Au moment où un jeune grec sur deux est au chômage, où 25.000 SDF errent dans les rues de la capitale grecque, où 30% de la population grecque vit sous le seuil de la pauvreté, où 10.000 enfants souffrent de malnutrition à Athènes, où de milliers de familles sont obligées de placer leur enfant pour qu’ils ne crèvent pas de faim et de froid, où les nouveaux pauvres et les réfugiés vivant dans la misère se disputent les poubelles dans les décharges publiques, les ‘sauveurs’ de la Grèce, sous prétexte que les grecs ‘ne font pas assez d’efforts’, imposent un nouveau plan de ‘aide’ qui double la dose létale déjà administrée. Un plan qui abolit le droit du travail, ou plus précisément ce qui en reste, et qui réduit à la misère la plus extrême les pauvres, tout en faisant disparaître du tableau les classes moyennes. Le but escompté ne saurait être le ‘sauvetage’ de la Grèce et, sur ce point, tous les économistes dignes de ce nom s’accordent. Il s’agit de faire gagner du temps pour sauver les créanciers tout en menant le pays à une faillite à peine différée, juste le temps de l’organiser dans les termes les plus favorables à ceux-ci. Il s’agit surtout de faire de la Grèce le laboratoire d’un changement radical de paradigme de société qui, dans un deuxième temps, sera généralisé à toute l’Europe. En effet, le modèle ultralibérale expérimenté actuellement en Grèce est celui d’une société sans services publics où les populations les plus vulnérables seront à terme vouées à une mort sournoisement programmée, tandis que ceux qui auront encore un travail seront réduits à la paupérisation et la précarisation la plus extrême. A force de coupes budgétaires successives, se met en place une stratégie de coups dévastateurs à l’encontre de la population. Au milieu de décombres du système de santé grec, les malades atteints des maladies incurables ou graves seront, faute de traitement adéquat, amenés à disparaître, tandis que les toxicomanes et les patients en psychiatrie, privés de soins et de suivis, serons abandonnés à un sort funeste.
Mais pour que cette offensive radicale du néo-libéralisme puisse arriver à ses fins il faut instaurer un régime qui fait l’économie de droits démocratiques les plus élémentaires. En effet, sous les injonctions des prétendus sauveurs, se mettent en place en Europe des gouvernements technocratiques qui font fi de la souveraineté populaire. Il s’agit d’un tournant dans les régimes parlementaires où l’on voit les ‘représentants du peuple’ donner carte blanche aux experts et autres banquiers et supprimer ainsi de leur propre gré leur supposé pouvoir décisionnel. Un coup d’état parlementaire en quelque sorte qui fait appel à un arsenal répressif sans cesse amplifié face aux protestations populaires grandissantes. En ce moment-même, le gouvernement grec s’apprête à renforcer le dispositif répressif en restreignant le droit à manifester par un nouveau cadre législatif qui rendra quasi-impossible l’organisation des manifestations autres que celles ‘cérémonielles’ du 1 mai et du 17 novembre ou celles organisées par la très consensuelle Confédération Générale de Travailleurs Grecs.
Ainsi un gouvernement dépourvu de toute légitimité démocratique engage l’avenir du pays pour les trente années à venir alors que les députés ratifient une convention dictée par la Troïka (U.E., BCE, FMI), une convention diamétralement opposée au mandat populaire dont ils sont les délégués. En même temps les dirigeants allemands prônent le report aux calendes grecques des élections et recommandent la formation d’un gouvernement composé uniquement des technocrates afin de rompre avec les dernières séquelles de représentativité qui pourrait gêner aux entournures la réalisation du projet néolibérale. Parallèlement l’Union Européenne s’apprête à constituer un compte bloqué où serait directement versé une grande partie de l’aide à la Grèce afin de s’assurer que celle-ci soit employée uniquement au service de la dette. Ce qui rend la chose encore plus inconcevable est que les recettes mêmes du pays devraient être en « priorité absolue » consacrées au remboursement de créanciers, et, si besoin est, être directement versé à ce compte spécial géré par les instances de l’Union Européenne. Ajoutons que la Convention qui vient d’être ratifiée par le parlement grec (le deuxième Mémorandum) stipule que toute nouvelle obligation émise dans son cadre sera régie par le droit anglais, qui engage des garanties matérielles, alors que les différends des débiteurs avec les créanciers seront jugés par les tribunaux du Luxembourg, la Grèce ayant accepté de renoncer d’avance à tout droit de recours pour contester une saisie décidée par ces derniers. Pour compléter le tableau des réjouissances, les privatisations sont confiées à une Caisse spéciale gérée par la Troïka, une caisse où devront être déposés les titres de propriété de bien publics. Bref le pillage généralisé, qui est le trait propre du capitalisme financier, s’offre ici une belle consécration institutionnelle mise en place par nos sauveurs. Car, dans la mesure où vendeurs et acheteurs des biens à brader seront de la même côté de la table, on ne doute point que cette entreprise de privatisation sera un vrai festin pour les repreneurs.
