© Image Rainer Werner Fassbinder, L'Allemagne en automne. All rights reserved

Nous nous sommes sentis comme une sale espèce.

Le 05 septembre 1977, le chef du patronat allemand est enlevé par la Fraction Armé Rouge. Opération dans laquelle quatre gardes du corps sont tués. Le 30 septembre 1977, l’avocat des membres de la RAF emprisonnés, Klaus Croissant, réfugié en France, est arrêté à Paris. Le 13 octobre 1977, un avion de ligne de la compagnie Lufthansa est détourné par un commando palestinien qui réclame la libération des membres de la RAF emprisonnés.

Le lendemain matin, on retrouve morts par pendaison ou par revolver, dans leurs cellules, les quartes principaux militants de la RAF, dont Andreas Baader, qui étaient soumis à un isolement total. Le 19 octobre 1977, le cadavre de Hans-Martin Schleyer, chef du patronat allemand, est retrouvé dans le coffre d’une voiture, à Mulhouse, en France. Le 24 octobre 1977, la justice française refuse la demande d’asile de Klaus Croissant et le 16 novembre, elle répond favorablement à la demande d’extradition de l’avocat vers la RFA. L’avocat est poursuivi en Allemagne pour « complicité avec une association de malfaiteurs ».
Michel Foucault publie le 14 novembre dans le Nouvel Observateur une tribune intitulée « Va-t-on extrader Klauss Croissant ? » Puis donne deux entretiens : un au quotidien Le Matin, le 18 novembre et le second dans la Tribune socialiste, le 24 novembre. Le jour de l’extradition, Michel Foucault accompagne les avocats de Croissant à la prison de la Santé où ce dernier est détenu. Un mois plus tard, Foucault se rend à Berlin Ouest et Est et publie là-bas un texte dans lequel il dénonce la société de sécurité dont il est alors lui-même physiquement victime (interpellation et garde-à-vue à Berlin Ouest, Michel Foucault sera soupçonné d’être accompagné par une militante de la RAF recherchée par la police.)

Pour Foucault, l’affaire Croissant exprime la volonté de la part de la France de reconnaître et de prolonger, sur son sol, les mesures d’exceptions prises en Allemagne. Mesures d’exceptions qui ont permis l’arrestation et la persécution de soixante-dix avocats de la RAF en Allemagne de l’Ouest, remettent en causes le « droit des gouvernés ». Ce « droits des gouvernés » énoncé par Foucault est d’abord le droit à la défense dans un procès, le droit « d’avoir un avocat qui parle pour vous, avec vous, qui vous permette de vous faire entendre et de garder votre vie, votre identité, et la force de votre refus. Droit d’autant plus indispensable que le détenue, du fait même de son emprisonnement, est toujours dans un état d’infériorité juridique, dans une situation de « moindre droit »; et que les autorités disposent, avec les médias, d’une autre scène où elles font jouer un procès qui est souvent sans réplique possible ou du moins sans réponse proportionnée. » Pour Michel Foucault, il ne fait aucun doute que « désormais, la sécurité est au-dessus des lois ». Il précise : « Le pouvoir a voulu montrer que l’arsenal juridique est incapable de protéger les citoyens. » En effet, en Allemagne, pendant cet automne 1977 le droit commun est suspendu et des mesures d’exceptions sont prises pour « la lutte contre le terrorisme ».

En cet automne 1977, en Allemagne de l’Ouest, le réalisateur Rainer Werner Fassbinder réalise un documentaire fiction intitulé l’Allemagne en Automne. Ce moyen métrage, tourné en deux jours, s’inscrit dans une série de films réalisés en Allemagne, en réaction aux événements de l’automne 1977, par des réalisateurs considérés comme appartenant au courant de ce qui porte alors le nom de Nouveau Cinéma Allemand (Alexander Kluge, Volker Schlöndroff, Edgar Reitz).
Le film de Fassbinder a pour prologue des images de l’actualité, du réel. Des images de l’enterrement du chef du patronat allemand retrouvé mort en France après son enlèvement revendiqué par la RAF et la mort de quatre de leurs principaux membres dans les prisons allemandes. L’enterrement a lieu en présence de nombreuses personnalités politiques allemandes de droite comme de gauche avec un important déploiement de sécurité. Sur ces images, Fassbinder donne à entendre la lecture d’une lettre qu’adressa Hanns-Martin Schleyer, trois jours après son enlèvement à son fils. De sa captivité, il écrit qu’ « il n’y a pas de protection absolue contre l’action minutieuse et conséquente de la RAF. » Il y aura donc d’autres victimes en conséquence de quoi les vainqueurs de cette bataille ne peuvent être la police Fédérale dans la mesure où les ravisseurs exigent la libération de prisonniers condamnés pour terrorisme. Et Fassbinder ponctue cette lettre tout en ouvrant son film par cette phrase : « Arrivé à un certains point dans l’horreur, peu importe d’où elle vient : il faut seulement qu’elle cesse. »
Autrement, nous pouvons formuler la problématique suivante : Les lois d’exception prises en Allemagne sont-elles de nature à mettre fin à la violence ou sont-elles une surenchère dans l’horreur ? Cette problématique, on la retrouvera en pointillé tout au long du film de Fassbinder.

