© Image Sylvain Couzinet Jacques

Les mots d’Alain Badiou

Une série de 10 entretiens radiophoniques avec Alain Badiou
Réalisation : Emmanuel Moreira
Production : Radio grenouille

Des mots appartenant au vocabulaire, aux écrits du philosophe – des mots concepts, d’une certaine manière.
Au terme de cette série, c’est tout autant une toile tissée qu’une cartographie de la pensée d’Alain Badiou.

Refaire le pari du XX°S. Déclarer à nouveau L’Idée contre la réalité. La liberté contre la nature. L’évènement contre l’état des choses. La vérité contre les opinions. L’intensité de la vie contre l’insignifiance de la survie. L’égalité contre l’équité. Le soulèvement contre l’acceptation. L’éternité contre l’Histoire. La science contre la technique. L’art contre la culture. La politique contre la gestion des affaires. L’amour contre la famille.

Alain Badiou, Le siècle

Dans L’Être et l’Évènement il s’agissait de montrer que les vérités étaient encore possible. Dans Logique des mondes il s’agissait de montrer l’apparaître des vérités dans un monde déterminé.

Liste des mots :
Philosophie / anti-philosophie – Être / Existence / Intensité – Vérité – Identité et différence – Monde – Événement – Décision et fidélité – Réveil de l’Histoire / Idée – Réel – Poésie

01. Philosophie / anti-philosophie

Philosophie : Adressée à tous pour que tous soient dans le saisissement de l’existence des vérités, elle est comme stratégie politique sans enjeu de pouvoir. Fiction de savoir, la philosophie imite le mathème. Fiction d’art, elle imite le poème.

On ne devient philosophe qu’en étant le disciple d’un maître. La philosophie a pour but d’éclairer la possibilité d’un choix radical quant à l’existence. Choisir sa vie. Changer de vie.
Comprendre un système philosophique c’est comprendre son paradoxe fondamental. Rousseau : « Je préfère être un homme à paradoxe qu’un homme à pré-jugés. » Tout jugement qui n’a pas traversé le paradoxe de la rationalité dialectique est un pré-jugé. Préjugé est autre nom pour l’opinion. La philosophie juge les jugements.

Tout le processus philosophique est polarisé par un adversaire spécifique, le sophiste. On ne peut en finir une fois pour toute avec le sophiste. La pensée est tenue dans l’alternative suivante : soit des effets de discours, des jeux de langage, soit le silence.
Wittgenstein : « ce qui ne peut se dire, il faut le taire ». La philosophie n’existe qu’à soutenir que ce qui ne peut se dire est précisément ce qu’elle entreprend de dire.

L’anti-philosophe dit toujours que le philosophe manque à la singularité. Il récuse le système au regard de la singularité qu’est la sienne. D’où que les anti-philosophes son de grand inventeur de langue. Une langue poétique dans la prose. L’anti-philosophe est toujours au bord du poème.

Fin de la philosophie
Althusser : La philosophie est aujourd’hui paralysée par le rapport à sa propre histoire.
Oublier l’histoire de la philosophie. Oublier l’histoire, cela veut dire prendre des décisions de pensée sans se retourner vers un supposé sens historial. Remplacer la question de la fin de la philosophie par la question des conditions.
Toute pensée s’assure d’une conviction primordiale qu’elle n’est pas en état de légitimé du point de l’expérience. Quelque chose est décidé. Toute pensée est axiomatique.L’engagement politique est axiomatique.

02. Être / Existence / Intensité

Le discours sur l’être « le il y a », se réalise comme mathématique des multiplicités. L’ontologie c’est la pensée des multiplicités pure. L’être n’est que multiplicité pure mathématiquement formalisante. Le registre de l’être est celui de la multiplicité des multiplicité. L’Etre n’est sujet de rien. Il est sans qualité. D’abord absenté l’homme. Ne pas partir de l’homme. S’émanciper dès le départ de la Théologie et de l’Anthropologie. On ne peut pas démarrer la philosophie avec l’Homme.

