© Image Sylvain Couzinet Jacques

Chœurs politiques

Poème dramatique pour voix
[Extraits]
par Frank Smith
Ce texte est un chantier que Frank Smith nous ouvre. Chantier car l’artiste fouille encore forme et rythme, pensée et action. Ce projet de recherche poétique s’inscrit dans le cadre d’une résidence à l’Espace Khiasma.

 

— Veux-tu, veux-tu quelque autre chose encore que ma vie ?

— Ne demande pas et ne t’explique pas et rends-toi compte que tu n’as rien à dire et invente un problème avant de creuser une solution et fabrique oui tes propres questions et surtout ne pratique pas d’objections sors de tout ça c’est facile et ne pense pas en termes d’histoire le passé le futur c’est pas grave et ne fais pas comme si et ne classifie rien et n’imite pas le chat ou le chien et ne fais pas de Châteaux en Espagne et ne te confie à personne je suis là.

— Peux-tu, peux-tu quelque autre chose encore que ma vie ?

— Néglige les propositions qui s’étagent les unes sur les autres et ne compose pas avec des phrases dont chacune semble répondre à une autre et ne t’inquiète pas des inquiétudes que tu ressens c’est normal et fais exprès de ne pas donner d’exemples mais trace au hasard des séries de lettres et ne t’arrête pas à des constructions de mots régulières et produis tes propres énoncés et fais les foisonner et ne fais pas de Châteaux en Espagne et ne te confie à personne je suis là.

— Veux-tu, veux-tu quelque autre chose encore que la vie ?

— N’imite pas et ne te conforme pas à un modèle et fous-toi des principes et des constructions des phrases des rythmes et des figures et ne pense pas aux conséquences qui s’en suivent et remplace un mot par un autre s’il ne te convient pas il n’y a que des propositions fragiles et insensées pour essayer de se comprendre alors crée des mots invente des mots fabuleux à condition de les défabuler et n’attends jamais de retour spécial et ne convoite jamais une attention de qui que ce soit de quelque sorte que ce soit et ne fais pas de Châteaux en Espagne et ne te confie à personne je suis là.

— Qu’est-ce qui a pu se passer pour qu’on en arrive là ?

— Conjugue des alliages avec la boue et entre en conjonction et laisse ainsi apparaître de nouvelles formulations et fais ce que tu dis et dis ce que tu fais et exprime des événements en les étirant ou en les contractant et dors sur ton cheval et libère les pures matières et défais les codes et enjambe les termes et saute jusqu’à l’accomplissement de ce qui n’a pu encore être réalisé et ne fais pas de Châteaux en Espagne et ne te confie à personne je suis là.

— Peux-tu, peux-tu quelque autre chose encore que la vie ?

— Ne cherche pas à comprendre et n’interprète rien et ne te tiens pas dans une organisation réfléchie ni une inspiration spontanée une orchestration ou une petite musique mais déplace-toi dans ta parole et bouge remue dans le langage lui-même et n’appartiens à aucun cercle d’aucun mouvement et fais de ta langue une pratique étrange et étrangère un emploi pas homogène et affecte-toi depuis ta langue à toi et ne fais pas de Châteaux en Espagne et ne te confie à personne je suis là.

— Comprendrai-je, comprendrai-je la voix de tous les êtres des roucoulements des rugissements ?

— Combine la matière des choses et des éléments et n’aie pas peur des contresens à moins qu’ils ne soient induits par des interprétations diffuses et éloigne refuse le pouvoir que tu pourrais avoir mais rapproche invente de nouvelles forces de nouvelles armes et sois gauche fragile faible et charme et source de vie et sois personne et sois personne dans personne et sois la chance unique qui glisse en un instant et ne découpe pas ne probabilise pas ne mutile pas l’imprévu mais affirme plutôt affirme avec obstination une persévération de toi une persévération de toi dans toi sans égale affirme-là et ne fais pas de Châteaux en Espagne et ne te confie à personne je suis là.

— Veut-on, veut-on quelque autre chose encore que ma vie ?

