cadeau que s’ils souhaitent ils peuvent faire circuler en offrant à leur tour À nos amis du Comité invisible et Les années 10 de Nathalie Quintane
 
 
 
Midi. Shanghai. Après le marché des célibataires, le marché aux animaux. Là. Animaux en cage. Animaux en bocaux. Animaux en boîtes. Animaux enfermés. Tous : à vendre. Insectes. Oiseaux. Chats. Chiens. Tortues. Têtards. Lézards. Grenouilles. Se cognent aux parois. Certains veulent sortir. Tous sont à vendre. Animaux seuls. Animaux en nombre. Animaux seuls ou en nombre dans bocaux. Dans cages. Dans boîtes. Animaux enfermés. Tous sont à vendre.
 
 
 
14h23. Une inscription est gravée sur la façade de la librairie Shanghai’s city of books. LES LIVRES. CONSTITUENT L’UN DES MARCHE-PIEDS POUR LE PROGRÈS DE L’HUMANITÉ. Ernesto entre dans la librairie. À l’entrée, le portrait géant de Steve Jobs accueille les visiteurs. LES LIVRES. CONSTITUENT L’UN DES MARCHE-PIEDS POUR LE PROGRÈS DE L’HUMANITÉ. This is. The exclusive biography of Steve jobs. Les lunettes. De Steve Jobs. La barbichette. De Steve Jobs. Le premier de nous 2 qui rira ? Aura une tablette. Ou une pomme. This is. The exclusive biography. Of. Une espèce. De super blague. À l’échelle de l’humanité. LES LIVRES. CONSTITUENT L’UN DES MARCHE-PIEDS. POUR. LE PROGRÈS DE L’HUMANITÉ.
 
 
 
• 30 décembre 2014 •
 
 
 
avec Angela et Arno et Théo on entre dans la voiture et on va acheter des huîtres, des citrons, de la crème fraîche, des bananes et des clémentines au marché de Talensac, à Nantes
 
 
 
puis avec Angela et Arno et Théo on roule jusqu’au Plessis et jusqu’à la ferme où vivent Marco & Sokouvitch on y arrive aux environs de 10h
 
 
 
sur la route, tout est blanc, on aime ce paysage, depuis l’habitacle de la voiture on se le dit, plusieurs fois
 
 
 
puis au Plessis on boit un café
 
 
 
puis on reprend la route tandis que Marco reste ici pour s’occuper de la ferme et avec Angela et Arno et Sokouvitch et Théo on fonce vers l’Allemagne
 
 
 
on évite les autoroutes et 125 kilomètres avant Lille on prend l’autoroute pour 125 kilomètres
 
 
 
on donne 10 euros à Vinci on est encore dans une vie avec du temps qui nous manque
 
 
 
le temps qui nous manque est un manque est un allié objectif de toutes nos tristesses
 
 
 
on roule pendant 16 heures environ, on écoute des cd en boucle, on mange un sandwich accompagné de frites décongelées
 
 
 
on achète les sandwichs et les frites dans un restaurant à Chaouillé dans le département de l’Orne
 
 
 
un homme boit une bière au comptoir du restaurant de Chaouillé
 
 
 
il monte dans un 4×4 pour aller acheter du pain dans une boulangerie
 
 
 
c’est pour les sandwichs qu’on vient de commander qu’il va acheter le pain
 
 
 
c’est pour rejoindre la boulangerie à quatre cents mètres du restaurant qu’il prend le 4×4
 
 
 
nous mangeons les sandwichs accompagnés des frites décongelées tandis que nous roulons en direction de la Belgique
 
 
 
on achète une carte routière Allemagne Benelux Autriche République Tchèque une fois qu’on est en Belgique
 
 
 
il y a les noms des villes sur les panneaux le long des routes par exemple il y a Rouen, Alençon, Amiens, Lille, Gent, Antwerpen, Eindhoven, Venlo, Münster, Onsnabrück, et il y a le nom du village Bardüttingdorf
 
 
 
on roule en direction de Bardüttingdorf on y arrive un peu avant minuit
 
 
 
Bardüttingdorf n’est pas indiqué sur la carte routière Allemagne Benelux Autriche République Tchèque c’est Uli qui nous guide par téléphone pour les derniers kilomètres jusqu’à Bardüttingdorf
 
 
 
c’est Laurent qui vient nous chercher devant un garage BMW à Bardüttingdorf
 
 
 
il est minuit, on retrouve les amis on est les derniers de la bande à arriver, certains sont déjà couchés
 
 
 
15h24. Exposées dans une galerie, au nord de la ville, des peintures hyper réalistes représentant des intérieurs de pauvreté. Les intérieurs représentés sont vides de ceux qui vivent dans ces lieux. Les peintures sont encadrées dans de lourds cadres dorés. Les peintures sont réalisées à partir de photographies prises dans les intérieurs même de la pauvreté. Les prises de vues sont localisées par des captures d’écrans Google maps. Action of Consciousness est le titre de l’exposition. ShanghArt Gallery and H-Space est le nom de la galerie.
 
