Je pense : la littérature ne me contient plus. Et j’entre dans cette vie comme dans la vie rêvée. Une vie après la vie ; à quoi doivent ressembler tous les récits de l’au-delà, et c’est encore moi.
Laurence Nobécourt, La vie spirituelle
Vendredi Saint, Notre Dame des Neiges, ce qui avance est aveugle. Aux premiers sons de l’orgue, un enfant crie « Voyageur », « Voyageur » … Tous les couloirs, les tunnels, et les allées sont faits pour courir et crier. Par là nous sommes des chevaux. Nous entrons sans frapper, nous sortons sans chaussures. Nos visages derrière les rideaux, nos yeux derrière nos cheveux prêts à dire : Nous sommes là ! Au revoir les cloches ! Au revoir les bancs ! Nous roulons, nous sommes ces billes que nous cherchons, disséminés dans l’espace, disparus sous les tapis de feuilles.
Lundi Saint, le trou a disparu – ou plutôt la sensation de trou, on ne saura jamais ce qu’il y avait dessous. Paradoxale résurrection – Les yeux fermés quand ce n’est pas le sommeil.
Je ne réfléchis plus à la forme que prendra le don de ma vie intérieure. Un décor de musique sans paroles – seule comme un vase pour une seule fleur.
Un jour est venu le mot vent, il a emporté avec lui les déterminations, apparaissait l’avenir.
Des nomades remplissaient les cuves une à une. Il y avait encore de la neige, quelques blocs de glace. Ils étaient réunis par la recherche d’un Paradis perdu. Ils apprenaient le nom de certains arbres et de certaines fleurs et oubliaient la route par laquelle ils étaient arrivés.
L’agenda perpétuel est entre nos mains. Le temps passe. Le présent déchire l’infini du temps. Les Psaumes sont chantés à l’aube par le Père Jean sur un rocher. Les nomades me donnent la clé de la porte du Printemps et je raconte à l’enfant des histoires de visages. Nous étions arrivés à une source se divisant en trois : la source géographique, la véritable et l’authentique. Mais qu’est ce après tout un voyage ? Sinon un court espace à prolonger par le temps de l’écriture – retour régulier au point d’éternité. Pierres blanches pour former des mots sur la terre rouge –
Une icône tombait du placard, les nomades fermaient le rideau qui ne tenait presque plus à rien et la fenêtre ouverte de l’abri laissait entrer le son continu de la rivière. Ceci était leur univers. L’enfant se focalisait sur les détails d’un papillon. Je découvrais au matin un poème de Père Jean – homme oiseau – se juchant indistinctement sur les arbres ou les statues – « Tais-toi » écrivait-il, « Je suis plein de fleurs ». Dans la vie intérieure le temps tenait lieu d’espace.
Livre de la splendeur, Livre des heures, Jeu des chaises musicales. Les mots qui ne veulent rien dire prononcés par l’enfant, chantés, criés, dans la liberté que permet l’ignorance. Et la prière de l’ermite contrarié, répétée pour soi entre chaque prise de parole, dont on ne perçoit plus que les consonnes. L’homme oiseau lisait à la lettre : « Donnez-moi le pain de ce jour ». Que mangerait-t- il si la prière demeurait sèche ? Il s’en fiche.
Lundi désert, les nomades savent s’arrêter, se laver dans les eaux les plus froides. Les saisons savent exister. La douceur devenait le meilleur allié de la volonté. La couleur du temps naissait du rythme de notre cœur.
Dans la basilique, à cette heure, il n’y a personne qui prie. Je pense à la crypte déserte, à cet air pur des montagnes qu’elle semble recéler, à la place du village déserte aussi et à ces livres dans les maisons peuplés d’une foule de personnages. J’entends Père Jean me jouer du piano au téléphone. Il me dit que son instrument a changé son cœur de bois pour un cœur de chair. Le Morvan est loin – et les digitales pourpres de Jean Genet. Il dit qu’il part violer Paris.
Je m’attache à ce qui ne passe pas plutôt qu’à ce qui passe. On oubliera encore tout le reste. Les nomades s’arrêtent sur une plage. Ici, ils peuvent déployer – des jeux d’enfant, un bureau provisoire, un autel. Les offices continuent à se dérouler à heures régulières pour l’ordre contemplatif. Père Jean dit la messe en russe dans sa cabane en bois, nu. Il a encore laissé un sac au niveau des remparts, éparpillé ses affaires aux quatre coins du village comme aux quatre coins d’un monde. La nature recouvre les tombes. L’enfant court sur le lit des morts, sans savoir, avec joie. Un jour, je serai un livre de chevet, j’accomplirai – le pèlerinage des 88 temples sur l’île du Soleil Levant. Père Jean me disait : « Purifies ton cœur si tu veux avoir des dons ».
