© Image Armine Rouhani

Spinoza in China, premières années.

par Marc Perrin

Présentation

Extraits d’un travail de traduction en cours mené par Angela + Ernesto, dans le cadre du projet Spinoza in China.

En novembre 2012. Angela + Ernesto → passent un mois à XingPing, en Chine, avec un colibri, sur une terrasse, et aussi avec une vue imprenable sur les pics karstiques dominant le fleuve Li – le matin – et, chaque après-midi → font une balade de l’autre côté du fleuve.

C’est lors de l’une de ces balades qu’Angela + Ernesto découvrent un cahier rédigé dans une étrange langue, faite comme d’un mélange d’hébreux, de portugais, d’espagnol, de flamand, de latin et de chinois, cahier qui n’est rien d’autre que l’autobiographie rédigée par Spinoza lui-même lors du voyage qu’il effectua en Chine en 1676, une année avant sa mort.

Seront donnés à lire ici des extraits de la traduction de cette autobiographie. Traduction en cours ← donc → Angela + Ernesto → Bonjour. D’autres documents du projet Spinoza in China sont à lire ici : http://spinozainchina.wordpress.com

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Spinoza, premières années.

 

Spinoza, 1633.

Entre 0 et 1 an, Spinoza découvre l’existence des étoiles. Il découvre qu’il existe des étoiles dans le ciel. Il découvre qu’il existe des étoiles à la surface de la terre. Parmi les étoiles à la surface de la terre, Spinoza découvre qu’il existe deux types d’étoile : les étoiles qui brillent dans les herbes vives, et les étoiles qui brillent dans les herbes mortes. Ce que remarque Spinoza est une chose très simple : autour de lui on ne regarde pas de la même manière les étoiles : selon qu’elles brillent dans le ciel, parmi les herbes vives, ou parmi les herbes mortes. Spinoza, entre 0 et 1 ans.

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Spinoza, 1634.

Entre 1 et 2 ans, Spinoza remarque que lorsqu’il est envahi par une émotion, des larmes viennent à couler sur son visage, et que face à son visage se forme un autre visage. Un autre visage, qui lui sourit. Ce que ressent Spinoza, c’est qu’entre les larmes sur son visage, et le visage en face qui lui sourit, se cristallise une intensité. Il nomme cette intensité : consolation. Spinoza sent confusément que ce machin de consolation va pourrir sa vie, sa vie et toutes les vies en contact avec sa vie, ces vies et toutes les vies en contact avec toutes ces vies… pendant… environ quelques siècles. Ça, entre 1 et 2 ans.

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Spinoza, 1635.

Entre 2 et 3 ans, Spinoza a la sensation de vivre comme en haut d’une tour. De là où il est, comme en haut d’une tour, il voit deux choses. Il voit un mur d’enceinte, qui trace un cercle tout autour de la tour, et, au-delà du mur d’enceinte il voit les paysages, au loin. Ce qu’éprouve alors Spinoza avec la plus vive intensité est la chose suivante, et la chose suivante lui vient en anglais : Where I am is not what I see. Ce qu’il traduit assez vite par un premier projet de traité sur la réforme de l’entendement, dont ne nous est parvenue que l’amorce d’un titre : entre les lieux que je vois et le lieu où je vis – c’est tout. À la suite de quoi, du haut de sa tour, Spinoza se dit qu’il a deux alternatives : soit il se jette dans le vide, et, il ne s’écrase pas au sol ; soit il creuse la tour par l’intérieur, une fois arrivé en bas il creuse une porte pour sortir, puis il marche jusqu’au mur d’enceinte, et là, il creuse à nouveau une porte et il s’en va en balade. Spinoza choisit la deuxième solution. Il creuse la tour par l’intérieur. Il creuse une porte, en bas. Il marche jusqu’au mur d’enceinte, et, là, là c’est le jour de son 3° anniversaire et il s’endort.

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Spinoza, 1636.

Quand Spinoza se réveille, au tout début de sa quatrième année, le paysage, ou le décor, a changé. Et Spinoza comme à la suite de l’année précédente, comme dans une continuation étrange de l’année précédente, Spinoza ne se sent plus du tout comme étant ou vivant en haut d’une tour, non… Spinoza – et cela durant toute sa 4° année – , entre 3 et 4 ans Spinoza se sent comme une tour. Et une tour bien spécifique. Une tour : sous laquelle auraient été fixées des roulettes. Des roulettes grâce auxquelles → ici : passage du mode conditionnel au mode indicatif → Spinoza peut se déplacer à la surface d’une immense plaque. Une immense plaque. Entre 3 et 4 ans, Spinoza est une tour à roulettes qui se déplace à la surface de cette plaque, immense, et il voit, tout autour de lui, d’autres tours à roulettes qui chacune se déplace à la surface d’une autre plaque. Il voit, aussi, dans le paysage, non plus des murs d’enceinte encerclant ni sa tour ni celle des autres, non, mais des fragments de mur. Un peu partout. Et → la seule question qui taraude Spinoza durant toute cette année est la question suivante, attention, c’est une question à deux étages → 1° étage → comment passer d’une plaque à une autre plaque ? → 2° étage → shall I roll, or shall I jump ? Étrangement, Spinoza traduit en français ces quelques mots anglais par → est-ce que je glisse, ou est-ce que je saute ?