— Ne calcule pas ne comptabilise rien mais sois le chiffre de ta propre combinaison et déborde-toi encore et accorde de la vie à la vie et n’abaisse pas et ne mortifie pas et ne dégrade pas et ne personnifie pas et cesse de te prendre pour toi-même et fais des sauts et des bonds et des hyperboles uniques de joie et illumine-toi c’est possible et laisse-toi fondre dans l’affection du soir et travaille et travaille encore et ne fais pas école et ne fais pas partie ni partie d’une école ni partie d’un parti et travaille au noir marginalement dans le sec et la solitude et rencontre des gens sans le savoir sans vraiment connaître qui ils sont et rencontre des idées et traverse des procédures et échafaude des événements et remplis des entités même disparates et ne fais pas de Châteaux en Espagne et ne te confie à personne je suis là.

— Veut-on, veut-on quelque autre chose encore que la vie ?

— Trouve une place quelque chose passe et tu es là et conquiers un espace découvert quelque chose ne passe pas et tu es toujours là et change volontiers de longueur d’onde et cède ton trop plein d’énergie et sois cosmologique physique sois astrophysique et accepte la diffusion inélastique des choses et ne te mets pas en situation de dépendre de la nature des matériaux mais deviens plus mou ou d’une plus grande allure et augmente ton angle d’action et excite l’émission d’un nouveau type de rayonnements autour de toi et n’hésite pas à former des impulsions plus larges c’est-à-dire plus douces et projette-toi vers l’avant et relativise calibre ta vitesse et ne parle pas de perte catastrophique et ne fais pas de Châteaux en Espagne et ne te confie à personne je suis là.

— Peut-on, peut-on quelque autre chose encore que ma vie ?

— Oblique et change de repère tout simplement et place-toi sous d’autres référentiels et respecte les conditions initiales par effet de peau et ne te préoccupe pas d’un terme qui en deviendrait un autre même si cela s’échange ou se mélange et concentre-toi sur rien de ce qui est commun et envisage les choses qui n’ont rien à voir les unes avec les autres et vole arpente et ne circule qu’en surface et provoque le moins et éloigne-toi du centre et augmente tes capacités de résistance et déplace-toi par oscillations successives et varie le champs de tes interventions et induis des boucles et inverse et plie tes directions de rotation et additionne-toi avec toi et en périphérie et ne fais pas de Châteaux en Espagne et ne te confie à personne je suis là.

— Peut-on, peut-on quelque autre chose encore que la vie ?

— Construis et reconstruis sur ce qui est attente en attente et cap sur le sable et cap sur les plages et découpe beaucoup de châteaux et fends un air une histoire et découpe une route inattendue selon d’autres traits de routes et fais-toi fuir l’esprit et fournis à tes pensées des courants d’arrière-cour et ne rêve que ce qui est du rêvé et ne pense que ce qui est du pensé et crie ce qui pulse dans la tête sachant que c’est toi sachant que c’est toi et ceux de toutes les espèces et rassemble et laisse les autres mener leurs mini-poursuites et nettoie le monde-tribunal et sifflote balaye écoute balaye écoute balaye cligne de l’oeil écoute balaye et jette dans ton sac tout ce que tu croises en vrac ça commence toujours par un mélange au hasard et ne fais pas de Châteaux en Espagne et ne te confie à personne je suis là.

— Veux-tu, veux-tu quelque autre chose encore que le monde ?

— Porte tes masques de clown et éloigne-toi de tout maître ou de tout modèle et ne te perds pas dans la conjugalité et ne règle pas et ne reconnais rien et ne juge plus et ne donne pas de leçons et n’énonce pas et ne dicte pas et ne parle jamais à la place d’un autre au nom d’un autre à l’intention d’un autre et pour un autre et ne pose pas de questions pour y répondre aussitôt et ne te réclame d’aucune conformité et fais attention aux sentiments qui te poussent et à ce que tu prétends dévoiler et procède comme on organise une chanson juste une chanson et peuple-toi empeuple-toi repeuple-toi et ne fais pas de Châteaux en Espagne et ne te confie à personne je suis là.

— Peux-tu, peux-tu quelque autre chose encore que le monde ?

— Dis-toi bien qu’il s’agit au fond de pas d’écriture et emporte-toi au Grand Vivant tant dans la faiblesse qui le traverse que tant dans les affections qui persévèrent en lui et conjugue-toi avec et intensifie tant de mutations que tant d’instantanés et fends les lignes océaniques entre création et destruction à chaque tour de manivelle et inversement et ne fais pas de Châteaux en Espagne et ne te confie à personne je suis là.

— Veux-tu, veux-tu quelque autre chose encore qu’une phrase ?