L’existence est du côté de l’apparaître. L’apparaître à pour essence non une forme de l’être, mais des formes de relation entre les multiples. On peut appeler logique une théorie formelle des relations. La pensée de l’apparaître est une logique.

L’existence : intensité d’apparaître d’une multiplicité dans un monde déterminé.

Il y a des moments où vient à exister de façon maximale. Elle n’était rien, là voilà tout.

L’être est une composition et l’existence est une intensité de cette composition. L’être ne change pas seule l’existence change dans un changement de monde.

03. Vérité

Les vérités existent tout comme existent des corps et des langages. La catégorie de vérité est la catégorie centrale de toute philosophie possible.
Seule une vérité est, comme telle, indifférente aux différences.
Alain Badiou appel vérité le processus réel d’une fidélité à un évènement. Une vérité fait exception aux lois du monde.
La difficulté du scepticisme contemporain est de faire émerger des vérités nouvelles.
Une vérité est un processus hasardeux quant à sa possibilité, subjectif dans sa durée, particulier dans ses matériaux, universelle dans son adresse ou son résultat, infini dans son être et déployé selon quatre types de procédures (science, politique, art, amour).

6 caractéristiques descriptives de la vérité
1. Par vérité on entend, construction, processus, création. Il ne s’agit pas de l’exactitude d’un jugement. Mais d’une réalité dans le monde. Par le mot vérité on entend quelque chose qui existe dans le monde.
2. Le processus inclut un élément hasardeux. Évènement est le nom de ce hasard dans le processus de vérité. L’évènement est le point d’origine du processus. Toute vérité commence par l’interruption des répétitions. La possibilité évènementielle n’est pas réductible au contexte d’où elle est née.
3. Le processus de construction d’une vérité est aussi et en même temps le processus de construction d’un sujet de la vérité.
4. Il y a une universalité de toute vérité. Une vérité peut-être intelligible et déployé dans un monde qui n’est pas celui dans lequel elle s’est instituée. Universalité est ce qui subsiste d’un monde disparu, mais qui demeure malgré tout praticable.
5. Un processus de vérité est infini.
6. 4 type de procédure de vérité : Arts, science, politique et amour.
Science : Lien entre écriture et réel.
Art : Déplacement entre forme et informe.
Politique : La capacité collective.
Amour : La différence.

04. Identité et différence

Un monde est un ordre qui prescrit des relations d’identité et de différence entre des multiplicités. Penser la relation entre des multiplicités. Dans quelle mesure elles sont même et autre des autres.
Philosophie de l’intensité et de la différence. Plus l’intensité est forte plus la différence est forte. Le degré d’intensité de l’existence d’un multiple dans un monde correspond au son degré d’identité à lui-même. Degré d’existence = degré d’identité à soi.
Un multiple peut exister dans le monde avec une intensité minimal. L’inexistence dans un monde est donc possible. Un multiple peut être dans un monde avec un apparaître minimal.
L’homme c’est l’être localisable dans le plus de monde possible, avec une variation d’intensité maximale de son existence.
Si le degré d’intensité d’un multiple à lui-même est le degré maximal, ce multiple existe dans le monde sans aucune limitation

L’identité vient d’une loi extérieure. L’identité vient de la loi de la différence. C’est une loi de l’autre. Par exemple : Le lieu de naissance, le nom, le physique …. Ce qui est identitaire en soi, c’est la voix/e de l’autre. Pour ne pas être la proie de l’autre il faudra récuser l’identité. La liberté n’est pas identitaire. En moi, l’élément proprement identitaire c’est ce dont je ne peux pas dire que je ne le suis pas, bien que pour l’essentiel je n’y sois pour rien. En un certains sens l’identité est composée d’éléments indéniable.
Nietzsche : « Devient qui tu es. » Cela veut dire abandonne ton identité. Devenir qui tu es en abandonnant son identité c’est sortir hors de la garantie de l’autre. C’est se fier non pas à l’origine mais à la rencontre.

