A propos de Plongée, une fiction chorégraphique de Vincent Dupont, par Amandine André
« Qu’est-ce qu’une vision? L’image d’un mort qui passe involontairement à un vivant.
Qu’est-ce qu’une figure? La vision gardée par un vivant et re-gardée par un tiers (le témoin du mort-vivant). »
Tomas Maia
Plongée s’ouvre sur un écran noir. Cette durée pendant laquelle l’œil éprouve cette nuit sans que rien ne lui retourne, face à ce qui n’offre pas de forme, cet indiscernable. L’écran noir est ce qui permet la réflexion des images à venir, il les capture pour les rendre à l’œil. C’est la surface sur laquelle elles vont déployer la lumière propre à leur matière. Et si cette opacité coexiste avec le sonore, c’est pour montrer la force active de cet écran, c’est parce que cet écran noir est une forme vivante qui appelle toutes les métamorphoses. Le sonore précède l’image qui se tient encore à l’écart jusqu’à ce qu’elle le rejoigne, ce n’est pas tant qu’avec la découverte de l’image nous découvrons ce qui pourrait être la source du son mais plutôt la découverte de l’image note le temps qu’il lui aura fallu pour enfin venir du monde dans lequel elle errait. Elle fait alors de ce monde une image que l’œil rencontre.
C’est un corps toujours pris dans le corps d’un autre.
Les images défilent et soudain nous sommes plongés dans une sorte d’étrangeté quant au point de vue. Ce point de vue est celui de quelque chose, de quelqu’un, nous voyons à travers un certain type de corps. Nous sentons que le corps que nous voyons et qui semble être seul se trouve pourtant en présence d’un autre et notre regard est pris dans le regard d’un autre qui prend en charge le corps exposé. Un autre qui nous prête son corps sans que ce corps soit cependant ajusté au nôtre. Ce point de vue c’est un poids face à cet autre poids, si bien qu’entre ces deux corps il y a tout un jeu de gravitation. C’est dans ce jeu de gravitation que Plongée tente de rendre visible une forme de mouvement. Le film construit le point de vue de façon à faire sentir qu’il y a une présence en jeu et le choix esthétique tient à ce que cette présence ne se nomme ni se définisse mais reste suspendu à la sensation.
Cette présence à une plasticité propre dans laquelle entrent et s’échangent les personnages et les choses. C’est une oscillation entre toutes les présences, elle est circulaire et mouvante et dès que nous pensons pouvoir la saisir, c’est déjà autre chose qui est venu se loger dans ce point, et cela fait que ce point de vue est un ensemble de points placés à différents endroit. Cette présence qui est un œil n’appartient pas seulement à la chose humaine, c’est un œil univers qui se déplace, et par lui nous percevons le monde comme volume. Cet œil souligne des espaces et des temps, tout ce qu’il y a entre cet œil hors-champ et le personnage dans le champ. Le mouvement est donc pensé comme ce qui hors du champ agit sur le champ et inversement, car un poids est mis en mouvement par un autre.
cela doit venir
Les choses possèdent leur propre force cinétique parce que chaque élément est conducteur et parmi ceux qui ont la plus grande propriété de conduction se trouve l’eau. L’eau met en relation les corps, c’est par elle qu’une certaine mobilité se produit. Elle conduit dans des mondes parallèles comme elle conduit les signes émis, c’est un véritable canal de transmission. Ce qui en fait aussi le lieu de tous les lieux non pas par le fait qu’elle subsume tous les lieux, plutôt par le fait que sa conduction relie le plus proche au plus lointain, c’est un élément qui n’est plus soumis à un certain ordre du temps et de l’espace. Avec l’eau le mouvement atteint une très grande célérité et le corps qui y plonge voit ses molécules se fragmenter dans ce passage pour se recomposer ailleurs. Le temps où chaque élément du corps se ramasse de nouveau sur lui-même se fait lentement. Le corps se reforme peu à peu et ce n’est plus le même corps il n’a plus ni la même durée ni la même épaisseur, même ramassé sur lui il reste empreint de ce passage par l’eau. Ce que peut ce corps ici c’est se relever, il s’agit de ça, de se relever or c’est une relève qui n’aura bientôt plus ni haut ni bas parce que le mouvement des corps, leur trajectoire est circulaire. Et si ce qui est circulaire est présenté avec une partie du corps, il l’est aussi avec un tout que forment les saisons.