32ème semaine du Temps Ordinaire. Nous frottons nos mains pour que l’argile parte. Il restera une couleur grise sur le dos de la main. Quelque chose fuit. Nous parlons de la réalité. Chercher du bois, boire de l’eau chaude, s’allonger dans les herbes hautes. Il n’y a pas de miroirs. On parle les yeux ouverts en se regardant dans le noir. Une écriture invisible comme un animal de la forêt. Il faudrait rester longtemps au même endroit sans bouger pour espérer apercevoir.
A quelle hauteur la légèreté des ombres, l’oubli par la musique ? Les indiens Purris pointaient le doigt derrière eux pour dire hier, devant eux pour demain, et vers le ciel pour le Jour Présent.
Après la mer, nos jambes et nos bras demandaient le lit d’une rivière. Nous passions une nuit dans une cabane cachée sur un chemin à droite derrière le pré des vaches. Dans le livre d’or de l’abri semblant être offert par la nature elle-même, dans ce simple cahier d’écolier ouvert aux chanceux, à ceux qui peuvent remercier, était inscrite cette fameuse phrase de Zweig sur l’existence des miracles dans l’âme de celui qui les attend. Avec le froid, le sommeil fût léger, les rêves profonds – Une image déborda de la nuit vers le jour, de derrière –vers le ciel- rêve au bord de la lumière : un bateau pourfendant la brume sur la mer de sa voile noire.
Un dimanche de Printemps, tout le monde dans les prés fait des bouquets de jonquilles. Nous, nous ne savons pas ce que nous sommes en train de faire. La volonté ? Je ne serais pas capable de dire ce qui s’est passé. Par-là, quand je me suis placée devant la fenêtre et que la pluie s’est mise à tomber sur la tôle. Le chat a raconté l’histoire d’une fenêtre en miaulant.
Pentecôte, les couleurs étaient d’abord dans les couleurs des fleurs, nous n’avions pas encore épuisé toutes les richesses du talus devant notre porte. Vallée du Jabron, visage charbon. La terre, la terre, mais du ciel, que pouvions nous attraper, frotter, extraire ? Empreinte imaginaire du chant de l’oiseau. Sans bouger, sans se déplacer, nous prenions l’ascenseur du temps.
Comme l’enfant, je ramasse des cailloux, et je viens vous les montrer. Pierres plus brillantes dans l’eau des rivières que sèches sur la terre. Père Jean me rappelait cette parole de l’Evangile : « Ne vous souciez pas de ce que vous aurez à dire » mais je continuais à écrire. Le dessin de ses racines achevé, le poème, assis, vu de dos – attendra d’être retourné – et de te regarder dans les yeux – francs, de l’autoportrait. Avant de dormir, j’organisais mon corps et mon esprit pour le silence de la nuit. Au réveil, une phrase se composait : Encore un amour – en peuplant ma vie – est un amour infini.
Les amis affluaient et nous donnaient la sensation que ce que nous vivions était réel. Nous avions trouvé une île où séjourner – pas une île au sens géographique – véritable. Un lieu où retrouver en soi le Paradis perdu. Origine et aboutissement du voyage, nous retrouvions la chevelure et les parfums de Sainte Marie Madeleine, la sainte patronne des ermites. On se disait au revoir en choisissant le mot de la fin. Décider – Musique.
Je m’endormais en écoutant l’auteur du Livre des Anges. Elle disait vivre à l’époque où elle avait rencontré Jean Genet dans un appartement avec une chaise, une table, un lit.
22 juillet. Voyons-nous la même chose? Les figuiers voisinant avec les châtaigniers… Le mouvement perpétuel de l’enfant rencontre la prière ininterrompue du Père Jean et la route sans fin des nomades. Le souhait d’une inspiration venue d’ailleurs, pluie dont on ne voit pas les nuages et qui pourtant mouille la page.
Je ne me souciais plus de rattraper le temps par l’écriture. Aucune horloge sur laquelle je posais mon regard n’indiquait l’heure. Il fallait faire couler l’eau longtemps avant qu’elle ne soit bonne. L’écriture devenait dissidente et la fumée avait disparue. Les Journaux étaient disposés sur la table mais personne ne les ouvrait. On préférait aux nouvelles du jour l’écoute de la musique.