Toutes les mesures prises jusqu’à maintenant n’ont fait que creuser la dette souveraine grecque et, avec la main secourable de spéculateurs et celle de nos sauveurs qui nous prêtent à des taux usuraires, celle-ci a même carrément explosé en atteignant le 169% du PIB alors qu’en 2009 elle ne représentait que le 120%. Il est fort à parier que cette longue cohorte de plans de sauvetage –dont chacun fut présenté comme le dernier car le définitif – n’a pas eu d’autre but que d’affaiblir encore plus la position de la Grèce face à ses créanciers de sorte que, privée de la carte de la cessation de paiement ou d’une restructuration en de termes qu’elle-même aurait imposés, elle soit réduite à céder sur tous les plans sous le chantage de ‘la faillite désordonnée ou les mesures d’austérité’. Le problème de la dette et son aggravation délibérée fut employé comme une arme pour prendre d’assaut une société entière. C’est à bon escient que sont employés ici ces termes, car ils relèvent du domaine militaire et c’est bel et bien d’une guerre qu’il s’agit, par d’autres moyens certes, guerre quand même. Ainsi la faiblesse d’un pays pris en étau entre la spéculation du marché et les plans de sauvetage concoctés par ses propres créanciers l’a transformé en porte dérobée, en voie d’entrée d’un nouveau modèle de société conforme aux exigences du néolibéralisme le plus extrême. Un modèle destiné à toute l’Europe et plus si affinités. C’est cela le véritable enjeu et c’est justement pour cela que plaider pour le peuple grec à ce moment critique ne se réduite pas à un geste de solidarité par principe ou par humanité ; car c’est de l’avenir de la démocratie et du sort des peuples européens qu’il est question. Ainsi le problème de la dette –qui n’est point inexistant mais dont l’importance est systématiquement majorée avec bien d’arrière-pensées– sert de cheval de Troie pour imposer à la société européenne le modèle néolibérale sous prétexte d’une ‘nécessité impérieuse’ qui infligerait des mesures d’austérité douloureuses mais ‘salutaires’ car elles seraient censés permettre d’échapper au destin grec tandis qu’en réalité elles y mènent tout droit..
Devant cette attaque contre la société dans son ensemble, devant l’abolition des derniers îlots d’une démocratie moribonde, nous ne saurons nous taire et nous appelons nos ami(e)s français(es) de faire entendre leur voix. Car sur de enjeux cruciaux comme l’avenir de la démocratie et le sort des peuples européens –et c’est bien cela qui se joue actuellement en Grèce– il serait nécessaire de ne pas laisser le monopole de la parole aux ‘experts’.
Le fait que la Grèce est interdite d’élections jusqu’à nouvel ordre (un ordre qui tardera à venir si l’on en croit les dirigeants allemands réclamant haut et fort la suspension de celles-ci), aussi bien que, peut-il laisser nos ami(e)s indifférents ? La stigmatisation et le dénigrement systématique du peuple grec dans les médias ne mériterait pas une riposte ? Est-il possible de ne pas élever sa voix contre le sort fait au peuple grec? Mais, surtout et avant tout, est-ce possible de garder le silence devant l’instauration progressive d’un modèle de société ultralibérale ?
Nous sommes arrivés à un point de non retour. Il est plus qu’urgent d’ouvrir plusieurs fronts à la fois et de mener à la fois la bataille des chiffres et la guerre de mots pour désavouer la rhétorique de la peur et de la désorientation Il est plus qu’urgent de déconstruire le discours moraliste qui occulte le réel social. Il devient plus qu’urgent de contrecarrer l’insistance sur la ‘particularité’ de la Grèce utilisée comme un écran de fumée destiné à recouvrir la vraie nature de la crise et qui donne à la supposée idiosyncrasie grecque (paresse et roublardise à volonté) le statut du premier moteur d’une crise financière mondiale. Il nous faudrait mettre en avant non pas les particularités qui séparent mais les communs qui unissent les peuples européens et qui font que le sort réservé à un entre eux ne manquera pas d’avoir une incidence sur celui de tous les autres.
