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Tant

(Poésie sonore) (Extrait d’un texte en cours)A.C. Hello.
 

Poussé par ton irrésistible désir de revoir la fille, sentir son insupportable odeur de fille, sa folie furieuse de fille, crevant les yeux fermés, face immobile, crevant de fouiller sa mâchoire et ses muscles d’une langue vigoureuse tout en voulant foutre le camp, t’arracher les morceaux de la bouche, la fille, mare de sang qui sèche dans ta tête, la fille, chaque fois que le monde bouge, la terre accroupie sous les pieds de la fille, le poids, la lourdeur, la boue, le bruit de la fille, qui fait comme une ombre froide dans ta vie accroupie sous la terre accroupie sous les pieds de la fille, la fille langue d’eau qui mâche et resuce des grands morceaux de douleur, l’immense vie, l’ombre, le bord de sa peau, les bouleaux, la terre dessous et toute l’eau, la fille, la bête blessée dans tes mains cassées, tu sens l’odeur de ta respiration lente, une odeur de sang pourri, un sang pourri de grosse pierre, la joue verte de crachats, et pendant ce temps, la fille dans un cauchemar fou, à cause de ta stupidité de cochon, qui ne t’aime sûrement plus déjà, le monde n’existe plus d’ailleurs, parce qu’avant le ciel bleu se déroulait immense dans ton corps, un petit bois t’emportait la tête et maintenant tu restes grand ouvert, grand ouvert en désordre, grand ouvert contre ton gré, rigide et grave, déboîté, illimité, tout le troupeau d’étoiles piétiné, c’est ça l’affaire, sans doute que tu gênes, sans doute que tu gênes tout le monde, sans doute que tu vas y laisser ta peau dans cette colère mécanique, qui les tient éveillés, des mois roulé en boule dans la fille de toutes tes forces, nuit et jour, détruit joue après joue, œil après œil, pleurant comme un affreux craquement, jamais personne ne t’a délogé de cette fille, de ses bras maigres, de son genou gauche, jamais le troupeau de pierres n’a fait taire ta tête énorme, tu fabriques cette fille du matin au soir, tu fabriques ses bras, tu accouches ses genoux, son nez, ses reins, tu y laisseras ta peau, ça t’emportera la tête, ça n’ira pas se coucher, ça ne se taira pas, c’est de la folie, toute la peau se creuse autour de tes yeux inhabitables, l’alcool et le sang disjonctent, c’est ça l’affaire, et tout dans son beau costume gris clair savonne doucement le gros sac de tes yeux qui aiment tant, c’est à en devenir fou, la fille, assise sur le sommet de ton crâne comme une petite grenouille chaude, sous les pattes de la fille accroupie, sous ses petites pattes le sommet de ton cadavre, et ça communique, ça communique en bons cadavres, ça se renifle le cadavre, il est devenu énorme ce cadavre, il a une belle tête toute jaune, il se porte bien, il est énorme et sa langue claque, est-ce que tu l’entends claquer sa langue, comment peut-on laisser ce cadavre claquer ainsi, un cadavre qui fait des kilomètres maintenant, tellement que c’en est gênant, une grosse route noire et souple qui bouillonne sur les rebords, un cadavre d’une longueur inouïe, qu’on doit plier des milliers de fois pour qu’il tienne assis, une immense route noire ce cadavre, il a envie de partir, il voudrait se déplier et s’étendre, encore et encore, depuis le corps brisé de la fille jusqu’au lointain. La fille, ton cadavre devenu l’ombre de la fille, le crépitement de l’enfer de la fille sur ta tête de cadavre. Sous la fille le trou creusé par ta lâcheté. La fille gelée jusqu’au fond, ses bruits d’eau, la petite meurtrissure de sa grosse langue noire dans ton crâne refroidi, les soubresauts de sa langue qui grelotte, se soulève, claque, fume, pense mal, dit mal, tant se soulève bondit choc d’ailes sourd claque fume cloche crache pas solide sourde peste rétrécit, bond chaque jour ciel joie monte chaque jour ciel sous la peau sourde cloche tant portée perdue terrible craque bondit claque éclate craque obstinée rate gratte s’arrache la gorge gémit claque terrible odeur racle claque s’égoutte soleil tant bondit depuis ce jour tant, ce jour tant fini, où le froid est venu tout arrêter, sec bouche brûle, sec bouche douloureux brûle tant fuite tant bondit sourd craque lutte sonne fuite l’horizon si vite te toucher te renverser tant, te renverser tant, cligne fini le mot, le mot peste tant bondit depuis ce jour craque lutte sourd bond choc d’ailes peste rétrécit tant fume seul peste tant libre seul peste choc d’ailes rouille tant bondit rouille tombe étoilé craque ventre à terre bondit choc d’ailes tant douloureux pointu tant le monde tant rêvé, tant le monde tant rêvé depuis ce jour tant rien, tant le monde seul sans rien battant le monde beau tant rêvé, gobé, le monde en fumée, depuis ce jour où tout s’est mis à hurler, revêche, dur, à jeter, à casser, à se courber, en cadence les pas, s’énervent les pas, tant bondir sans rien apercevoir sauf une douleur à bout de force sur la langue tant rit la fille claque la gorge roule, tant la fille pâle déployée noire loin partout à tes pieds dans l’herbe à ta maison tant ricane tout enveloppée de son œil bleu, tant bleue la fille fracassée jusque dans tes profondeurs couchée dans la merde, si vite te toucher te renverser tant, te renverser tant, fini le mot, s’allument les bras pendus, poussent les ailes poussent tant les ailes la respiration, l’articulation de l’eau dans ta respiration, le goût puissant de la peau collée martelée tant s’écroule la peau désespérée, tant s’écroule la peau de bête tant respire jusqu’à toi s’écoule immense sinistre tant depuis tant de temps durement avec peine tant de mots roulant perdus, seuls les yeux bougent dans les mots, les mots sentent, entendent, les mots rampent, route noire crachant son visage les oiseaux à mesure qu’elle s’étend se froissent les mots illuminés les mots crasses par centaine gesticulant, les mots larges tout droits, bataille d’ombre et de soleil, les coups de becs des morceaux noués, nus et ivres, usés jusqu’à l’os, couloir du ciel cent fois dans tes gencives, dessus et dessous la terre, au nord au sud, inhumains, les doigts griffant, les yeux écrasés dans les yeux, les mots profondément violents ronds dans tes mains gémissant, loin tant, loin tant depuis tant battant à tâtons t’attendre en bougeant la voix, le son fou, sans rien laisser paraître, drôle à crever, l’échine tendue, en faisant du gros bruit, l’haleine plate, rétrécie, la tête brûlante à se dire tant froid sourd tac éveillée d’un coup la gorge raide toujours allongée près de toi écrasé par la douceur du monde.

 
 

lecture de Tant par A.C Hello

 
 

Ouvrage à paraître au 15 octobre 2015 : Naissance de la gueule, éditions Al Dante


 
 
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