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Spinoza Baruch & Hamma Ana, 29 juin 1637

Entre 4 et 5 ans, Spinoza ne se sent plus du tout → ni comme en haut d’une tour, ni comme une tour. Il comprend tout simplement qu’il a un corps. Un corps, deux bras, deux jambes, une tête et un sexe. Entre autres parties le composant. Et il comprend → il comprend qu’avec ses jambes → il peut marcher. Et il marche. Il marche et dans le paysage ou le décor où il marche, quelque chose de l’ancien décor ou de l’ancien paysage est resté → il y a encore des fragments de mur d’enceinte, ici et là → des espèces de ruines de mur. Aux tout premiers jours de sa 5° année, Spinoza marche en direction de l’une de ces ruines de mur. Dans le mur → une porte → Spinoza ouvre la porte. Et → là → Hamma Ana. Hamma Ana → a les yeux bleus → c’est leur couleur naturelle → love _ love. Durant toute une année, à chaque fois que Spinoza ouvre une porte, Hamma Ana est là. Durant toute une année → à chaque fois que Hamma Ana ouvre une porte, Spinoza est là. Durant toute une année, chaque jour, à chaque porte ouverte → Hamma Ana + Spinoza → love, love. Chaque jour → une nouvelle porte. Chaque jour → une nouvelle déclaration d’amour. Chaque jour → dans une langue différente → ils se tatouent sur la peau une nouvelle déclaration d’amour dans une langue chaque jour différente. Tous les jours, chaque jour, durant toute une année, jusqu’au 29 juin 1937. Là → ce jour → Hamma Ana & Spinoza se donnent rendez-vous et se retrouvent et s’allongent → à la surface d’un lit bien soyeux. Là, Hamma Ana → ouvre les jambes. Comme ça → Ʌ . Et Spinoza → Spinoza lui aussi ouvre les jambes. Comme ça → Ʌ . Et. Spinoza. Dit à Hamma Ana. Regarde. Ce Ʌ → est comme un A majuscule. Il est partout dans ton nom + il achève le mien = toi et moi nous formons le début d’un nouvel alphabet. Du calme mon loulou, du calme. Vois-tu. La pointe de ce Ʌ . Eh bien. Avec cette pointe en tête. Moi. Hamma Ana. J’ouvre mon sexe à ton sexe, et je pénètre le tien. Et. Spinoza. Avec cette pointe en tête. Dans une pensée_mouvement synchro → ouvre son sexe à celui de Hamma Ana → et pénètre aussi. Ainsi → 29 juin 1937 → Hamma Ana ouvre son sexe et pénètre le sexe de Spinoza → + → Spinoza ouvre son sexe et pénètre le sexe de Hamma Ana. Et. Encore + encore = Love en corps + mega love. Entre 4 et 5 ans.

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Spinoza Baruch & Hamma Ana, 4 août 1638.

Je, soussignée, Hamma Ana, jure ce jour ne pas vouloir te posséder, toi, Baruch Spinoza, comme on veut posséder une machine à laver ou une glace à la fleur d’oranger, ou, comme on veut coûte que coûte avoir un enfant afin d’en avoir un et de bien l’avoir sage et bien tranquille et surtout afin d’être → bien → certains → qu’il respectera les règles de la descendance → c’est-à-dire → qu’il saura honorer et ton nom et mon nom et tous les noms de toute la race dont nous sommes les héritiers. C’est-à-dire → je te jure que je t’aime. Et. Crachant sur tous serments → + → éclats de rire. Et ne craignant ni contradiction, ni différence, ni répétition → eh eh → cessant → cessant à la seconde présente de jurer quoi que ce soit. Je t’aime. Encore. Oui. Ou. Et. Compte tenu du fait que (((à la première ligne de cette déclaration – d’amour, oui – que je t’écris présentement))) les deux mots ‘ce jour’ pourraient paraître ou apparaître quelque peu restrictif, un peu trop, restrictif, je veux dire → un peu trop restrictif → dans le temps → je précise → je précise en adddendum → ici → ne jamais avoir voulu te posséder, toi, Baruch Spinoza, depuis le 29 juin 1637 → c’est-à-dire → depuis que nous fricotons toi et moi, +, +, et, je m’engage → à te prévenir illico si je venais à produire avec toi, c’est-à-dire → si nous venions toi et moi à produire → le moindre type de cette espèce de volonté de posséder, dans le futur (((dans le futur → à commencer par → le futur le plus immédiat))). Car, je crois → que désirer n’est pas vouloir et c’est à toi que je le dis = avec toi je le comprends = okay → + → un petit peu plus → + → davantage → = → avec toi → + + = → avec toi mon loulou. Et, comme je continue → de ne craindre ni répétition ni variation, encore, je te le dis, encore, ici, je te l’écris, eh tiens, cadeau, je te l’écris en majuscules → LOVE. I. LOVE. YOU. LOVE. Signé → Hamma Ana. Le 4 août 1638.

Je, soussigné, Baruch Spinoza, jure et crache par terre et garde un peu de salive afin d’enduire à souhait nos sexes et d’ouvrir et pistonner à l’envie, je, Spinoza, Baruch, arrête sur le champ la rédaction de cette lettre et te rejoint dans la grange. Signé → Baba S_p_n_za. Le 4 août 1638.

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