Ne doutant pas de votre détermination de ne pas nous laisser seuls dans cette guerre –car cela en est bien une-, nous faisons appel à vous pour faire entendre vos voix.
Diverses solutions alternatives ont été proposées pour contourner le dilemme piégé ‘ou bien la destruction de la société ou bien la faillite’ (lequel dilemme à force de sauvetages successifs a fini par se transformer en une conjonction funeste ‘et la destruction et la faillite’). Nous pouvons les mettre toutes sur la table comme point de départ d’une réflexion sur la construction d’une autre Europe. Mais dans un premier temps il faudrait faire connaître autour de nous la situation dramatique dans laquelle se trouve le peuple grec à cause des plans d’aide aux spéculateurs et autres créanciers.
Faisons du bruit autour de la Grèce, multiplions les initiatives : articles, interventions dans les médias, textes à plusieurs, débats, journée d’étude, pétitions, actions, toute initiative de soutien au peuple grec est bienvenue. Et, permettez-nous d’ajouter, que, si vous souhaitez répondre à cet appel et manifester d’une façon ou d’une autre votre solidarité, nous vous en conjurons de le faire maintenant.
Si ce n’est pas nous, ça sera qui ? Si ce n’est pas maintenant, ça sera quand ?
Vicky Skoumbi, rédactrice en chef de la revue αληthεια
Une version légèrement modifiée de ce texte fait l’objet d’un Appel
Sauvons le peuple grec de ses sauveurs !
Il a entre autre été signé par :
Vicky Skoumbi, rédactrice en chef de la revue « αληthεια », Athènes, Michel Surya, directeur de la revue « Lignes », Paris, Dimitris Vergetis, directeur de la revue « αληthεια », Athènes.
Et : Giorgio Agamben, Diamanti Anagnostopoulou, Enzo Apicella, Albena Azmanova, Daniel Alvara,Alain Badiou, Jean-Christophe Bailly, Etienne Balibar, Fernanda Bernardo, David Berry, Sylvie Blocher, Laura Boella, Carlo Bordini, Hervé le Bras, Roberto Bugliani, Daniela Calabro, Claude Cambon, Maria Elena Carosella, Barbara Cassin, Bruno Clément, Danielle Cohen-Levinas, Christiane Cohendy, Yannick Courtel, Martin Crowely, Rolf Czeskleba-Dupont, Michel Deguy, Michel Didelot, Didier Deleule, Claire Denis, Georges Didi-Huberman, Costas Douzinas, Riccardo Drachi-Lorenz, Marie Ducaté, Leili Echghi, Les Economiste Atterrés, Roberto Esposito, Camille Fallen, Celine Flecheux, Chiara Frugoni, Ivetta Fuhrmann, Enzo Gallori, Jean-Marie Gleize, Francesca Isidori, Clio Karabelias, Jason Karaïndros, Stathis Kouvelakis, Pierre-Philippe Jandin, Fréderic Lordon, Jeremy Leaman, Jérôme Lèbre, Marie-Magdeleine Lessana, Jacques Lezra, Gianna Licchetta, Marco Mamone Capria Jean-Clet Martin, Pr. Jobst Meyer, Pierre Murat, Jean-Luc Nancy, Maurizio Neri, Gloria Origgi, Marco Palladini, Timothy Perkins, Matthaios Petrosino, Nicola Predieri, Stefano Pippa, Philippe Rahme, Jacques Rancière, Haris Raptis, Judith Revel, Elisabeth Rigal, Franco Romanò, Avital Ronell, Jacob Rogozinski, Alessandro Russo, Hugo Santiago, Ingo Schmidt, Beppe Sebaste, Giacomo Sferlazzo, Amalia Signorelli, Michèle Sinapi, Maria Giulia Soru, Benjamin Swaim, Bruno Tackels, Enzo Traverso, Gilberte Tsaï, Catherine Velissaris, Frieder Otto Wolf
Si vous souhaitez associer votre nom à cet appel, merci de compléter le formulaire figurant sur la page des Nouvelles Editions Lignes
Sauvons la société Grecque de ses sauveurs
Au moment où un jeune grec sur deux est au chômage, où 25.000 SDF errent dans les rues de la capitale grecque, où 30% de la population grecque vit sous le seuil de la pauvreté, où 10.000 enfants souffrent de malnutrition à Athènes, où de milliers de familles sont obligées de placer leur enfant pour qu’ils ne crèvent pas de faim et de froid, où les nouveaux pauvres et les réfugiés vivant dans la misère se disputent les poubelles dans les décharges publiques, les ‘sauveurs’ de la Grèce, sous prétexte que les grecs ‘ne font pas assez d’efforts’, imposent un nouveau plan de ‘aide’ qui double la dose létale déjà administrée. Un plan qui abolit le droit du travail, ou plus précisément ce qui en reste, et qui réduit à la misère la plus extrême les pauvres, tout en faisant disparaître du tableau les classes moyennes. Le but escompté ne saurait être le ‘sauvetage’ de la Grèce et, sur ce point, tous les économistes dignes de ce nom s’accordent. Il s’agit