« C’est à ce rapport – au rapport d’un corps qui, survivant, éprouve sa « propre » disparition, au rapport avec soi-même en tant que mort-vivant – que je donne le nom de deuil; pour figurer un (autre) corps humain – et plus généralement : pour faire de l’art – il faut être endeuillé (de soi, du soi). »
Tomas Maia
Ce qui retourne
Cette circularité mènerait à croire que ce qui a été perdu retourne, or plus qu’un cercle il s’agit sans doute de quelque chose comme une spirale car la fin ne renvoie pas au début. De même pour les saison, les corps sont posé sur une ligne courbe et nous les voyons a différent endroit de cette ligne. Le cycle ne marque pas une répétition du même au même mais un mouvement dû aux changements climatique. Et s’il ne se referme pas sur lui c’est que la ligne se poursuit d’un monde à un autre. La tension du film ne s’achemine pas vers un état pacifié, l’homme perdu ne revient pas à ce monde c’est la femme qui part ses invocations et ses rites crée un monde possible pour que se rencontrent le vivant et le mort. Et la possibilité de ce passage et de ce monde se fait par renversement, tout ordre se trouve renversé celui du corps comme celui de la gravité, rien ne peut perdurer tel qu’il était, il faut nécessairement accomplir ce passage d’un poids à un autre poids jusqu’à ce que les têtes se renversent enfin pour une première et dernière danse pour que cette première et dernière danse soit ce qui est possible pour la danse et soit ce que la danse rend possible c’est-à-dire le renversement de l’ordre. Ce renversement ne se fait pas sans engager les plus grandes forces du corps dans la bataille. Car pour quitter cet ordre le corps doit faire face à sa puissance d’attraction qui agit toujours pour le faire revenir, pour remonter sa petite mécanique habituelle et face à cet ordre ce sont les puissances obscures qui sont sollicitées. Un savoir ancien et banni, la magie avec ces bains d’herbe, ses incantations et ses danses. Quand le feu s’allume et que la danse commence le feu et le corps échangent leur énergie, et chacun dépend de l’autre, il faut concentrer et tenir ce foyer comme il faut que le feu attache ce corps afin que celui-ci ne s’en retourne pas aspiré par l’attraction de l’ordre vers le monde que ce corps a laissé. Il suffit que la force diminue pour que la danseuse quitte le cadre et ce qui n’est plus dans ce cadre est un autre monde, le monde hors du bain. Ne plus être dans le cadre ce n’est pas le déborder, ce n’est pas être dans l’extension de l’espace visible mais ailleurs, c’est la suspension d’un monde pour un autre, ce n’est pas sa continuité, tout comme cela est aussi la suspension de l’état de méditation (de métamorphose) pour un état de conscience. Le cadre agit comme ce qui concentre les forces et permet de passer d’un état à l’autre, il n’est pas là pour ordonner, il est un champs de forces qui rend possible la désorganisation du monde et plus le cadre est maintenu plus le renversement et la danse sont possibles. C’est en quelque sorte la pensée esthétique de Vincent Dupont, le cadre, le champ, la scène fonctionnent de manière resserrée, une strangulation spatiale qui cherche l’extraction d’une forme encore informe ou alors dont la forme a été anesthésiée afin de faire en sorte que celle-ci puisse réinfecter le champ. C’est pourquoi ce cadre est aussi une lentille optique qui cherche l’infiniment petit parce qu’il y a cette croyance dans l’esthétisme de Vincent Dupont que cet infiniment petit qui peut tout aussi bien être un seule geste que cette chose donc est ce qui fait venir autre chose, c’est comme une micro perception avant la perception, ces mille petites faims qui mènent à la faim*. Et c’est là aussi que s’interrompt souvent Vincent Dupont à la faim, il n’explore pas la faim mais la condition de son apparition, tout comme dans Incantus la tension se trouve dans la parution des danseurs jusqu’à la mise à mort qui suspend cette parution pour retourner à la disparition et entre l’apogée de la parution et l’apogée de la disparation, il n’y aura qu’un seul geste. C’est pourquoi Vincent Dupont a cette nécessité d’étirer le temps de le ralentir, pour montrer ces petites choses** qui provoquent le passage, ce qui mène au geste et le suit.
Amandine André
* Les microperceptions ou représentants du monde sont ces petits plis dans tous les sens, plis dans plis, sur plis, selon plis, un tableau d’Hantaï, ou une hallucination toxique de Clérambault. Et ce sont ces petites perceptions obscures, confuses, qui composent nos macroperceptions, nos aperceptions conscientes, claires et distinctes : jamais une perception consciente n’arriverait si elle n’intégrait un ensemble infini de petites perceptions qui déséquilibrent la macroperception précédente et préparent la suivante. Comment une douleur succéderait-elle à un plaisir si mille petites douleurs ou plutôt demi-douleurs n’étaient déjà dispersées dans le plaisir, qui vont se réunir dans la douleur consciente ?
** Le macroscopique distingue les perceptions, et les appétitions qui sont passage d’une perception à une autre. C’est la condition des grands plis composés, des drapés. Mais le niveau microscopique ne distingue plus que les petites perceptions et les petites inclinations : aiguillons de l’inquiétude qui font l’instabilité de toute perception.
