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Suites

 
 

Au bout de la langue à la fin du mot le promontoire la jetée d’airs (vagues) le dernier mot l’ouverture
      deux pieds sur promontoire après promontoire mis sur pied inéluctablement saute et chute
      et la chute s’élève
      la chute dresse les nouveaux-nés du langage ouvert en bout de langue
      alors le corps au bout de la langue est un nouveau corps le corps poussé à bout est une nouvelle langue alors la langue au bout du corps crée de nouveaux corps
      alors au bout du langage nouveau monde au bout du langage nouveau corps où bout du langage vibrant dans les outres de chair
      langages hétéroclites porté(e)s corps différant qui n’a pas les tripes qui n’a plus la force de muer de monde et se trouver dans les cordes des autres leurs voix rassurantes tendues sous nos pas lèvres rouges vives plus battantes que des cœurs lèvres rouges vives qui s’échappent en courants d’airs sonores où la vie puise sens comme au bord des lèvres comme d’un promontoire on se jette des siennes pour celles des autres où la vie se donne à son sens à deux sens unique
      et au bout des langues le saut la chute le nouveau corps le nouveau monde et la nouvelle face de toute chose enfin.
 
 
 
 
      Crac — oumph
      plein vide
 
      un corps marche seul dans la rue le visage nu dénué un visage sans forme
      une musique joue dans l’ouïe son théâtre de relations sans personne pour personne paysage sonore vue de face
      un regard lègue une image en pleine chambre noire une image des images des une-images qui tombent mortes éparses dans le temps
 
      un corps marche d’un pas hors d’images s’en éjecte en entrant dans une sortie ouvrant sur une entrée encore et encore
      les poumons aux souffles plats laissent tomber comme ça un soupir qui rejoint les sons de la ville qui devient un son de la ville des poumons déjà leurs rues solitaires et profondes que le vent visite que le vent inonde sous une houle de poitrine et s’en va comme une rumeur
      que dire de ces gens qui ermites se sont retirés dans le souffle et flânent au milieu des voies solitaires astreints aux politiques d’absences tristes rues des poumons profonds sans lumières véritables abat-jours
      ces gens qui vivent à bout de souffle sans plus tirer vers eux les grands ciels de lumière
      jetés du bord des yeux
 
      un corps sans air marche sans souffle le cœur constant comme cela d’un battement mat sourd capitonné
      seul un cœur battant pour lui-même se battant lui-même à lui- même un rythme qu’il n’écoute plus
      qui roule sur les images sans être dérangé coule sous les sons sans en être troublé
      qui bat hors des lèvres élevées en d’autres temps
 
      un corps sans air marche sans souffle sur les images sans lieu des battements hors temps
      fuit de ce monde hors de lui qui ne cesse d’y entrer
      tout cela caresse comme une feuille sèche adossée aux brins d’herbes portant la mort sur leurs pointes
      pointes agitées par le vent cheveux nourris de libre arbitre corps échappant au corps et cherchant la liberté au flanc bleu du ciel battu par le souffle frais du soleil
 
      pleine absence prenant corps ici là d’où le corps n’entre plus d’où il ne cesse sa sortie ici l’inerte qui borde tous ses mouvements jambes qui roulent pieds qui foulent
 
      des images en miettes balayées par la solitude du souffle et ce cœur qui n’en a rien à battre ici la tombe ici la trappe vide plein rayonnant sur le monde
      vie trouée au plein milieu de la rue marchant encore soufflant encore battante en corps comme un vieux sage égal s’exprimant hors émotion hors captation pure comme mort crac oumph vide plein
      vie trouée paradant en corbillard.
 
 
 
 
      S’écrit un langage qui ne peut s’ajourner qui ne peut séjourner qui ne peut ajourer en lui sans lui qui passe repasse par des plis des dépliements songes des mots en somme sans vue
      j’y suis lié pour vous délié délayé vous courrez légers je m’enfonce lourd expire inspirez expire à chaque mot hors le pire du pire
      les mots vraiment de sales caractères s’emportent en nous transportent et nous ne nous reconnaissons plus les mots seuls témoignent qui nous échappent et rebondissent d’une bouche à l’autre dégoût d’une bouche à l’autre le même mot où l’on aspire et se désiste inspirez
      ensevelis sous des nappes de mots d’où l’on émerge nous dormons en leur fond gare aux hommes qui dorment départs transports de pire en pire inspirez
      combien d’entre nous sont-ils étouffés par les mots des autres comme leurs propres mots
      combien d’entre nous étouffent-ils étranglent-ils par les mots des autres comme leurs propres mots
      combien s’étouffent-ils s’étranglent-ils dans les mots déploient ces cordes pour les nouer autour d’un cou au niveau de gorges nouées glissantes tombes d’émotions à l’étouffée qui se coulent dans nos corps combien en train de s’étouffer départs transports expire
      s’écrit un langage où j’étouffe un langage qui étouffe lui-même à l’horizon j’étouffe le langage où j’étouffe casse ses grands airs où les miens sont brisés
      je le montre il se cache je le dis il se montre et j’exhume je l’exhume lui qui n’a pas d’odeur
      je me cache en lui sur le devant non sur son trente-et-un deux minables s’accaparant des airs se raréfiant tous deux de drôles de pièces qui ne servent pas l’économie aux faces inconfortables variantes de lumineuses lunes de pis-être
      on pointe du doigt le langage où l’on dort où l’on ne se reconnaît plus d’où l’on dit toi où je dis non le langage ne balance pas de moi
      d’autres se sont étouffés dont le corps même n’a pas tenu les flux gonflés par la fonte des mots brisés des émotions enflées au point que leur expression n’a su les dégorger que de la vie entière étouffée par ses émotions la vie entière ramenée à son point.

 
 
Romain Candusso
 
 
 

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