de faire gagner du temps pour sauver les créanciers tout en menant le pays à une faillite à peine différée, juste le temps de l’organiser dans les termes les plus favorables à ceux-ci. Il s’agit surtout de faire de la Grèce le laboratoire d’un changement radical de paradigme de société qui, dans un deuxième temps, sera généralisé à toute l’Europe. En effet, le modèle ultralibérale expérimenté actuellement en Grèce est celui d’une société sans services publics où les populations les plus vulnérables seront à terme vouées à une mort sournoisement programmée, tandis que ceux qui auront encore un travail seront réduits à la paupérisation et la précarisation la plus extrême. A force de coupes budgétaires successives, se met en place une stratégie de coups dévastateurs à l’encontre de la population. Au milieu de décombres du système de santé grec, les malades atteints des maladies incurables ou graves seront, faute de traitement adéquat, amenés à disparaître, tandis que les toxicomanes et les patients en psychiatrie, privés de soins et de suivis, serons abandonnés à un sort funeste.
Mais pour que cette offensive radicale du néo-libéralisme puisse arriver à ses fins il faut instaurer un régime qui fait l’économie de droits démocratiques les plus élémentaires. En effet, sous les injonctions des prétendus sauveurs, se mettent en place en Europe des gouvernements technocratiques qui font fi de la souveraineté populaire. Il s’agit d’un tournant dans les régimes parlementaires où l’on voit les ‘représentants du peuple’ donner carte blanche aux experts et autres banquiers et supprimer ainsi de leur propre gré leur supposé pouvoir décisionnel. Un coup d’état parlementaire en quelque sorte qui fait appel à un arsenal répressif sans cesse amplifié face aux protestations populaires grandissantes. En ce moment-même, le gouvernement grec s’apprête à renforcer le dispositif répressif en restreignant le droit à manifester par un nouveau cadre législatif qui rendra quasi-impossible l’organisation des manifestations autres que celles ‘cérémonielles’ du 1 mai et du 17 novembre ou celles organisées par la très consensuelle Confédération Générale de Travailleurs Grecs.
Ainsi un gouvernement dépourvu de toute légitimité démocratique engage l’avenir du pays pour les trente années à venir alors que les députés ratifient une convention dictée par la Troïka (U.E., BCE, FMI), une convention diamétralement opposée au mandat populaire dont ils sont les délégués. En même temps les dirigeants allemands prônent le report aux calendes grecques des élections et recommandent la formation d’un gouvernement composé uniquement des technocrates afin de rompre avec les dernières séquelles de représentativité qui pourrait gêner aux entournures la réalisation du projet néolibérale. Parallèlement l’Union Européenne s’apprête à constituer un compte bloqué où serait directement versé une grande partie de l’aide à la Grèce afin de s’assurer que celle-ci soit employée uniquement au service de la dette. Ce qui rend la chose encore plus inconcevable est que les recettes mêmes du pays devraient être en « priorité absolue » consacrées au remboursement de créanciers, et, si besoin est, être directement versé à ce compte spécial géré par les instances de l’Union Européenne. Ajoutons que la Convention qui vient d’être ratifiée par le parlement grec (le deuxième Mémorandum) stipule que toute nouvelle obligation émise dans son cadre sera régie par le droit anglais, qui engage des garanties matérielles, alors que les différends des débiteurs avec les créanciers seront jugés par les tribunaux du Luxembourg, la Grèce ayant accepté de renoncer d’avance à tout droit de recours pour contester une saisie décidée par ces derniers. Pour compléter le tableau des réjouissances, les privatisations sont confiées à une Caisse spéciale gérée par la Troïka, une caisse où devront être déposés les titres de propriété de bien publics. Bref le pillage généralisé, qui est le trait propre du capitalisme financier, s’offre ici une belle consécration institutionnelle mise en place par nos sauveurs. Car, dans la mesure où vendeurs et acheteurs des biens à brader seront de la même côté de la table, on ne doute point que cette entreprise de privatisation sera un vrai festin pour les repreneurs.