Nous nous dirigions vers Notre-Dame-de-la-fin-des-Terres, c’était notre destination la plus lointaine, et la dernière avant de rejoindre l’Eden. Notre Dame tenait une fleur dans une main, un bateau dans l’autre. Au cours des siècles, l’édifice était recouvert de sable au gré des tempêtes. On volait des veilleuses puis on allait au bistrot « La Dame de cœur » sur la place de la Basilique. Je pense à l’hiver qui est arrivé là-bas, à la plage presque déserte maintenant, à l’air pur de l’océan, aux vagues qu’on doit apprendre à lire (la troisième barrière à ne pas dépasser), au bistrot qui n’a pas fermé, aux locaux, entre eux désormais.
Il faisait de plus en plus nuit. Nous avions oublié ce que nous avions mis dans la boîte à trésors. Tout le troupeau suivait le même mouvement. Nous atteignons le point culminant. La multiplicité, le jaillissement. Le désespoir du feu sous la pluie.
La rivière dit : « Mes bras sont tellement longs, je ne sais plus où sont mes mains. Je n’attrape rien ».
Les rapports muets entre moi et le monde existent ; une chapelle
toujours ouverte existe. Le contraste entre les jonquilles éclatantes
et les silhouettes noires des arbres à la tombée de la nuit existe.
Les folles avoines, les fillettes irréelles et l’histoire
de la poussière existe.
Les blessures, la lumière
dans les blessures, les flots de paroles, des hommes perdus
dans la neige, la colère, les calendriers, et les Saints,
qui sont fêtés, existent.
Les habits mouillés, les théières transformées en
pots de fleurs, les longs repas, la fin
de la musique existe –
Le triptyque dans l’atelier du peintre – La traversée
du désert, la Porte du Printemps et les migrations –
les migrations existent.
Une journée, une vie, un papillon, l’amertume, les collisions, les
points les plus hauts, la lumière dans le noir
dans les yeux d’une bête existe. Les hommes et les femmes
de pouvoir, le pouvoir dans nos mains, le Don
paisible existe.
La colline éternelle où revenir souvent.
Sacha Steurer
Ce texte a été écrit en dialogue avec les œuvres lues au cours de l’écriture. Découvrant l’usage de la citation libre dans le très beau texte d’Agnès Rouzier Non, rien je me suis permise cette liberté. Lors de la soirée des Cris poétiques le 5 mai dernier au Vélo Théâtre d’Apt, à laquelle j’étais conviée avec Jean-Marie Gleize, un ami a remarqué pendant sa lecture quelque chose de Duras à la fin de son texte. Interpellé par l’usage de la citation libre, il va l’interroger : « C’est Marguerite Duras cette phrase, n’est-ce pas… ? » « C’est elle, et c’est nous », il a répondu…
…Sources (géographiques, véritables, authentiques)
« Dans la vie intérieure, le temps tient lieu d’espace » Simone Weil, La pesanteur et la grâce.
« Le présent déchire l’infini du temps », Levinas.
« Les miracles ne se produisent que dans l’âme de celui qui les attend », Zweig.
« Nous n’avons pas encore épuisé toutes les richesses du talus qui est en face de la porte de sortie de notre maison. », Jean Giono.
L’auteur du Livre des Anges, Lydie Dattas.
Le poème de la fin est inspiré de la structure du poème « alphabet » d’Inger Christensen, poète danoise, édité chez Ypsilon. Dans ce poème trois titres sont insérés : Les fillettes irréelles de Marija Cudina édité par L’Ollave, poésie croate, L’histoire de la poussière est le titre du texte de Jean-Marie Gleize lu aux Cris Poétiques du Vélo théâtre d’Apt le 5 mai dernier, Le Don Paisible est le titre d’un très long roman de l’écrivain russe Mikhaïl Cholokhov.
Mosset, automne 2017
//////////////// Autres documents
Devant la mer, le passé, une marche, une chute évitée : tomber, écrire ce qui tombe. Être plongée, se retourner, perdre toute notion d’espace et de temps. Pour revenir, je me rends. À la vitesse des rêves, un ordre des choses
Pas un homme. Pas un saint. Pas un monstre. MAIS un homme, MAIS un saint, MAIS un monstre. Et la lubricité du songe. Intacte.