 
 
• 1er janvier 2015 •
 
 
 
avec Laurent et Dzeta on marche un long moment, dehors, au grand air de la campagne de Bardüttingdorf
 
 
 
Laurent parle des pouvoirs méchants
 
 
 
je parle de l’arrogance des pouvoirs méchants
 
 
 
Dzeta parle des violences conséquentes qui sont faites à nos vies puis elle dit
 
 
 
prendre la parole
 
 
 
n’est jamais arrogance quand la parole est dite pour énoncer
 
 
 
Laurent traduit
 
 
 
prendre la parole
 
 
 
n’est jamais arrogance quand la parole est dite pour affirmer
 
 
 
une existence
 
 
 
non
 
 
 
pour en faire plier
 
 
 
une autre
 
 
 
avec Laurent et Dzeta nous parlons en amitiés dans l’air vif de la campagne de Bardüttingdorf
 
 
 
Je parle de la notion de puissance opposée à celle de pouvoir tel que je comprends ces notions en compagnie de Spinoza et Deleuze et d’autres en amitiés
 
 
 
Dzeta parle de la puissance en tant qu’elle évoque ce qu’il nous est possible de vivre
 
 
 
Dzeta parle de la puissance en tant qu’elle évoque ce que l’on peut vivre
 
 
 
je parle en compagnie de Spinoza et Deleuze et d’autres en amitiés
 
 
 
de la puissance en tant qu’elle évoque ce qui peut s’accroître, sans volonté de règne, sans volonté mais avec désir
 
 
 
16h05. Dans un parc au centre de la ville. Une femme occidentale. Blanche. La blancheur de sa peau. Ses cheveux roux. Une valise ouverte à ses côtés. Les tissus qu’elle extrait de la valise pour les faire sécher sur des buissons. Les tissus qui sèchent au soleil. Une femme chinoise – asiatique du moins – vient lui parler. Une autre femme vient leur amener à manger. Un homme frappe dans ses mains, marchant, faisant le tour d’un petit lac au milieu du parc. Un homme marche avec une canne, pas à pas, quittant l’endroit, lenteur, lenteur extrême de sa marche. Un homme avec un chapelet sort un oiseau d’une cage. Le bruit de la ville.
 
 
 
• 2 janvier 2015 •
 
 
 
dans la salle à manger de cette maison où nous nous retrouvons à Bardüttingdorf j’offre À nos amis du Comité invisible et Les années 10 de Nathalie Quintane à Manfred et Uli qui nous accueillent
 
 
 
À 17h37. Un homme, à terre, aux côtés d’un scooter renversé. La nuit qui commence à tomber. L’homme qui se lève, titubant, fouillant dans ses poches et restant à proximité du scooter. L’homme, qui retombe à terre et continue de chercher quelque chose dans ses poches. L’homme, sortant d’une des poches de son pantalon un téléphone portable. Gold. Il se relève. Il compose un numéro. Il titube. Une petite foule s’amasse autour de lui et du scooter. Un policier regarde et reste à l’écart. L’homme, titubant, délaissant le scooter. Ceux qui composent la petite foule le regardent s’éloigner. Le scooter est au sol. L’homme s’enfonce dans une autre rue, téléphone à l’oreille. Titubant. On le perd de vue.
 
 
 
• 2 janvier 2015 •
 
 
 
dans la salle à manger de cette maison où nous nous retrouvons à Bardüttingdorf j’offre À nos amis du Comité invisible et Les années 10 de Nathalie Quintane aux amis qui sont ici, réunis, physiquement, ou par la pensée
 
 
 
À 17h48. Un homme, allongé à terre, sur une passerelle reliant 2 parties de la vieille ville. Il mendie. Il agite un bol en métal, avec des pièces de monnaie, dedans. Les pièces de monnaies tintent contre le métal du bol. Le tintement, rythmé, du son des pièces frappant les parois intérieures du bol en métal. Le tintement, rythmé, perceptible avant même de voir l’homme allongé au sol. La nuit : est tombée. Il fait sombre sur la passerelle sous laquelle on entend, recouvrant presque en permanence le tintement des pièces de monnaie dans le bol en métal, les moteurs et klaxons de tous types de véhicules, qui filent à grande vitesse et dans les deux sens d’une 2 fois 5 voies. La tête de l’homme, qui mendie, est appuyée sur un coussin. Sur la passerelle, certains piétons traversant la 2 fois 5 voies donnent de l’argent à l’homme allongé au sol. Régulier, quel que soit le nombre de voitures qui passent sous la passerelle. Régulier, quels que soient le nombre et la vitesse de déplacement des piétons passant sur la passerelle. Quel que soit la somme d’argent donnée par les piétons passant sur la passerelle. Régulier, le rythme du tintement des pièces de monnaies contre le métal du bol.
 