Toutes les mesures prises jusqu’à maintenant n’ont fait que creuser la dette souveraine grecque et, avec la main secourable de spéculateurs et celle de nos sauveurs qui nous prêtent à des taux usuraires, celle-ci a même carrément explosé en atteignant le 169% du PIB alors qu’en 2009 elle ne représentait que le 120%. Il est fort à parier que cette longue cohorte de plans de sauvetage –dont chacun fut présenté comme le dernier car le définitif – n’a pas eu d’autre but que d’affaiblir encore plus la position de la Grèce face à ses créanciers de sorte que, privée de la carte de la cessation de paiement ou d’une restructuration en de termes qu’elle-même aurait imposés, elle soit réduite à céder sur tous les plans sous le chantage de ‘la faillite désordonnée ou les mesures d’austérité’. Le problème de la dette et son aggravation délibérée fut employé comme une arme pour prendre d’assaut une société entière. C’est à bon escient que sont employés ici ces termes, car ils relèvent du domaine militaire et c’est bel et bien d’une guerre qu’il s’agit, par d’autres moyens certes, guerre quand même. Ainsi la faiblesse d’un pays pris en étau entre la spéculation du marché et les plans de sauvetage concoctés par ses propres créanciers l’a transformé en porte dérobée, en voie d’entrée d’un nouveau modèle de société conforme aux exigences du néolibéralisme le plus extrême. Un modèle destiné à toute l’Europe et plus si affinités. C’est cela le véritable enjeu et c’est justement pour cela que plaider pour le peuple grec à ce moment critique ne se réduite pas à un geste de solidarité par principe ou par humanité ; car c’est de l’avenir de la démocratie et du sort des peuples européens qu’il est question. Ainsi le problème de la dette –qui n’est point inexistant mais dont l’importance est systématiquement majorée avec bien d’arrière-pensées– sert de cheval de Troie pour imposer à la société européenne le modèle néolibérale sous prétexte d’une ‘nécessité impérieuse’ qui infligerait des mesures d’austérité douloureuses mais ‘salutaires’ car elles seraient censés permettre d’échapper au destin grec tandis qu’en réalité elles y mènent tout droit..
Devant cette attaque contre la société dans son ensemble, devant l’abolition des derniers îlots d’une démocratie moribonde, nous ne saurons nous taire et nous appelons nos ami(e)s français(es) de faire entendre leur voix. Car sur de enjeux cruciaux comme l’avenir de la démocratie et le sort des peuples européens –et c’est bien cela qui se joue actuellement en Grèce– il serait nécessaire de ne pas laisser le monopole de la parole aux ‘experts’.
Le fait que la Grèce est interdite d’élections jusqu’à nouvel ordre (un ordre qui tardera à venir si l’on en croit les dirigeants allemands réclamant haut et fort la suspension de celles-ci), aussi bien que, peut-il laisser nos ami(e)s indifférents ? La stigmatisation et le dénigrement systématique du peuple grec dans les médias ne mériterait pas une riposte ? Est-il possible de ne pas élever sa voix contre le sort fait au peuple grec? Mais, surtout et avant tout, est-ce possible de garder le silence devant l’instauration progressive d’un modèle de société ultralibérale ?