Agnès Rouzier.
Par là, nous sommes des chevaux
Laurence Nobécourt, La vie spirituelle
Vendredi Saint, Notre Dame des Neiges, ce qui avance est aveugle. Aux premiers sons de l’orgue, un enfant crie « Voyageur », « Voyageur » … Tous les couloirs, les tunnels, et les allées sont faits pour courir et crier. Par là nous sommes des chevaux. Nous entrons sans frapper, nous sortons sans chaussures. Nos visages derrière les rideaux, nos yeux derrière nos cheveux prêts à dire : Nous sommes là ! Au revoir les cloches ! Au revoir les bancs ! Nous roulons, nous sommes ces billes que nous cherchons, disséminés dans l’espace, disparus sous les tapis de feuilles.
Lundi Saint, le trou a disparu – ou plutôt la sensation de trou, on ne saura jamais ce qu’il y avait dessous. Paradoxale résurrection – Les yeux fermés quand ce n’est pas le sommeil.
Je ne réfléchis plus à la forme que prendra le don de ma vie intérieure. Un décor de musique sans paroles – seule comme un vase pour une seule fleur.
Un jour est venu le mot vent, il a emporté avec lui les déterminations, apparaissait l’avenir.
Des nomades remplissaient les cuves une à une. Il y avait encore de la neige, quelques blocs de glace. Ils étaient réunis par la recherche d’un Paradis perdu. Ils apprenaient le nom de certains arbres et de certaines fleurs et oubliaient la route par laquelle ils étaient arrivés.
L’agenda perpétuel est entre nos mains. Le temps passe. Le présent déchire l’infini du temps. Les Psaumes sont chantés à l’aube par le Père Jean sur un rocher. Les nomades me donnent la clé de la porte du Printemps et je raconte à l’enfant des histoires de visages. Nous étions arrivés à une source se divisant en trois : la source géographique, la véritable et l’authentique. Mais qu’est ce après tout un voyage ? Sinon un court espace à prolonger par le temps de l’écriture – retour régulier au point d’éternité. Pierres blanches pour former des mots sur la terre rouge –
Une icône tombait du placard, les nomades fermaient le rideau qui ne tenait presque plus à rien et la fenêtre ouverte de l’abri laissait entrer le son continu de la rivière. Ceci était leur univers. L’enfant se focalisait sur les détails d’un papillon. Je découvrais au matin un poème de Père Jean – homme oiseau – se juchant indistinctement sur les arbres ou les statues – « Tais-toi » écrivait-il, « Je suis plein de fleurs ». Dans la vie intérieure le temps tenait lieu d’espace.
Livre de la splendeur, Livre des heures, Jeu des chaises musicales. Les mots qui ne veulent rien dire prononcés par l’enfant, chantés, criés, dans la liberté que permet l’ignorance. Et la prière de l’ermite contrarié, répétée pour soi entre chaque prise de parole, dont on ne perçoit plus que les consonnes. L’homme oiseau lisait à la lettre : « Donnez-moi le pain de ce jour ». Que mangerait-t- il si la prière demeurait sèche ? Il s’en fiche.
Lundi désert, les nomades savent s’arrêter, se laver dans les eaux les plus froides. Les saisons savent exister. La douceur devenait le meilleur allié de la volonté. La couleur du temps naissait du rythme de notre cœur.
Dans la basilique, à cette heure, il n’y a personne qui prie. Je pense à la crypte déserte, à cet air pur des montagnes qu’elle semble recéler, à la place du village déserte aussi et à ces livres dans les maisons peuplés d’une foule de personnages. J’entends Père Jean me jouer du piano au téléphone. Il me dit que son instrument a changé son cœur de bois pour un cœur de chair. Le Morvan est loin – et les digitales pourpres de Jean Genet. Il dit qu’il part violer Paris.
Je m’attache à ce qui ne passe pas plutôt qu’à ce qui passe. On oubliera encore tout le reste. Les nomades s’arrêtent sur une plage. Ici, ils peuvent déployer – des jeux d’enfant, un bureau provisoire, un autel. Les offices continuent à se dérouler à heures régulières pour l’ordre contemplatif. Père Jean dit la messe en russe dans sa cabane en bois, nu. Il a encore laissé un sac au niveau des remparts, éparpillé ses affaires aux quatre coins du village comme aux quatre coins d’un monde. La nature recouvre les tombes. L’enfant court sur le lit des morts, sans savoir, avec joie. Un jour, je serai un livre de chevet, j’accomplirai – le pèlerinage des 88 temples sur l’île du Soleil Levant. Père Jean me disait : « Purifies ton cœur si tu veux avoir des dons ».