——————- Plongée ———————-
Réalisation : Vincent DUPONT / Interprétation : Annabelle PULCINI, Werner HIRSCH, Manuel VALLADE / Image : Fabien DELISLE / Lumière : Yves GODIN / Musique, traitement des voix : Thierry BALASSE / Son : Matthieu TARTAMELLA / Production : Myriam LEBRETON
Plongée
A propos de Plongée, une fiction chorégraphique de Vincent Dupont, par Amandine André
Plongée s’ouvre sur un écran noir. Cette durée pendant laquelle l’œil éprouve cette nuit sans que rien ne lui retourne, face à ce qui n’offre pas de forme, cet indiscernable. L’écran noir est ce qui permet la réflexion des images à venir, il les capture pour les rendre à l’œil. C’est la surface sur laquelle elles vont déployer la lumière propre à leur matière. Et si cette opacité coexiste avec le sonore, c’est pour montrer la force active de cet écran, c’est parce que cet écran noir est une forme vivante qui appelle toutes les métamorphoses. Le sonore précède l’image qui se tient encore à l’écart jusqu’à ce qu’elle le rejoigne, ce n’est pas tant qu’avec la découverte de l’image nous découvrons ce qui pourrait être la source du son mais plutôt la découverte de l’image note le temps qu’il lui aura fallu pour enfin venir du monde dans lequel elle errait. Elle fait alors de ce monde une image que l’œil rencontre.
C’est un corps toujours pris dans le corps d’un autre.
Les images défilent et soudain nous sommes plongés dans une sorte d’étrangeté quant au point de vue. Ce point de vue est celui de quelque chose, de quelqu’un, nous voyons à travers un certain type de corps. Nous sentons que le corps que nous voyons et qui semble être seul se trouve pourtant en présence d’un autre et notre regard est pris dans le regard d’un autre qui prend en charge le corps exposé. Un autre qui nous prête son corps sans que ce corps soit cependant ajusté au nôtre. Ce point de vue c’est un poids face à cet autre poids, si bien qu’entre ces deux corps il y a tout un jeu de gravitation. C’est dans ce jeu de gravitation que Plongée tente de rendre visible une forme de mouvement. Le film construit le point de vue de façon à faire sentir qu’il y a une présence en jeu et le choix esthétique tient à ce que cette présence ne se nomme ni se définisse mais reste suspendu à la sensation.
Cette présence à une plasticité propre dans laquelle entrent et s’échangent les personnages et les choses. C’est une oscillation entre toutes les présences, elle est circulaire et mouvante et dès que nous pensons pouvoir la saisir, c’est déjà autre chose qui est venu se loger dans ce point, et cela fait que ce point de vue est un ensemble de points placés à différents endroit. Cette présence qui est un œil n’appartient pas seulement à la chose humaine, c’est un œil univers qui se déplace, et par lui nous percevons le monde comme volume. Cet œil souligne des espaces et des temps, tout ce qu’il y a entre cet œil hors-champ et le personnage dans le champ. Le mouvement est donc pensé comme ce qui hors du champ agit sur le champ et inversement, car un poids est mis en mouvement par un autre.
cela doit venir
Les choses possèdent leur propre force cinétique parce que chaque élément est conducteur et parmi ceux qui ont la plus grande propriété de conduction se trouve l’eau. L’eau met en relation les corps, c’est par elle qu’une certaine mobilité se produit. Elle conduit dans des mondes parallèles comme elle conduit les signes émis, c’est un véritable canal de transmission. Ce qui en fait aussi le lieu de tous les lieux non pas par le fait qu’elle subsume tous les lieux, plutôt par le fait que sa conduction relie le plus proche au plus lointain, c’est un élément qui n’est plus soumis à un certain ordre du temps et de l’espace. Avec l’eau le mouvement atteint une très grande célérité et le corps qui y plonge voit ses molécules se fragmenter dans ce passage pour se recomposer ailleurs. Le temps où chaque élément du corps se ramasse de nouveau sur lui-même se fait lentement. Le corps se reforme peu à peu et ce n’est plus le même corps il n’a plus ni la même durée ni la même épaisseur, même ramassé sur lui il reste empreint de ce passage par l’eau. Ce que peut ce corps ici c’est se relever, il s’agit de ça, de se relever or c’est une relève qui n’aura bientôt plus ni haut ni bas parce que le mouvement des corps, leur trajectoire est circulaire. Et si ce qui est circulaire est présenté avec une partie du corps, il l’est aussi avec un tout que forment les saisons.