Dans ce document, le réalisateur met en scène et donne à voir sa propre intimité : son corps et sa sexualité, sa vie de couple, son appartement, son penchant pour l’alcool, son addiction à la cocaïne et son travail d’écriture. Rien n’échappe au regard du spectateur. L’image est brute, sans effet et le film se compose d’une suite de plans fixes sans mouvement de caméra. En parallèle de ces scènes d’intimités, nous assistons à un dialogue difficile et tendu entre Fassbinder et sa mère, à propos des événements politiques et de ce que ces événements exigent en terme de positionnement des uns et des autres. Ce dialogue n’est pas sans rappeler la « Lettre à quelques leaders de la gauche » de Michel Foucault publiée dans le Nouvel Observateur du 28 novembre 1977, où celui-ci les priait de prendre position en faveur de deux femmes inculpées en France de « recel de malfaiteur » pour avoir aidé Klauss Croissant lorsqu’il était réfugié en France.

Ce sont ces deux histoires parallèles et un montage sommaire qui donnent l’impression d’un film décousu, brouillon. Cependant, outre que Fassbinder est le personnage qui nous permet de suivre cet aller-retour et que nous restons au niveau d’une certaine intimité, ce qui relie les scènes ce sont bien les événements politiques qui secouent l’Allemagne et la France en cet Automne 1977.
Si rien n’échappe au regard du spectateur tout semble bien pourtant échapper à Fassbinder lui-même. Les événements politiques pénètrent dans son intimité avec violence. Son intimité nous apparaît comme assiégée. A plusieurs reprises, il se sentira en danger, espionné, allant jusqu’à croire à une rafle dans tout le pays et à une fouille imminente de la police chez lui. En proie à la paranoïa, il ne sera pas capable d’offrir l’hospitalité quand son amant rentrera avec un homme rencontré le soir-même. Aucune lumière du jour ne pénètre dans son appartement, il vit comme reclus. Pris de nausée, incapable de pouvoir sortir, sans cesse au téléphone pour obtenir des informations de Paris, ou accolé au transistor pour suivre le détournement du Boing de la lufthansa, il se montre violent et impatient lorsqu’il n’obtient pas les informations et les réponses attendues. On le voit douter sur ses propos et sur le comportement à tenir. Ce siège crée une paralysie qui se manifeste par une impossibilité de se mettre au travail d’écriture et une plongée dans l’alcoolisme et la drogue.

Sa mère, qui a vécu sous le régime national-socialiste, se refuse au dialogue, elle estime qu’elle « n’encouragerait personne à discuter, dans cette situation. » Nous sommes là dans un climat de terreur. Puisque la critique à l’égard du pouvoir est susceptible d’encourager le terrorisme, il est préférable de se taire. Ne pas le faire, c’est s’exposer au risque d’être assimilé aux terroristes, c’est prendre le risque de se placer dans le champs des mesures anti-terroristes. « Une situation d’hystérie dont on ne sait pas ce que peut devenir ce qu’on dit. » (Parce que l’écrivain Heinrich Böll, avait dénoncé les mensonges que la presse à sensation allemande répandait et le climat de violence qu’elle entretenait à propos de la RAF, celui-ci fut, tout au long de l’année 1972, victime des injures et des calomnies de la presse à sensation allemande). La loi du silence pour se protéger ayant été obtenue, une politique d’incitation à la délation devient alors possible en Allemagne de l’Ouest. D’où la paranoïa de Fassbinder. Tout n’est-il pas sujet à suspicion chez lui ? Ses positions politiques (ouvertement contre le mariage), son orientation sexuelle (homosexuel), son métier, son goût pour l’alcool et son addiction à la drogue, sont autant d’éléments qu’il nous donne à voir comme des preuves accablantes et susceptibles de faire de lui un « anarchiste dégénéré », ennemi de l’Etat et de la démocratie. Dans ce film, Fassbinder ne joue pas la comédie, au contraire, il joue carte sur table et nous montre que toute son intimité, tout son être, peut faire l’objet de preuves à charge contre lui.