32ème semaine du Temps Ordinaire. Nous frottons nos mains pour que l’argile parte. Il restera une couleur grise sur le dos de la main. Quelque chose fuit. Nous parlons de la réalité. Chercher du bois, boire de l’eau chaude, s’allonger dans les herbes hautes. Il n’y a pas de miroirs. On parle les yeux ouverts en se regardant dans le noir. Une écriture invisible comme un animal de la forêt. Il faudrait rester longtemps au même endroit sans bouger pour espérer apercevoir.
A quelle hauteur la légèreté des ombres, l’oubli par la musique ? Les indiens Purris pointaient le doigt derrière eux pour dire hier, devant eux pour demain, et vers le ciel pour le Jour Présent.
Après la mer, nos jambes et nos bras demandaient le lit d’une rivière. Nous passions une nuit dans une cabane cachée sur un chemin à droite derrière le pré des vaches. Dans le livre d’or de l’abri semblant être offert par la nature elle-même, dans ce simple cahier d’écolier ouvert aux chanceux, à ceux qui peuvent remercier, était inscrite cette fameuse phrase de Zweig sur l’existence des miracles dans l’âme de celui qui les attend. Avec le froid, le sommeil fût léger, les rêves profonds – Une image déborda de la nuit vers le jour, de derrière –vers le ciel- rêve au bord de la lumière : un bateau pourfendant la brume sur la mer de sa voile noire.
Un dimanche de Printemps, tout le monde dans les prés fait des bouquets de jonquilles. Nous, nous ne savons pas ce que nous sommes en train de faire. La volonté ? Je ne serais pas capable de dire ce qui s’est passé. Par-là, quand je me suis placée devant la fenêtre et que la pluie s’est mise à tomber sur la tôle. Le chat a raconté l’histoire d’une fenêtre en miaulant.
Pentecôte, les couleurs étaient d’abord dans les couleurs des fleurs, nous n’avions pas encore épuisé toutes les richesses du talus devant notre porte. Vallée du Jabron, visage charbon. La terre, la terre, mais du ciel, que pouvions nous attraper, frotter, extraire ? Empreinte imaginaire du chant de l’oiseau. Sans bouger, sans se déplacer, nous prenions l’ascenseur du temps.
Comme l’enfant, je ramasse des cailloux, et je viens vous les montrer. Pierres plus brillantes dans l’eau des rivières que sèches sur la terre. Père Jean me rappelait cette parole de l’Evangile : « Ne vous souciez pas de ce que vous aurez à dire » mais je continuais à écrire. Le dessin de ses racines achevé, le poème, assis, vu de dos – attendra d’être retourné – et de te regarder dans les yeux – francs, de l’autoportrait. Avant de dormir, j’organisais mon corps et mon esprit pour le silence de la nuit. Au réveil, une phrase se composait : Encore un amour – en peuplant ma vie – est un amour infini.
Les amis affluaient et nous donnaient la sensation que ce que nous vivions était réel. Nous avions trouvé une île où séjourner – pas une île au sens géographique – véritable. Un lieu où retrouver en soi le Paradis perdu. Origine et aboutissement du voyage, nous retrouvions la chevelure et les parfums de Sainte Marie Madeleine, la sainte patronne des ermites. On se disait au revoir en choisissant le mot de la fin. Décider – Musique.
Je m’endormais en écoutant l’auteur du Livre des Anges. Elle disait vivre à l’époque où elle avait rencontré Jean Genet dans un appartement avec une chaise, une table, un lit.
22 juillet. Voyons-nous la même chose? Les figuiers voisinant avec les châtaigniers… Le mouvement perpétuel de l’enfant rencontre la prière ininterrompue du Père Jean et la route sans fin des nomades. Le souhait d’une inspiration venue d’ailleurs, pluie dont on ne voit pas les nuages et qui pourtant mouille la page.
Je ne me souciais plus de rattraper le temps par l’écriture. Aucune horloge sur laquelle je posais mon regard n’indiquait l’heure. Il fallait faire couler l’eau longtemps avant qu’elle ne soit bonne. L’écriture devenait dissidente et la fumée avait disparue. Les Journaux étaient disposés sur la table mais personne ne les ouvrait. On préférait aux nouvelles du jour l’écoute de la musique.