05. Monde

Un monde est un ordre qui prescrit des relations d’identité et de différence entre des multiplicités. Penser plusieurs monde possible. Un monde est Une pluralité intotalisable. Dans la mesure où il n’y a pas de totalité, il n’y a pas de monde qui puisse contenir toutes les multiplicités pensable. Ce qui constitue un monde c’est un certain régime d’articulation du même et de l’autre mettant en relation des multiplicitées pure.
Une vision a-cosmique du monde.
Un monde est un lieu d’apparaitre qui distribue un régime particulier d’identités et de différences. Un monde qui ne soit, ni corrélât, ni environnement, ni création de l’Etre.

Changer le monde implique que ce qui était identique devient différent et/ou ce qui était différent devient identique. Le changement de monde c’est quand l’existence change radicalement d’intensité.

06. Événement

L’évènement est le produit d’une interprétation. Le changement du monde est sous conditions d’un évènement pour ouvrir une fissure dans le régime de la domination. Mais le changement du monde n’est pas réductible à l’évènement. On appellera évènement ce qui est l’occasion de rencontrer un pouvoir. Pour le sujet c’est la découverte d’une capacité qu’il ne se connaissait pas, parce qu’il était gouverné sous le régime de l’identitaire. Un « je peux » inédit apparaît. Il est interruption du « je ne peux pas ».

L’évènement est à la fois situé – il est évènement de telle ou telle situation – et supplément de la situation.
L’évènement ouvre un espace subjectif où prennent place, la figure subjective fidèle et la figure réactive.

Qu’est ce que le siècle ? demande le siècle. Et il répond : C’est la lutte finale.
Brecht : Quand le nouveau va-t-il enfin venir ?

07. Décision et fidélité

Le processus d’une vérité requiert une décision.
De la décision de se rapporter à la situation du point de vue du supplément évènementiel. On appel vérité le processus réel d’une fidélité à un évènement. Être fidèle à un évènement, c’est se mouvoir dans la situation que cet évènement à suplémenté. Être fidèle c’est penser la situation selon l’évènement.

La fidélité à l’évènement c’est l’organisation politique comme produit collectif de la consistance évènementielle.

08. Réveil de l’Histoire / Idée

Toute nuit fini par détenir la promesse de l’aube.

La forme collective de la période intervalaire est principalement l’émeute. Une émeute expose l’Etat à une variation brusque mais elle n’en constitue pas la variation.

Idée : On appellera idée la médiation subjective entre une vérité et son trajet dans le monde. L’idée est active, parce qu’elle oriente un trajet dans le monde.

09. Réel

Comment accède t-on au réel ? Par un acte qui arrache le masque du semblant de réel et le divise. Tout accès au réel porte atteinte au réel et le divise. Quel est le semblant du capitalisme ? : la démocratie. Quel est l’impossible du capitalisme : l’égalité.
Ce qui dévoile le réel du capitalisme c’est l’affirmation de l’égalité, sont impossible.
Un point du monde peut contredire le monde entier. Ce point est un point de possibilité.
« Un présent fait défaut » Mallarmé 1880.

10. Poésie

La poésie pense. La poésie va plus vite que la pensée
La poésie est le lieu langagier d’une confrontation radicale avec le réel.
La philosophie peut envier le poème, l’exclure ou le classer.
Il y aurait depuis toujours un défit de l’art au concept.

 
 
 

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1234793_695634933798789_1249547121_nLes mots d’eRikm
eRikm, musicien, platiniste, plasticien.
Compositeur et musicien improvisateur, plasticien et vidéaste, virtuose des platines et des arts sonores, eRikm (vit et travaille à Marseille) développe une approche ouvertement prospective du médium technologique. Il conçoit, seul ou en collaboration (avec Luc Ferrari, Christian Marclay, Akosh S., Mathilde Monnier, Bernard Stiegler, FM Einheit…), des œuvres transversales qui constituent une vision kaléidoscopique singulière et mettent en tension l’intime et le politique, le populaire et le savant.

 

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Entretien avec Mehdi Belhaj Kacem, à propos de la publication aux Nouvelles éditions Lignes de l’ouvrage Inesthétique et mimésis. Tout sépare-t-il Alain Badiou et Philippe Lacoue-Labarthe ? Tout ne les sépare pas et eux-mêmes s’en sont expliqués.
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