Lors de son arrestation en décembre 1977 à Berlin Ouest, Michel Foucault donna un entretien au quotidien allemand Der Spiegel, intitulé « Nous nous sentions comme une sale espèce ». Dans cet entretien, il y fait la narration de son arrestation et précise que la police est intervenue sur demande. Précision que la police lui a faite à plusieurs reprises pour se justifier. De cette expérience, Foucault en a tiré une analyse pertinente quand aux différences entre l’Est et l’Ouest. Selon Foucault la police de l’Ouest détient son pouvoir de la dénonciation alors que la police de l’Est « détient son pouvoir d’un autre monde, étranger à la population, le monde de l’Administration, du Parti, des chefs ». A l’Ouest « si l’on vous arrête, cela veut dire que vous avez fait peur à quelqu’un, ou que votre visage a rappelé quelque chose à cette personne. Ne vous plaignez pas de la police, elle est au service des angoisses de n’importe qui, au service de ses hallucinations, de ses répulsions. Elle intervient comme les pompiers à l’odeur du gaz, dès que ça sent mauvais. » La différence entre l’Allemagne de l’Est et l’Allemagne de l’Ouest tient au fait qu’à l’Est il existe « une suspicion universelle de la part de l’Administration » alors qu’à l’Ouest c’est « la possibilité que tout un chacun soit accusé par d’autres ». Et Foucault de conclure que nous nous sentions « non pas une sale race, comme on disait autrefois, mais nous nous sommes sentis comme une sale espèce ». Avec le film de Fassbinder, nous avons bien le sentiment d’observer un animal en cage. Une espèce.

Foucault opère une distinction entre les Etats totalitaires et les mesures d’exception prises par l’Allemagne de l’Ouest. Ce que permet l’Allemagne de l’Ouest, c’est la singularité comme délit, parce que visible et donc non conforme à la norme, alors que dans les Etats totalitaires tout le monde est apriori coupable.
Cette distinction, Fassbinder ne la formule pas aussi nettement que Foucault, mais sans aucun doute il la pressent. Il pressent que le virage pris par le régime, suite aux événements, n’est pas la résurrection du national-socialisme comme le laisserait supposer sa mère, mais une forme inédite de la violence d’Etat. C’est la raison pour laquelle il rejette l’analogie faite par sa mère.
La méfiance gouvernera désormais les relations entre les individus. Ainsi Fassbinder, inquiet du regard de son amant, lui lancera sèchement « Que regardes-tu ? ». Il ne devient effectivement plus possible pour Fassbinder de soutenir le regard de l’autre y compris celui de son amant et dans le même mouvement, il se rend suspect au regard de celui-ci en lui refusant l’accès à son intimité et en s’isolant davantage. Son film semble donc vouloir conjurer l’enfermement auquel il se condamne. Et nul doute qu’il s’y condamne par peur. La stratégie de défense de Fassbinder répond donc positivement aux attentes du pouvoir qui énonce « que seul ceux qui ont à craindre le regard de l’autre sont coupables ». Sa dépression n’est pas maladive mais fautive.
Mais avec sa mère Fassbinder insiste et tente de sortir du piège : « Pourquoi devrais-tu déléguer tes soucis à l’ordre libéral ? » « La raison doit-elle venir d’en haut ? » « Tu as dit en public que pour chaque victime, il faudrait qu’un terroriste soit exécuté. Est-ce démocratique ? » La réponse de sa mère sera sans ambiguïté : les terroristes ne sont pas démocratiques et leurs méthodes ne relèvent pas de la démocratie. « Dans une telle situation tu ne peux pas simplement invoquer la démocratie! »