 
 
• 2 janvier 2015 •
 
 
 
dans l’une des bibliothèques de cette maison où nous nous retrouvons à Bardüttingdorf, j’envoie quelques sms dont un vers Barbara qui se bat contre un cancer
 
 
 
à Herford je perds mon téléphone portable et maintenant je vis sans téléphone portable, c’est bon
 
 
 
ici, nous sommes une famille d’amis ; c’est une drôle de choses : une famille d’amis
 
 
 
les enfants des amis avec les années ne sont plus des enfants et deviennent des amis et restent les enfants des amis et nous-mêmes enfants toujours un peu nous nous voyons vieillir et changer, nous nous voyons grandir, nous grandissons ensemble, c’est important, il est important de le vivre
 
 
 
il y a les noms des villes : Dortmund, Essen, Düsseldorf, il y a la vallée de la Ruhr et les industries
 
 
 
il y a des bibliothèques dans des maisons et dans la bibliothèque de cette maison il y a les livres écrits par Manfred & Uli et les livres lus par Manfred & Uli et les livres aimés par Manfred & Uli et nous sommes là, réunis, en amitiés, physiquement et par la pensée
 
 
 
il y a devant la gare Lille Europe Anne qui descend de la voiture et qui rejoint le prochain Tgv en direction de Paris
 
 
 
et au compteur plus de 2000 kilomètres et dans la nuit on voit les murs de la ferme avec Marco endormi dedans
 
 
 
on rejoint Nantes
 
 
 
on connaît la puissance irremplaçable de l’amitié et de l’amour
 
 
 
on fait ce qu’il nous semble bon pour que cette puissance vive et nous avec
 
 
 
23h09. Elle a fermé la porte, cette conne. 23h10. Ernesto regarde Vince Parker. 23h11. Ernesto garde le silence. 23h12. Le silence prend toute la place. 23h13. De quoi est-ce que tu as peur. 23h14. La peur prend toute la place. 23h15. Cette conne. 23h16. Formule de l’impuissance. 23h17. Je rejoins la chambre au-dessus de l’appartement. 23h18. Caroline et Vince Parker se connectent à Skype. 23h19. Depuis la chambre au-dessus de leur appartement je les entends parler. 23h20. Avec leurs parents. 23h21. Sainte famille. 23h22. Ce que je vois de leur misère n’est pas leur misère mais la mienne. 23h23. Ce que je ne vois pas de leur amour ne dit rien de leur amour. 23h24. Je me souviens d’une chanson de Christophe Huysman, dans le spectacle Cet homme s’appelle HYC, c’était l’été 2002 je crois. 23h25. C’est / qu’il nous en faudra du courage / pour ne pas / s’abaisser.
 
 
 
• 5 janvier 2015 •
 
 
 
il y a Baruch et Virginia, en équilibre, sur les branches sans feuille de l’arbre en face de la maison, de l’autre côté de la rue
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

////////////////////// Autres documents

IMG_3061SPINOZA IN CHINA | 10 NOVEMBRE 2011
par Marc Perrin
10 novembre 2011. Il est maintenant 17h32. Ernesto – déguisé en professeur de 43 ans et 4 mois, avec une cravate vert fluo, donc, pas trop serrée autour du cou – , dans la classe de terminale économie | philosophie | anthropologie & insertion sociale de Vince Parker. C’est-à-dire : devant un parterre de jeunes adolescents français, tous âgés de 17 ans et 1 mois → + → quelques siècles → tous & toutes filles & fils de directeurs de Danone Chine, Michelin Chine, Total Asie, Sanofi & Dior Asie du sud-est, etc.

F1000035-2Spinoza in China, premières années.
En novembre 2012. Angela + Ernesto → passent un mois à XingPing, en Chine, avec un colibri, sur une terrasse, et aussi avec une vue imprenable sur les pics karstiques dominant le fleuve Li – le matin – et, chaque après-midi → font une balade de l’autre côté du fleuve.
C’est lors de l’une de ces balades qu’Angela + Ernesto découvrent un cahier rédigé dans une étrange langue, faite comme d’un mélange d’hébreux, de portugais, d’espagnol, de flamand, de latin et de chinois, cahier qui n’est rien d’autre que l’autobiographie rédigée par Spinoza lui-même lors du voyage qu’il effectua en Chine en 1676, une année avant sa mort.

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par Marc Perrin
Les fragments ci-dessus ont été écrits dans la compagnie du film ‘‘ça va durer encore longtemps ?’’ de Bernard Pelosse – en cours de réalisation -, ainsi qu’en écho au texte Ultimatum de Frédéric Neyrat