Ce qui retourne
Cette circularité mènerait à croire que ce qui a été perdu retourne, or plus qu’un cercle il s’agit sans doute de quelque chose comme une spirale car la fin ne renvoie pas au début. De même pour les saison, les corps sont posé sur une ligne courbe et nous les voyons a différent endroit de cette ligne. Le cycle ne marque pas une répétition du même au même mais un mouvement dû aux changements climatique. Et s’il ne se referme pas sur lui c’est que la ligne se poursuit d’un monde à un autre. La tension du film ne s’achemine pas vers un état pacifié, l’homme perdu ne revient pas à ce monde c’est la femme qui part ses invocations et ses rites crée un monde possible pour que se rencontrent le vivant et le mort. Et la possibilité de ce passage et de ce monde se fait par renversement, tout ordre se trouve renversé celui du corps comme celui de la gravité, rien ne peut perdurer tel qu’il était, il faut nécessairement accomplir ce passage d’un poids à un autre poids jusqu’à ce que les têtes se renversent enfin pour une première et dernière danse pour que cette première et dernière danse soit ce qui est possible pour la danse et soit ce que la danse rend possible c’est-à-dire le renversement de l’ordre. Ce renversement ne se fait pas sans engager les plus grandes forces du corps dans la bataille. Car pour quitter cet ordre le corps doit faire face à sa puissance d’attraction qui agit toujours pour le faire revenir, pour remonter sa petite mécanique habituelle et face à cet ordre ce sont les puissances obscures qui sont sollicitées. Un savoir ancien et banni, la magie avec ces bains d’herbe, ses incantations et ses danses. Quand le feu s’allume et que la danse commence le feu et le corps échangent leur énergie, et chacun dépend de l’autre, il faut concentrer et tenir ce foyer comme il faut que le feu attache ce corps afin que celui-ci ne s’en retourne pas aspiré par l’attraction de l’ordre vers le monde que ce corps a laissé. Il suffit que la force diminue pour que la danseuse quitte le cadre et ce qui n’est plus dans ce cadre est un autre monde, le monde hors du bain. Ne plus être dans le cadre ce n’est pas le déborder, ce n’est pas être dans l’extension de l’espace visible mais ailleurs, c’est la suspension d’un monde pour un autre, ce n’est pas sa continuité, tout comme cela est aussi la suspension de l’état de méditation (de métamorphose) pour un état de conscience. Le cadre agit comme ce qui concentre les forces et permet de passer d’un état à l’autre, il n’est pas là pour ordonner, il est un champs de forces qui rend possible la désorganisation du monde et plus le cadre est maintenu plus le renversement et la danse sont possibles. C’est en quelque sorte la pensée esthétique de Vincent Dupont, le cadre, le champ, la scène fonctionnent de manière resserrée, une strangulation spatiale qui cherche l’extraction d’une forme encore informe ou alors dont la forme a été anesthésiée afin de faire en sorte que celle-ci puisse réinfecter le champ. C’est pourquoi ce cadre est aussi une lentille optique qui cherche l’infiniment petit parce qu’il y a cette croyance dans l’esthétisme de Vincent Dupont que cet infiniment petit qui peut tout aussi bien être un seule geste que cette chose donc est ce qui fait venir autre chose, c’est comme une micro perception avant la perception, ces mille petites faims qui mènent à la faim*. Et c’est là aussi que s’interrompt souvent Vincent Dupont à la faim, il n’explore pas la faim mais la condition de son apparition, tout comme dans Incantus la tension se trouve dans la parution des danseurs jusqu’à la mise à mort qui suspend cette parution pour retourner à la disparition et entre l’apogée de la parution et l’apogée de la disparation, il n’y aura qu’un seul geste. C’est pourquoi Vincent Dupont a cette nécessité d’étirer le temps de le ralentir, pour montrer ces petites choses** qui provoquent le passage, ce qui mène au geste et le suit.
Amandine André
* Les microperceptions ou représentants du monde sont ces petits plis dans tous les sens, plis dans plis, sur plis, selon plis, un tableau d’Hantaï, ou une hallucination toxique de Clérambault. Et ce sont ces petites perceptions obscures, confuses, qui composent nos macroperceptions, nos aperceptions conscientes, claires et distinctes : jamais une perception consciente n’arriverait si elle n’intégrait un ensemble infini de petites perceptions qui déséquilibrent la macroperception précédente et préparent la suivante. Comment une douleur succéderait-elle à un plaisir si mille petites douleurs ou plutôt demi-douleurs n’étaient déjà dispersées dans le plaisir, qui vont se réunir dans la douleur consciente ?
** Le macroscopique distingue les perceptions, et les appétitions qui sont passage d’une perception à une autre. C’est la condition des grands plis composés, des drapés. Mais le niveau microscopique ne distingue plus que les petites perceptions et les petites inclinations : aiguillons de l’inquiétude qui font l’instabilité de toute perception.
——————- Plongée ———————-
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