— Mets-toi en chantier et déplace des blocs de sentiments qui ne soient plus à personne et lâche et perds et ne mène pas seul ta propre affaire et lâche et perds et fais s’en aller les traces de vie en zigzag et cherche ce qui passe entre deux choses et lâche et perds encore et ne trouve pas seul mais invente accompagné et accepte ce qu’on te donne même par hasard et pars toujours en adjacence et ne juxtapose pas et ne fais qu’esquisser et lâche et perds et jamais de réunion et ne fais pas de Châteaux en Espagne et ne te confie à personne je suis là.

— Ne regarder plus les yeux dans les yeux ?

— Sillonne tes géographies tes peuplades tes tribus et parcours-les sans références et vide tes lacs et prends les idées à revers et lance loin des signaux et laisse-toi envahir de tangentes et laisse-toi emporter d’idées et surfer de vagues et émouvoir et laisse-toi traverser et détaille raconte comment tu vois et rencontre des gestes des yeux et rencontre des peaux des conceptions de l’esprit bouleverse des conceptions de l’esprit dans quelqu’un que tu rencontres dans les traits de quelqu’un que tu rencontres et ne fais pas de Châteaux en Espagne et ne te confie à personne je suis là.

— Peux-tu, peux-tu quelque autre chose encore qu’une phrase ?

— N’accroche pas les paroles et donne de la force aux mots inconnus et ne sois pas un exemple ou une méthode et change ta situation de la situation en cours et nourris-toi d’air et pousse par le milieu et ne sois le début ni la fin de rien et n’empêche pas le fleuve qui afflue et sois foule et méfie-toi de l’histoire là où tu arrives et n’y attribue aucune norme aucune conformité et ne te prends pas au sérieux et ne te soumets à aucune image ni aucun mot d’ordre et mêle-toi de ce qui ne serait pas ton business et ne te laisse pas intimider et ne reste pas en dedans et ne fais pas de Châteaux en Espagne et ne te confie à personne je suis là.

— Veux-tu, veux-tu quelque autre chose encore qu’une figure ?

— Pense et pense et pense des pensées sans imaginaire et ne dénonce pas et n’écrase pas et n’interprète pas et ne transforme pas et n’énonce rien et méfie-toi des marqueurs de pouvoir et n’impose pas tes représentations de la langue et évite l’organisation des redondances et ne reprends la fonction d’aucun arbre d’aucune eau et réclame-toi d’aucun droit à la folie et prends de la distance avec la forte culture et ne fais pas de Châteaux en Espagne et ne te confie à personne je suis là.

— Peux-tu, peux-tu quelque autre chose encore qu’une figure ?

— Cède le passage et échappe-toi d’un côté ou de toutes parts et déplace et fais croître des puissances inédites et inspire de nouvelles fécondations et trouve ce par quoi tu es secousse coexistence ralliement pour les autres et sois des nôtres et des autres et traverse l’insurmontable et enfourche des balais de sorcière à ta guise et désolidifie tes constitutions et procède par énergie d’affirmation et bouge entier dans chaque geste que tu fais et tire en chaque circonstance une nouvelle ère qui bouge et ne fais pas de Châteaux en Espagne et ne te confie à personne je suis là.

— Veux-tu, veux-tu quelque autre chose encore que ma mort ?

— Entends les notions que tu croises les unes vers les autres et ne dis pas comme et jette comme et arrache les mots à leur domaine d’appropriation et rabats-les sur d’autres notions imprévues et fous-toi de l’identité du destin et moque-toi du fiché et du reconnu et vis et bouge sans contours et parle littéralement et n’oublie aucune prolifération aucun tentacule et n’oublie aucun appendice mobile sur les aires de services et ne réfléchis pas sur du vécu après tu verras bien et ne fais pas de Châteaux en Espagne et ne te confie à personne je suis là.

— Libère-moi, oui, de tout ce que j’ai à dire, de tout ce que j’ai à faire enfin.

— Et crois et dis que notre voix est bonne et que la voix est une et qu’elle dissipe l’erreur en entassant une par une un tas de propositions vraies intempestives et fais ainsi dériver de nouvelles énergies contre l’efficacité des pouvoirs sur la vie dans le monde des choses futures et ne comprends toujours pas mais expulse-toi et continue je te suis.

 

/////////////////////////// Autres documents

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