Dans l’entretien que Foucault accorde à La tribune socialiste, le 24 novembre 1977, celui-ci donne des clés pour comprendre la spécificité de l’Etat contemporain qui prend forme en réponse au terrorisme. Une spécificité qui doit être trouvée du côté du type de rapport qu’un Etat entretien avec sa population étant donné que celui-ci s’établit à travers ce que Foucault nomme un « pacte ».
C’est en analysant le contenu actuel de ce « pacte » que Foucault en vient à formuler qu’il existe un « pacte de sécurité » entre l’Etat libéral et la population. Ce pacte exigerait de l’Etat qu’il assure, au prix de la suspension de la loi, la sécurité. Ainsi, lorsque l’Etat doit faire face à des événements exceptionnels comme le terrorisme et qu’il n’est plus en mesure d’assurer la continuité de ce « pacte de sécurité », la mise en parenthèse de la loi, n’est pas perçue comme un excès de pouvoir, mais comme un devoir qui lui vient d’une sollicitude de la population.

Voici un large extrait de cet entretien à propos de cette modalité du pouvoir :
« Le totalitarisme a désigné pendant longtemps des régimes précis de type fasciste ou stalinien. Ce n’est pas à ce type de résurrection qu’on assiste. Il n’y a jamais de résurrections dans l’histoire de toute façon ; mieux : toute analyse qui consiste à vouloir produire un effet politique ressuscitant de vieux spectres est vouée à l’échec. C’est parce qu’on n’est pas capable d’analyser une chose qu’on cherche à ressusciter le spectre d’un retour.
Que se passe-t-il donc aujourd’hui ? Le rapport d’un Etat à la population se fait essentiellement sous la forme de ce qu’on pourrait appeler le « pacte de sécurité ». Autrefois, l’Etat pouvait dire : « Je vais vous donner un territoire » ou : « Je vous garantis que vous allez pouvoir vivre en paix dans vos frontières. » C’était le pacte territorial, et la garantie des frontières était la grande fonction de l’Etat.
Aujourd’hui le problème frontalier ne se pose guère. Ce que l’Etat propose comme pacte à la population, c’est : « Vous serez garantis. » Garantis contre tout ce qui peut être incertitude, accident, dommage, risque. Vous êtes malade ? Vous aurez la Sécurité Sociale! Vous n’avez pas de travail? Vous aurez une allocation de chômage! Il y a un raz de marée? On créera un fonds de solidarité! Il y a des délinquants? On va vous assurer leur redressement, une bonne surveillance policière!
Il est certain que ce pacte de sécurité ne peut-être de même type que le système de légalité par lequel, autrefois, un Etat pouvait dire : « Ecoutez, voilà, vous serez punis si vous faîtes telle chose, et vous ne serez pas punis si vous ne la faîtes pas. » L’Etat qui garantit la sécurité est un Etat qui est obligé d’intervenir dans tous les cas où la trame de la vie quotidienne est trouée par un événement singulier, exceptionnel. Du coup, la loi n’est plus adaptée; du coup, il faut bien des espèces d’interventions, dont le caractère exceptionnel, extra-légal, ne devra pas paraître du tout comme signe de l’arbitraire ni d’un excès du pouvoir, mais au contraire d’une sollicitude : « Regardez comme nous sommes prêts à vous protéger, puisque, dès que quelque chose d’extraordinaire arrive, évidement sans tenir compte de ces vieilles habitudes que sont les lois ou les jurisprudences, nous allons intervenir avec tous les moyens qu’il faut. » Ce côté de sollicitude omniprésente, c’est l’aspect sous lequel l’Etat se présente. C’est cette modalité-là de pouvoir qui se développe. »

Et Fassbinder d’insister auprès de sa mère : « Pourquoi devrais-tu déléguer tes soucis à l’ordre libéral ? » Les terroristes comme n’importe quel assassin ne respectent pas la loi, il n’y a donc pas de différence alors qu’il y a une différence de traitement par des lois spéciales pour les terroristes. Et sa mère de répondre que les assassins ordinaires ne peuvent pas répandre le « fléau » de l’insécurité. Cette discussion entre Fassbinder et sa mère porte bien sur ce « pacte de sécurité » dont parle Foucault :
« Ce qui choque absolument dans le terrorisme, ce qui suscite la colère réelle et non pas feinte du gouvernement, c’est que précisément le terrorisme l’attaque sur le plan où justement il a affirmé la possibilité de garantir aux gens que rien ne leur arrivera.
On n’est plus dans l’ordre des accidents qui sont couverts par cette société « assurancielle »; on se trouve en présence d’une action politique qui « insécurise » non seulement la vie des individus, mais le rapport des individus à toutes les institutions qui jusqu’alors les protégeaient. D’où l’angoisse provoquée par le terrorisme. Angoisse chez les gouvernants. Angoisse aussi chez les gens qui accordent leur adhésion à l’Etat, acceptent tout, les impôts, la hiérarchie, l’obéissance, parce que l’Etat protège et garantie contre l’insécurité. »