Nous nous dirigions vers Notre-Dame-de-la-fin-des-Terres, c’était notre destination la plus lointaine, et la dernière avant de rejoindre l’Eden. Notre Dame tenait une fleur dans une main, un bateau dans l’autre. Au cours des siècles, l’édifice était recouvert de sable au gré des tempêtes. On volait des veilleuses puis on allait au bistrot « La Dame de cœur » sur la place de la Basilique. Je pense à l’hiver qui est arrivé là-bas, à la plage presque déserte maintenant, à l’air pur de l’océan, aux vagues qu’on doit apprendre à lire (la troisième barrière à ne pas dépasser), au bistrot qui n’a pas fermé, aux locaux, entre eux désormais.
Il faisait de plus en plus nuit. Nous avions oublié ce que nous avions mis dans la boîte à trésors. Tout le troupeau suivait le même mouvement. Nous atteignons le point culminant. La multiplicité, le jaillissement. Le désespoir du feu sous la pluie.
La rivière dit : « Mes bras sont tellement longs, je ne sais plus où sont mes mains. Je n’attrape rien ».
Les rapports muets entre moi et le monde existent ; une chapelle
toujours ouverte existe. Le contraste entre les jonquilles éclatantes
et les silhouettes noires des arbres à la tombée de la nuit existe.
Les folles avoines, les fillettes irréelles et l’histoire
de la poussière existe.
Les blessures, la lumière
dans les blessures, les flots de paroles, des hommes perdus
dans la neige, la colère, les calendriers, et les Saints,
qui sont fêtés, existent.
Les habits mouillés, les théières transformées en
pots de fleurs, les longs repas, la fin
de la musique existe –
Le triptyque dans l’atelier du peintre – La traversée
du désert, la Porte du Printemps et les migrations –
les migrations existent.
Une journée, une vie, un papillon, l’amertume, les collisions, les
points les plus hauts, la lumière dans le noir
dans les yeux d’une bête existe. Les hommes et les femmes
de pouvoir, le pouvoir dans nos mains, le Don
paisible existe.
La colline éternelle où revenir souvent.
Sacha Steurer
Ce texte a été écrit en dialogue avec les œuvres lues au cours de l’écriture. Découvrant l’usage de la citation libre dans le très beau texte d’Agnès Rouzier Non, rien je me suis permise cette liberté. Lors de la soirée des Cris poétiques le 5 mai dernier au Vélo Théâtre d’Apt, à laquelle j’étais conviée avec Jean-Marie Gleize, un ami a remarqué pendant sa lecture quelque chose de Duras à la fin de son texte. Interpellé par l’usage de la citation libre, il va l’interroger : « C’est Marguerite Duras cette phrase, n’est-ce pas… ? » « C’est elle, et c’est nous », il a répondu…
…Sources (géographiques, véritables, authentiques)
« Dans la vie intérieure, le temps tient lieu d’espace » Simone Weil, La pesanteur et la grâce.
« Le présent déchire l’infini du temps », Levinas.
« Les miracles ne se produisent que dans l’âme de celui qui les attend », Zweig.
« Nous n’avons pas encore épuisé toutes les richesses du talus qui est en face de la porte de sortie de notre maison. », Jean Giono.
L’auteur du Livre des Anges, Lydie Dattas.
Le poème de la fin est inspiré de la structure du poème « alphabet » d’Inger Christensen, poète danoise, édité chez Ypsilon. Dans ce poème trois titres sont insérés : Les fillettes irréelles de Marija Cudina édité par L’Ollave, poésie croate, L’histoire de la poussière est le titre du texte de Jean-Marie Gleize lu aux Cris Poétiques du Vélo théâtre d’Apt le 5 mai dernier, Le Don Paisible est le titre d’un très long roman de l’écrivain russe Mikhaïl Cholokhov.
Mosset, automne 2017
//////////////// Autres documents
Le cercle, Sacha Steurer
Devant la mer, le passé, une marche, une chute évitée : tomber, écrire ce qui tombe. Être plongée, se retourner, perdre toute notion d’espace et de temps. Pour revenir, je me rends. À la vitesse des rêves, un ordre des choses
Non, rien (premier extrait)
Pas un homme. Pas un saint. Pas un monstre. MAIS un homme, MAIS un saint, MAIS un monstre. Et la lubricité du songe. Intacte.
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B
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