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Ce qui nous peuple et ce qui nous dépeuple, Marie-José Mondzain

Peut-être ne se prépare-t-il aucun désastre hormis celui, toujours menaçant, de la démission de la pensée » … L’image ne pourrait en être tenue responsable.

Entretien avec Marie-José Mondzain

Pour décrire notre rapport contemporain à l’image, Marie-José Mondzain, philosophe et directrice de recherche au CNRS, propose le concept d’Iconocratie : Un mode de gouvernement par les images, une organisation du visible qui provoque adhésion par la soumission du regard. L’iconocratie serait un culte quotidien et sans cesse renouvelé des visibilités, une addiction au visible pour des yeux devenus aveugles devant l’invisible.

L’iconocratie pour être efficace et pour pouvoir s’imposer comme mode de gouvernement puise sa force dans deux régimes de la peur bien distinct :

L’iconophobie où la peur d’un règne de l’image qui se nourrit des dangers qu’elle nous ferait courir.
La phobocratie où le règne de la peur qui se nourrit des images et se sert d’elles pour établir sa domination.
Ces deux régimes, peur de l’image et image de la peur sont une même conception du pouvoir fondé sur une appropriation du sensible.

C’est sur ce point que notre rapport contemporain à l’image reste lié au conflit de l’époque byzantine qui opposa le pouvoir politique au pouvoir religieux pour le contrôle des pouvoirs de l’image. Aussi, le temps de l’image libérée de toute appropriation pour dominer et soumettre ceux qui la reçoivent, ce temps là, comme temps de l’âge adulte d’un vivre ensemble libre, n’est pas encore advenu. Pire avec la production industrielle des symboles (le marketing) ou l’industrie cinématographique – qui a fait dire à Jean-Luc Godard, que le cinéma industriel n’a fait et ne fait que raconter qu’une seule et même histoire dans tous ces films – avec donc tous ces signes parmi nous, c’est l’image qui se raréfie et tant à disparaître. Et avec elle c’est le langage, la parole qui est en crise.

« Qu’est-ce tout ces signes parmi nous qui finissent par me faire douter du langage et qui me submerge de significations noyant le réel au lieu de le dégager de l’imaginaire ».
JLG, Deux ou trois choses que je sais d’elle.

L’époque hyperindustrielle que nous connaissons, (Bernard Stiegler), comme moment de saturation de l’espace public au service du pouvoir économique, est la consommation unique et consensuelle d’un sens, provoquant un effondrement de la vitalité imaginaire, puisque la circulation des signes y équivaut à la circulation des choses. Nous avons désappris à voir non pas pour voir librement, mais pour ne plus rien voir et surtout pas de l’autre.

Surtout pas de l’autre car c’est justement cet accès à l’autre que soi, à la différence, à l’altérité, à l’inconnu que l’image offre dans ce qui excède le visible. Excès qui se donne à voir comme retrait où plutôt qui ne se voit pas, mais qui se montre comme mouvement qui déborde et vide à la fois le visible. Un mouvement qui met en crise le visible, déserté par ce qu’il montre et qui place l’image dans le champs de la démesure.

L’image nous met en mouvement parce qu’elle est mouvement, elle danse et nous fait danser. Si elle est le site de la pensée, c’est parce que la pensée est affaire de mouvement. Etre ému par une image c’est être mis en mouvement par elle, mais encore faut-il un regard libre, qui ne voit pas sur ordre, pour pouvoir se déplacer. Et cette liberté du regard et aussi affaire de désir. Désirer voir, c’est accepter une errance ouverte à l’inconnu, c’est accepter l’insatisfaction. C’est en ce sens qu’il faudrait comprendre que l’image laisse toujours à désirer

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Entretien radiophonique et réalisation : Emmanuel Moreira
Bibliographie :
Image, icône, économie : Les Sources byzantines de l’imaginaire contemporaine
L’image peut-elle tuer ?
Le Commerce des regards
L’Homo spectator.
Qu’est-ce que tu vois ?

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Rencontre avec Jean-Christophe Bailly
Jean-Christophe Bailly est écrivain. Il est l’auteur de nombreux livres recoupant la plupart des genres : du poème à l’essai, du théâtre au récit. Il a récemment publié Le Versant animal (Bayard 2007), et l’atelier infini (Hazan, 2007).