Le dialogue entre Fassbinder et sa mère touche son moment de vérité lorsque celui-ci formule qu’un assassin normal a simplement de mauvaises raisons, ou pas de raison du tout pour son crime et que pour ces raisons qui sont justement l’absence de raison ou la déraison, il pourrait bien être pire qu’un terroriste, car un terroriste agit avec raison, en conséquence de quoi, nous aurions des raisons de le comprendre.
C’est à cette compréhension que se refuse le pouvoir ou plus exactement, un Etat sécuritaire doit faire en sorte que l’accès à cette compréhension nous soit impossible et interdite. Car si la compréhension devenait possible, les lois d’exception redeviendraient ce qu’elles ont toujours été : un excès de pouvoir. Car ces mesures extra-légales reposent sur une confiance aveugle envers la capacité de l’Etat à assurer la sécurité. N’est-ce pas ainsi qu’il faut entendre les propos de l’actuel Président Français, lorsqu’il affirme que comprendre c’est excuser et qu’excuser des crimes, c’est les soutenir, les encourager ?

Le film de Fassbinder se termine par cette déclaration de sa mère qui, prenant un ton d’enfant, nous confie que « Le mieux, ce serait un maître autoritaire qui serait très bon, gentil et juste. »
S’il existe une spécificité de l’Etat contemporain, celle-ci se nourrit d’un savoir accumulé par les formes d’Etats qui lui ont précédé et en effet, cet aveu final semble nous renvoyer au « Petit père des Peuples », à l’image de la propagande de Staline, bref à un désir d’un Etat totalitaire. Mais ce n’est qu’en apparence. « La vocation de l’Etat, c’est d’être totalitaire, c’est-à-dire finalement de faire un contrôle précis de tout », nous dit Michel Foucault. Cependant, « les sociétés de sécurité tolèrent toute une série de comportements différents, variés, à la limite déviants, antagonistes même les uns avec les autres; à condition, que ceux-ci se trouvent dans une certaine enveloppe qui éliminera des choses, des gens, des comportements considérés comme accidentels et dangereux. C’est un pouvoir plus habile, plus subtil que celui du totalitarisme » C’est en ce sens qu’il faut entendre la prière de la mère de Fassbinder, « un maître autoritaire, mais qui serait très bon, gentil et juste », c’est-à-dire adapté aux aspirations contemporaines de la population, dans la mesure où celles-ci rentrent dans un certain ordre, ne franchissent pas certaines frontières. Le bon ordre. Cependant cet ordre juste se paye au prix de l’embastillement de tous ceux qui pour des raisons diverses ne rentrent pas dans cet ordre et pour lesquels des mesures d’exceptions sont prises. Ne pas payer ce prix c’est faire le lien entre notre demande quotidienne de sécurité à tous les niveaux de notre vie et ceux qui en payent le prix.

Ce lien, Fassbinder le fera, moins de deux ans après les événements d’automne 1977, avec tout son talent de cinéaste, dans le film Troisième Génération, résolument Nouvel Vague. Un film qui s’ouvre par les propos d’un Président Directeur Général d’une grande entreprise allemande qui s’interroge du haut de son bureau qui surplombe Munich : « et si le capital avait inventé le terrorisme pour s’assurer la protection de l’Etat ? » Une interrogation à laquelle Fassbinder répondra sans ambiguïté par l’affirmative, discréditant d’un même geste le capital et les gauchistes terroristes devenus des jouets du capital.

Pour conclure, nous devrions opérer des analyses qui lient la « société assurancielle » dans laquelle nous vivons et les menaces sans cesse répétées de terrorismes ou de pandémies. La politique de la peur est bien la conséquence du « pacte de sécurité » qui régie le rapport que nous avons avec l’Etat. Notre demande de plus d’Etat, si elle est légitime, ne va pas sans une atteinte aux droits des gouvernés. Par conséquent, nous devons nous interroger sur les types de risques que nous voulons que l’Etat assure et ceux dont il serait préférable que nous apprenions à surmonter.