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Grèce retour

Il y a au moins un point sur lequel on devrait s’entendre : le problème n’était pas de « sortir de l’Europe » (Merkel ou Giscard semblaient s’en accommoder) ; le problème était de savoir comment faire pour ne pas continuer à effrayer avec l’équation : sortie de l’Europe = chaos.

Tsipras, si vous y tenez, n’est pas un traître. Il a en tout cas raté le possible qu’il avait ouvert avec son gouvernement : celui d’un peuple qui décide de prendre le risque d’être mis dehors. La majorité des gens voulaient rester dans l’euro ? Oui, mais une grande majorité est allé voter pour dire qu’elle ne resterait pas à n’importe quel prix dans l’euro, pas au prix d’une nouvelle aberration, une nouvelle mouture de l’austérité. Il aurait donc fallu au moins prendre les mesures que proposait Vakaloulis (je n’ai pas de confiance particulière en lui, je crois juste qu’il pouvait avoir ne bonne tactique sur le moment) pour justement occuper la place du : ni sortir, ni rester, mais continuer la négociation tout en trouvant les dispositifs qui permettaient d’affirmer : « la peur ne nous conduit pas, nous ne nous soumettrons pas à elle une fois encore, et nous savons de toute façon que nous y soumettre, c’est se construire à coup sûr un avenir écrasé, bouché, mort ».

La véritable question aurait été celle de l’alternative concrète, qui aurait peut-être été rendue possible par ce que nous avons entrevus le soir du référendum : un peuple d’Europe refuse « l’Europe », donc pour parer à l’urgence (circulation de vivres et de médicaments) il peut faire appel à ces gouvernements d’Amérique du sud (Bolivie en particulier, Vénézuela, peut-être même l’Argentine) au nom de la solidarité révolutionnaire. C’est délirant ? Alors, cessons de délirer et arrêtons de parler d’une transformation du monde ; pour une fois, cette transformation nous a paru si ce n’est à portée de main du moins à portée de regard pour les peuples du monde. Cette aide aurait-elle été possible ? Aurait-elle suffi ? Peut-être aurait-il fallu passer des compromis plus douteux (avec la Russie, avec la Turquie) comme le propose Badiou de façon un peu désinvolte. S’il avait fallu, cela aurait été mieux : stratégie compliquée, impure, plutôt que soumission, renoncement, reniement.

Mais tout le problème vient de là : par définition, Siryza qui ne se voulait pas une organisation révolutionnaire ne pouvait lancer un tel appel (a fortiori Podemos). C’est pourtant seulement un appel de ce type qui aurait pu faire changer les choses d’une façon inouïe (pour notre génération). Imaginons que cela aurait un tant soit peu fonctionné; imaginons qu’une solidarité révolutionnaire internationale ait trouvé des formes concrètes. Imaginons que grâce à elles, la Grèce, loin de sombrer dans le chaos, ait pu montrer qu’une vie meilleure à bien des égards, et pas moins confortable est possible hors de l’Europe, hors de l’euro, hors de l’économie capitaliste… C’est cela qui a été entrevu, qui a été possible. Peut-être la CIA aurait-elle fini par intervenir comme à l’époque d’Allende, mais c’est une autre époque, alors on ne sait pas.

Ce qui a été raté, c’est le premier geste concret d’une alliance révolutionnaire qui ne serait pas resté un appel bien-pensant et confortable, comme le font les partis de gauche tout en différant sans cesse le moment de commencer à poser les jalons pour le mettre en œuvre. Je suis peut-être handicapé par mes réflexes hérités de la mouvance « autonome » (celle qui pourtant est seule à même d’organiser des luttes concrètes ET des dispositifs pour faire en sorte que, à l’échelle de quelques quartiers de Paris ou d’ailleurs, des gens aient de quoi se nourrir, se loger, s’habiller), mais on vérifie une fois de plus qu’il n’y a rien à attendre de la « gauche radicale » de gouvernement.

Nous n’avons pas déliré, il y a bien eu là une brèche, une menace réelle pour nos ennemis, qui sont en train de massacrer le monde avec leur sourire de bon parent. La brèche a été refermée, mais le possible a grandi d’un coup. Ou si l’on veut : le refus impossible a été réel, l’appel qui aurait dû s’ensuivre, l’affirmation selon laquelle ce n’est plus la peur qui gouverne qui aurait dû se reconduire plus fortement que jamais : c’est tout cela qui a été trahi.

S’il fallait rédiger un appel, il ne serait pas un appel à sortir-dissoudre l’Europe, mais un appel à occuper la brèche qui ne s’est pas encore refermée. Mais pour cela, il faut commencer par expliquer ce qu’est cette brèche ; affirmer qu’elle ne peut se ré-ouvrir ou s’élargir que par l’idée d’une alliance internationale révolutionnaire. Il ne sert à rien de demander à l’Europe de s’auto-dissoudre : il ne faut pas s’adresser à l’Europe, mais à ceux qui mènent, à différentes échelles (des quartiers aux gouvernements) des tentatives révolutionnaires.

 

Bernard Aspe

 

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