Nous sommes arrivés à un point de non retour. Il est plus qu’urgent d’ouvrir plusieurs fronts à la fois et de mener à la fois la bataille des chiffres et la guerre de mots pour désavouer la rhétorique de la peur et de la désorientation Il est plus qu’urgent de déconstruire le discours moraliste qui occulte le réel social. Il devient plus qu’urgent de contrecarrer l’insistance sur la ‘particularité’ de la Grèce utilisée comme un écran de fumée destiné à recouvrir la vraie nature de la crise et qui donne à la supposée idiosyncrasie grecque (paresse et roublardise à volonté) le statut du premier moteur d’une crise financière mondiale. Il nous faudrait mettre en avant non pas les particularités qui séparent mais les communs qui unissent les peuples européens et qui font que le sort réservé à un entre eux ne manquera pas d’avoir une incidence sur celui de tous les autres.
Ne doutant pas de votre détermination de ne pas nous laisser seuls dans cette guerre –car cela en est bien une-, nous faisons appel à vous pour faire entendre vos voix.
Diverses solutions alternatives ont été proposées pour contourner le dilemme piégé ‘ou bien la destruction de la société ou bien la faillite’ (lequel dilemme à force de sauvetages successifs a fini par se transformer en une conjonction funeste ‘et la destruction et la faillite’). Nous pouvons les mettre toutes sur la table comme point de départ d’une réflexion sur la construction d’une autre Europe. Mais dans un premier temps il faudrait faire connaître autour de nous la situation dramatique dans laquelle se trouve le peuple grec à cause des plans d’aide aux spéculateurs et autres créanciers.
Faisons du bruit autour de la Grèce, multiplions les initiatives : articles, interventions dans les médias, textes à plusieurs, débats, journée d’étude, pétitions, actions, toute initiative de soutien au peuple grec est bienvenue. Et, permettez-nous d’ajouter, que, si vous souhaitez répondre à cet appel et manifester d’une façon ou d’une autre votre solidarité, nous vous en conjurons de le faire maintenant.
Si ce n’est pas nous, ça sera qui ? Si ce n’est pas maintenant, ça sera quand ?
Vicky Skoumbi, rédactrice en chef de la revue αληthεια
Une version légèrement modifiée de ce texte fait l’objet d’un Appel
Sauvons le peuple grec de ses sauveurs !
Il a entre autre été signé par :
Vicky Skoumbi, rédactrice en chef de la revue « αληthεια », Athènes, Michel Surya, directeur de la revue « Lignes », Paris, Dimitris Vergetis, directeur de la revue « αληthεια », Athènes.
Et : Giorgio Agamben, Diamanti Anagnostopoulou, Enzo Apicella, Albena Azmanova, Daniel Alvara,Alain Badiou, Jean-Christophe Bailly, Etienne Balibar, Fernanda Bernardo, David Berry, Sylvie Blocher, Laura Boella, Carlo Bordini, Hervé le Bras, Roberto Bugliani, Daniela Calabro, Claude Cambon, Maria Elena Carosella, Barbara Cassin, Bruno Clément, Danielle Cohen-Levinas, Christiane Cohendy, Yannick Courtel, Martin Crowely, Rolf Czeskleba-Dupont, Michel Deguy, Michel Didelot, Didier Deleule, Claire Denis, Georges Didi-Huberman, Costas Douzinas, Riccardo Drachi-Lorenz, Marie Ducaté, Leili Echghi, Les Economiste Atterrés, Roberto Esposito, Camille Fallen, Celine Flecheux, Chiara Frugoni, Ivetta Fuhrmann, Enzo Gallori, Jean-Marie Gleize, Francesca Isidori, Clio Karabelias, Jason Karaïndros, Stathis Kouvelakis, Pierre-Philippe Jandin, Fréderic Lordon, Jeremy Leaman, Jérôme Lèbre, Marie-Magdeleine Lessana, Jacques Lezra, Gianna Licchetta, Marco Mamone Capria Jean-Clet Martin, Pr. Jobst Meyer, Pierre Murat, Jean-Luc Nancy, Maurizio Neri, Gloria Origgi, Marco Palladini, Timothy Perkins, Matthaios Petrosino, Nicola Predieri, Stefano Pippa, Philippe Rahme, Jacques Rancière, Haris Raptis, Judith Revel, Elisabeth Rigal, Franco Romanò, Avital Ronell, Jacob Rogozinski, Alessandro Russo, Hugo Santiago, Ingo Schmidt, Beppe Sebaste, Giacomo Sferlazzo, Amalia Signorelli, Michèle Sinapi, Maria Giulia Soru, Benjamin Swaim, Bruno Tackels, Enzo Traverso, Gilberte Tsaï, Catherine Velissaris, Frieder Otto Wolf
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